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mais cet homme implacable refuse. Alors la débâcle commence et la France est envahie de toutes parts, pendant que Joseph est définitivement rejeté d’Espagne. L’œuvre de la Révolution était détruite, les frontières débordées ; Soult luttait énergiquement dans le Midi, puis devant Toulouse. Murat s’était rallié à l’Autriche, dans l’espérance de garder son royaume.

Le Corps législatif, en présence de ces catastrophes, ouvrage du despotisme et de la déraison d'un seul homme, manifeste quelques velléités d’indépendance, que l’empereur réprime avec sa violence habituelle. Puis il réclame des hommes au Sénat, qui n’avait pas d’autre volonté que la sienne, et, le 24 janvier 1814, il quitte Paris après avoir fastueusement confié son fils et sa femme à la garde nationale (à laquelle il s’était gardé de donner des fusils), et il engage cette célèbre campagne de France, qui n’était que la lutte contre une fatalité inévitable.

Nous avons raconté les épisodes de cette lutte désespérée (v. campagne de France) et nous n’avons pas à y revenir ici. On sait qu’après la bataille d’Arcis-sur-Aube (20 mars) et la rupture du traité de Chàtillon, Napoléon se jeta à Fontainebleau, décidé à lutter encore.

Mais la prise de Paris, la défection de Marmont, le découragement de ses maréchaux, et de ses instruments les plus serviles comme les plus dévoués, anéantirent ses dernières et vaines espérances.

Son Sénat, si avili et si dégradé devant ses moindres caprices, proclame sa déchéance ; l'abdication pure et simple lui est imposée en échange de la souveraineté dérisoire de l’Île d’Elbe, et le 20 avril, après avoir fait à ses derniers compagnons de guerre des adieux célèbres et touchants, il quitta Fontainebleau et se dirigea, déguisé, vers le Midi pour gagner son lieu d’exil, poursuivi par les malédictions des populations.

On sait qu'après moins d’un an de cet exil, jugeant déjà les Bourbons finis, il s’enfuit de l’Île d’Elbe, débarque au golfe Juan, le 1er  mars 1815, enlève successivement toutes les troupes qu'on envoie contre lui et rentre victorieux aux Tuileries le 20 mars. La renaissance de l’esprit libéral lui indiquait sa voie ; il se donne effrontément comme le représentant de la Révolution contre l’ancien régime et les Bourbons. Mais, quoique s’accommodant aux circonstances, il n’avait rien perdu de son orgueil et de son ambition.

Ce retour ouvre la période des Cent-Jours, dont nous avons esquissé les événements dans un article spécial. V. Cent-Jours.

Il arriva nécessairement que la coalition se reforma contre lui et qu’il voulut lutter contre elle avec des ressources insuffisantes. Traité par l’Europe en ennemi public, en tyran des nations, il se prépara de nouveau à la guerre, sa seule préoccupation, sa seule ressource, ayant, disait-il, besoin d’une victoire pour fasciner l’opinion et ressaisir la dictature. Il partit de Paris le 12 juin pour la Belgique et alla livrer cette tragique bataille de Waterloo, qui fut le terme de sa destinée et de ses boucheries, et qui fut perdue par les fautes qu’il commit, malgré la légende et malgré son habitude constante de s'attribuer tous les succès et de rejeter tous les revers sur ses lieutenants (v. campagne de 1815 et Waterloo). On peut consulter à cet égard Jomini, Charras, Pierrard, Quinet et M. Thiers lui-même.

Le 21 juin, il arriva, à Paris, avec la prétention de lever de nouvelles troupes et d’exercer la dictature, pour sauver le pays, quand il n’était que trop avéré que lui seul était la cause de tous ses malheurs.

Il y eut un soulèvement d’opinion contre ce bourreau de la Fiance, ce monstre d’orgueil et de despotisme, qui avait sacrifié à sa folle ambition plus de 3 millions d’hommes. Quel avait été le fruit de cette consommation de vies humaines ? De faire perdre au pays les frontières de la République, d’interrompre le cours du progrès et de la civilisation, d’amener deux invasions et l’occupation étrangère, d’étouffer la liberté, de rendre inévitable la restauration de l’ancienne race par le rétablissement d’une partie des institutions tyranniques du passé, de ressusciter la barbarie militaire, enfin de susciter, par ses excès, contre notre malheureux pays, des haines nationales si violentes, que rien ne put les calmer, pas même trois invasions, pas même la vengeance.

