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et, après quelques boutades contre les médecins médiocres, il convenait qu’un homme supérieur et de grande expérience lui serait bon à consulter. Aussi disait-il souvent : « Je ne crois pas à la médecine, mais je crois à Corvisart. Puisqu’on ne peut pas me le donner, qu’on me laisse en paix. » (Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire.)

SES FAUTES ; COMMENT IL LES EXPLIQUAIT.

Napoléon aimait à considérer l’ensemble de son règne, et il disait qu’en consultant les annales du monde, en prenant l’histoire des fondateurs de dynastie, on n’en trouvait pas de plus innocent que lui. Effectivement, il n’en est pas à qui l’histoire ait moins à reprocher, sous le rapport des moyens employés pour écarter des parents ou des rivaux, et il est certain qu’excepté les champs de bataille, où l’effusion du sang humain fut immense, personne n’avait moins versé de sang que lui, ce qui était dû à son caractère personnel et surtout aux mœurs de son temps. Se comparant à Cromwell : « Je suis monté, disait-il souvent, sur un trône vide, et je n’ai rien fait pour le rendre vacant. Je n’y suis arrivé que porté par l’enthousiasme et la reconnaissance de mes contemporains. » Cette assertion était rigoureusement vraie. Pourtant, de ce trône où il avait été porté par une admiration si unanime, Napoléon était tombé avec autant d’éclat qu’il y était monté. Certes la trahison, qu’il niait lui-même, ne pouvait être une explication de cette chute ; il fallait la chercher dans ses fautes, et sur ces fautes il était quelquefois sincère, quelquefois sophistique, selon que les aveux à faire coûtaient plus ou moins à son orgueil. Suivant la loi commune, là où il manquait d’excuses, il s’efforçait d’en trouver dans des subtilités ou des inexactitudes de fait, dont il prenait l’habitude, sans qu’on pût démêler s'il y croyait ou n’y croyait pas.

Nous avons, en racontant la chute de l’Empire en 1814, présenté le tableau résumé des fautes qui avaient amené cette chute, et qui, selon nous, se réduisaient à six. Elles avaient consisté :

La première, à sortir en 1803 de la politique forte et modérée du Consulat, à rompre la paix d’Amiens et à se jeter sur l’Angleterre, qu’il était si difficile d’atteindre ;

La seconde, après avoir soumis le continent en trois batailles, Austerlitz, Iéna, Friedland, à n’être pas rentré en 1807 dans la politique modérée, et, au lieu de chercher à réduire l’Angleterre par l’union du continent contre elle, à profiter au contraire de l’occasion pour essayer la monarchie universelle ;

La troisième, à faire reposer à Tilsitt cette monarchie universelle sur la complicité intéressée de la Russie, complicité qui ne pouvait être durable que si elle était payée par l’abandon de Constantinople ;

La quatrième, à s’enfoncer en Espagne, gouffre sans fond où étaient allées s’abîmer toutes nos forces ;

La cinquième, à ne pas essayer de venir à bout de cette guerre par la persévérance, et à chercher en Russie la solution qu’on ne trouvait pas dans la Péninsule, ce qui avait amené la catastrophe inouïe de Moscou ;

La sixième enfin, et la plus funeste, après avoir ramené à Lutzen et Bautzen la victoire sous nos drapeaux, à refuser la paix de Prague, qui nous aurait laissé une étendue de territoire bien supérieure à celle que la politique permettait d’espérer et de désirer.

Il est inutile de dire que, dans les profonds ennuis de sa captivité, Napoléon, reproduisant ses souvenirs à mesure que les hasards de la conversation les réveillaient, ne discutait pas méthodiquement les actes principaux de son règne, comme nous avons essayé de le faire. Il touchait tantôt à un sujet, tantôt à un autre, cherchant d’autant plus à s’excuser qu’il était moins excusable.

Quant à ses emportements envers l’Angleterre et à la rupture de la paix d’Amiens, il disait que la fameuse scène à lord Whitworth avait été fort exagérée, et que le refus du ministère britannique d’évacuer Malte était intolérable, oubliant que par l’ensemble de ses actes il avait créé une situation menaçante, dont les Anglais avaient profité pour ne pas évacuer cette île. Il affirmait que le projet de descente avait été sérieux, et que ses combinaisons navales étaient telles que, sans la faute d’un amiral, il aurait triomphé de l’Angleterre. Il est incontestable, en effet, que jamais combinaisons plus profondes ni plus vastes ne furent imaginées, et que si l'amiral Villeneuve avait paru dans la Manche, 150,000 Français auraient franchi le détroit ! Que serait-il arrivé lorsque, après avoir gagné en Angleterre une bataille d’Austerlitz, Napoléon se fût trouvé maître de Londres comme il le fut plus tard de Vienne et de Berlin ? La fière aristocratie anglaise aurait-elle plié sous ce coup terrible, ou bien aurait-elle essayé de prolonger la lutte contre son vainqueur, prisonnier en quelque sorte dans sa propre conquête ? On n'en sait rien. Mais c’était une terrible manière de jouer sa grandeur et celle de la France que de la risquer dans de pareils hasards !

Quant à la monarchie universelle, qu’il avait essayé d’établir lorsque, ne pouvant venir à bout de l’Angleterre, il s’était jeté sur le continent, Napoléon n’en fournissait pas une raison valable. Cette monarchie universelle, il ne la voulait, disait-il, que temporaire ; c’était une dictature au dehors, comme la dictature au dedans que la France lui avait conférée, et qu’il aurait déposée avec le temps. D’abord, si la France en 1800 demandait un bras puissant pour la sauver de l’anarchie, l’Europe ne désirait rien de semblable. Ce dont elle voulait être préservée, c’était de l’ambition du nouveau chef qui gouvernait alors la France, et le lui donner pour dictateur, c’était tout simplement lui donner ce qu’elle craignait le plus, c’était pour remède à son mal lui donner le mal lui-même. Il n’y avait donc aucune vérité à vouloir déduire de la dictature au dedans la dictature au dehors. Il aurait fallu en tout cas la rendre courte pour la rendre tolérable ; il aurait fallu par ses actes prouver aux peuples qu’on l’exerçait dans leur intérêt, et leur faire du bien au lieu de les accabler de maux, au point de les amener tous à se soulever en 1813 pour combattre et détruire cette dictature européenne.

Sur cette chimère de la monarchie universelle, Napoléon disait encore que toujours on l’avait attaqué, et qu’obligé sans cesse de se défendre il était devenu maître de l’Europe presque malgré lui : fausse assertion souvent répétée par les adulateurs de sa mémoire et de son système. Il est vrai que les puissances européennes, sous l’oppression qu’elles subissaient, n’attendaient qu’un moment pour se révolter ; mais cette disposition à la révolte n’était que le résultat de l’oppression même, et, au surplus, elles étaient si accablées après Tilsitt que, sans la guerre d’Espagne, l’Autriche n’aurait pas essayé la fameuse levée de boucliers de 1809, et qu’après la victoire de Wagram, si Napoléon n’avait pas entrepris la guerre de Russie, personne n eût osé lever la main contre lui.

Il était plus sincère sur la troisième faute, la guerre d’Espagne. La guerre d’Espagne, disait-il, avait compromis Ta moralité