La Chambre des représentants, les fonctionnaires eux-mêmes s’élevèrent avec vigueur contre lui. Il voulut parler en maître, comme au temps de sa puissance ; mais ceux mêmes qui avaient si longtemps tremblé devant lui exigent son abdication définitive, qu’il est obligé de signer vingt-quatre heures après son arrivée à Paris (22 juin), en stipulant fort inutilement l’élévation de son fils au trône.

Malheureusement, l’invasion qu’il avait une fois de plus attirée sur la France était désormais irrésistible, d’autant plus qu’elle avait des complices parmi ses créatures et ses hauts dignitaires. Malgré son patriotisme et ses efforts, la Chambre des représentants, si injustement décriée par les écrivains bonapartistes, ne put en conjurer les effets, et les Bourbons revinrent encore une fois s’imposer au pays accablé, sous la protection des hordes de l’ennemi.

Napoléon, ayant perdu l’espoir de recouvrer la puissance sous un titre quelconque, se résigna à quitter la Malmaison le 29 juin et se dirigea sur Rochefort, avec l’intention de s’embarquer pour les États-Unis, ne croyant pas encore son rôle terminé. Mais il était surveillé, et, voyant l’inutilité de tous ses projets de départ clandestin, il se décida à se retirer sur le navire anglais le Bellérophon, en réclamant, en style de tragédie, d’aller, « comme Thémistocle, s’asseoir au foyer du peuple britannique. »

Son sort était fixé par les puissances. Lui-même avait si cruellement et toujours abusé de la force, de la victoire et du mensonge, qu’il n’avait aucun droit de se plaindre de subir le sort des vaincus.

Transporté aux confins de l’Océan, à l’Île de Sainte-Hélène, il s’y consuma six années dans les regrets de la puissance perdue, dans les amertumes de l’orgueil vaincu. Il mourut le 5 mai 1821. Tout ce que la légende bonapartiste a rapporté des prétendues persécutions du gouverneur Hudson Lowe, officier fort honorable, est fort exagéré. V. Lowe (Hudson). V. aussi les Mémoires de ce dernier.

Le 15 décembre 1840, ses restes, rapportés en France, furent déposés en grande pompe aux Invalides par le gouvernement de Louis-Philippe, qui comptait exploiter sans danger cette popularité si aveuglément ressuscitée par les libéraux, et qui devait contribuer à l’établissement d'une nouvelle tyrannie napoléonienne, qui n’a pas été moins funeste à la France que la première.

Opinions, jugements et notes sur Napoléon.
L’HOMME ; SON PORTRAIT.

On a fait si souvent le portrait de Napoléon, que je n’apprendrai rien de nouveau en disant qu’il était de taille moyenne (cinq pieds deux pouces). À l’époque où j’ai été attaché à son cabinet, il jouissait d’une santé vigoureuse ; il était récemment guéri d’un mal interne, dont il avait commencé à souffrir sérieusement pendant la seconde année du Consulat. C’était une affection scabieuse, invétérée, contractée en servant une pièce de canon pendant le siège de Toulon, que des palliatifs avaient fait rentrer, et dont son habile médecin, Corvisart, venait de le délivrer. Napoléon avait alors un embonpoint médiocre, que développa plus tard le fréquent usage des bains, qui le délassaient de ses fatigues de corps et d’esprit. Il contracta, en effet, l’habitude de se baigner tous les jours à des heures irrégulières. Sur l’observation de son médecin, que la haute température de ses bains, leur fréquence et leur longue durée tendaient à l’affaiblir et le disposaient à l’obésité, il en usa depuis plus sobrement. Son cou était un peu court, ses épaules larges, et le développement de sa poitrine annonçait une constitution robuste, moins forte cependant que son moral. Il avait les bras bien attachés, la jambe bien faite et le pied petit. Sa main, dont il tirait un peu de vanité, était ferme et potelée, avec des doigts effilés. Il avait le front haut et large, les yeux gris et investigateurs, le nez droit et bien conformé, d’assez belles dents, l’arc de la bouche parfaitement dessiné et le menton légèrement proéminent. Son teint était sans couleur, mais d’une pâleur transparente, sous laquelle on voyait circuler la vie. Ses cheveux châtains, très-fins, qu’il avait portés longs et recouvrant ses oreilles jusqu’à l’époque de son expédition en Égypte, étaient alors coupés court et laissaient à découvert son front, siège de hautes pensées. Le galbe de son visage et l’ensemble de ses traits étaient d’une régularité irréprochable, Enfin, sa tête et son buste ne le cédaient en noblesse et en dignité à aucun des plus beaux bustes que nous ait légués l’antiquité.

Quand il était excité par quelque passion violente, sa figure prenait une expression sévère et même terrible. Il s’exerçait comme un mouvement de rotation sensible sur son front et entre ses sourcils ; ses yeux lançaient des éclairs. Les ailes du nez se dilataient, gonflées par l’orage intérieur ; mais ces mouvements passagers, quelle que fût leur cause, ne portaient point de désordre dans son esprit. Il paraissait en régler à son gré les explosions qui, du reste, avec le temps, devinrent de plus en plus rares. Sa tête restait froide ; le sang ne s’y portait jamais, il refluait toujours vers le cœur. Dans l’état ordinaire, son visage était calme, doucement sérieux. Il s’illuminait du plus gracieux sourire quand il était déridé par la bonne humeur ou par le désir d’être agréable. Dans la familiarité, il avait le rire bruyant et railleur.

L’embonpoint qu’il acquit dans les dernières années de son règne avait donné au torse plus de développement qu’à la partie inférieure du corps ; ce qui a fait dire après sa chute, que son buste donnait l’idée d’un monument majestueux et imposant qui n’aurait pas eu une base proportionnée à sa grandeur.

Le portrait de Napoléon serait incomplet si je passais sous silence son chapeau, sans bordure ni galons, qu’ornait une petite cocarde tricolore retenue par une ganse de soie noire, et sa redingote grise qui recouvrait le simple uniforme de colonel de sa garde. Ce chapeau et cette redingote, devenus historiques avec lui, brillaient au milieu des habits chargés de broderies d’or et d’argent de ses généraux et des officiers civils et militaires de sa maison. (Baron Meneval, Souv. hist.)

Je ne connais que deux portraits fidèles de Napoléon. L’un est le buste d’Houdon (1800), sauvage, obscur et ténébreux, qui semble une sinistre énigme. L’autre est un tableau qui le représente en pied, dans son cabinet (1810 ?). C’est une œuvre de David qui, dit-on, y mit deux ans, et s’y montra consciencieux, courageux, sans souci de plaire, ne songeant qu’à la vérité. Tellement que le graveur (Grignon) n’a pas osé le suivre en certains détails, où la vérité contrariait la tradition. David l’a fait, comme il fut toujours, sans cils, ni sourcils ; peu de cheveux, d’un châtain douteux qui, dans sa jeunesse, paraissaient noirs, à force de pommade. Les yeux gris, comme une vitre de verre où l’on ne voit rien. Enfin, une impersonnalité complète, obscure, et qui semble fantasmagorique.

Il est gras, et cependant on distingue le trait qu’il eut en naissant et qu’il tenait de sa mère, les pommettes des joues très-saillantes, comme ont les Corses et les Sardes. Il dit, lui-même, qu’en tout il lui ressemblait, et tenait tout d’elle. Dans sa jeunesse, il en était l’image amoindrie, rétrécie. Si l’on met celle de sa mère à côté, il en semble une contrefaçon desséchée, comme si la maladie héréditaire de la famille, le cancer de l’estomac, l’eût déjà rongé en dedans. (Michelet, Origine des Bonaparte.)

SES HABITUDES.

Napoléon ne dictait qu’en marchant. Il commençait quelquefois étant assis, mais à la première phrase il se levait. Il se mettait à marcher dans la pièce où il se trouvait, et la parcourait dans sa longueur. Cette promenade durait pendant tout le temps de sa dictée. À mesure qu’il entrait dans son sujet, il éprouvait une espèce de tic qui consistait dans un mouvement du bras droit, qu’il tordait en tirant avec la main le parement de la manche de son habit. Du reste, son débit n’était pas précipité par ce mouvement ; sa marche était également lente et mesurée.

Les expressions se présentaient sans effort pour rendre sa pensée. Si elles étaient quelquefois incorrectes, ces incorrections mêmes ajoutaient à leur énergie et peignaient toujours merveilleusement à l’esprit ce qu’il voulait dire. Ces imperfections n’étaient cependant pas inhérentes à sa manière d’écrire ; elles échappaient plutôt à lA chaleur de l’improvisation. Elles étaient rares et ne subsistaient que quand la nécessité d’expédier sur-le-champ la dépêche ne permettait pas de les faire disparaître dans la copie. Dans ses discours au Sénat ou au Corps législatif, dans ses proclamations, dans ses lettres aux souverains, dans les notes diplomatiques qu’il chargeait ses ambassadeurs de présenter, le style était soigné et approprié au sujet.

Napoléon écrivait rarement lui-même. Écrire était pour lui une fatigue ; sa main ne pouvait suivre la rapidité de sa conception. Il ne prenait la plume que quand, par hasard, il se trouvait seul, et qu’il avait besoin de confier au papier le premier jet d’une idée ; mais après quelques lignes il s’arrêtait et jetait la plume. Il sortait alors pour faire appeler son secrétaire ordinaire ou, à son défaut, le second secrétaire, ou le secrétaire d’État, ou le général Duroc, quelquefois l’aide de camp de service, selon la spécialité du travail dont il s’occupait. Il accueillait le premier qui se rencontrait à son appel, sans humeur, mais plutôt avec une satisfaction visible d’être tiré d’embarras.

Son écriture était un assemblage de caractères sans liaison et indéchiffrables. La moitié des lettres manquaient aux mots. Il ne pouvait se relire, où il ne voulait pas en prendre la peine. Si une explication lui était demandée, il reprenait son brouillon qu’il déchirait ou jetait au feu, et dictait sur nouveaux frais ; c’étaient les mêmes idées, mais avec des expressions et une rédaction différentes.

L’orthographe de son écriture était incorrecte, quoiqu’il sût bien en reprendre les fautes dans l’écriture des autres. C’était une négligence passée en habitude ; il ne voulait pas que l’attention qu’il aurait donnée à l’orthographe pût brouiller ou rompre le fil de ses idées. Dans les chiffres, dont l’exactitude est absolue et positive, Napoléon commettait aussi des erreurs. Il aurait pu résoudre les problèmes de mathématiques les plus compliqués, et il a fait rarement une addition juste. Il est vrai de dire que ces erreurs n’étaient pas toujours commises sans dessein. Par exemple dans le calcul du nombre d’hommes qui devait composer ses bataillons, ses régiments ou ses divisions, il enflait toujours le résumé total. On ne peut pas croire qu’il voulût se faire illusion à lui-même, mais il jugeait souvent nécessaire de donner le change sur la force de ces corps. Quelques représentations qu’on lui fit, il repoussait l’évidence, et persistait opiniâtrement dans son erreur volontaire de calcul. Son écriture était illisible, et il détestait les écritures difficiles à lire. Ses billets, ou le peu de lignes qu’il lui arrivait d’écrire et qui n’exigeaient pas de contention d’esprit, étaient en général exempts de fautes d’orthographe, excepté dans les mots où ces fautes se représentaient invariablement. Il écrivait, par exemple, cabinet, Caffarelli, gabinet, Gaffarelli, afin que, enfin que, infanterie, enfanterie.

Les premiers mots sont évidemment des réminiscences de sa langue maternelle, les seules qui lui soient restées de sa première enfance ; les autres, enfin que, enfanterie, n’ont pas d’analogie avec la langue italienne. Il parlait mal cette langue, et évitait les occasions de la parler. Il ne s’y résignait qu’avec des Italiens qui ne parlaient pas le français, ou qui éprouvaient de la difficulté à s’exprimer en français. Je l’ai entendu causer quelquefois avec des Italiens ; son langage était un français italianisé, avec des terminaisons en i, en o, en a. (Baron Meneval, Souv. hist.)

La vie active qu’il menait dans les camps était subordonnée aux opérations militaires. Habituellement, il marchait à cheval avec l’armée quand elle était à la suite et près de l’ennemi. Lorsqu’elle était en grandes manœuvres et que les opérations avaient lieu à fortes distances, il attendait que les corps qui étaient en marche fussent près d’être rendus dans les positions qu’il avait indiquées ; il restait alors à son quartier général. Là, il recevait les rapports qui lui étaient adressés directement, ou au major général, par les commandants des différents corps. Dans les intervalles, il donnait ses soins à l’administration intérieure de la France ; il répondait aux rapports qui lui étaient envoyés de Paris par les ministres, qui avaient l’habitude de lui écrire tous les jours et à ceux des ministres, réunis en conseil, qui lui étaient apportés chaque semaine par un auditeur du conseil d’État, lequel était mis à la disposition de l’intendant général de l’armée, qui l’employait à différentes missions ; il gouvernait ainsi l’empire en même temps qu’il dirigeait l’armée. Économe de son temps, il calculait l’époque de son départ de manière à se trouver à la tête de ses corps au moment où sa présence y devenait nécessaire ; il s’y transportait alors rapidement en voiture ; mais, pendant ce trajet même, il ne restait pas oisif : il s’occupait à lire ses dépêches ; le plus souvent, il recevait les rapports de ses généraux et expédiait à l’instant les réponses. Des estafettes apportant des dépêches de Paris, renfermées dans un portefeuille fermant à clef, lui étaient quelquefois remises en même temps. Une lumière, disposée dans le fond de sa voiture, l'éclairait pendant les voyages de nuit et lui permettait de travailler comme s’il eût été dans son cabinet. Le major général voyageait habituellement avec lui. Aux portières marchaient toujours ses aides de camp et ses officiers d’ordonnance, et une brigade de ses chevaux de selle suivait avec l’escorte.

Telle était l’organisation privilégiée de cet homme extraordinaire en tout, qu’il pouvait dormir une heure, être réveillé par un ordre à donner, se rendormir, être réveillé de nouveau, sans que son repos ni sa santé en souffrissent. Six heures de sommeil lui suffisaient, soit qu’il les prît de suite, soit qu’il dormît à divers intervalles durant vingt-quatre heures.

Les jours qui précédaient une grande bataille, il était constamment à cheval pour reconnaître la force et la position de l’ennemi, étudier son champ de bataille, parcourir les bivacs de son corps d'armée. La nuit même, il visitait la ligne pour s’assurer encore de la force de l'ennemi par le nombre de ses feux, et en quelques heures il fatiguait plusieurs chevaux. Le jour de la bataille, il se plaçait sur un point central, d’où il pouvait voir tout ce qui se passait. Il avait près de lui ses aides de camp et ses officiers d’ordonnance ; il les envoyait porter ses ordres sur tous les points. À quelque distance en arrière de lui étaient quatre escadrons de la garde, un de chaque arme ; mais, lorsqu’il quittait cette position, il ne prenait pour escorte qu’un peloton. Il indiquait ordinairement le lieu qu’il avait choisi à ses maréchaux, afin d’être facilement trouvé par les officiers qu’ils lui enverraient. Aussitôt que sa présence devenait nécessaire quelque part, il s’y portait au galop. (Général Gourgaud, Examen crit. de l’ouvrage du comte de Ségur.)

SON CARACTÈRE.

Napoléon était né avec un esprit juste, pénétrant, vaste, universel et surtout prompt, avec un caractère aussi prompt que son esprit. Toujours, en toutes choses, if allait droit et sans détour au but. S’agissait-il d’un raisonnement, il trouvait à l' instant l’argument péremptoire ; d’une bataille à livrer, il découvrait la manœuvre décisive. En lui, concevoir, vouloir, agir, étaient un seul acte indivisible, d’une rapidité incroyable, de manière qu’entre la pensée et l’action il n’y avait pas un instant perdu pour réfléchir et se résoudre. À un génie ainsi constitué, opposer une objection médiocre, une résistance de tiédeur, de faiblesse ou de mauvaise volonté, c’était le faire bondir comme le torrent qui jaillit et vous couvre de son écume si vous lui opposez un obstacle inattendu. S’il eût embrassé l’une de ces carrières civiles où l’on ne parvient qu’en persuadant les hommes, en les gagnant à soi, peut-être il se fût appliqué à modérer, à ralentir les mou-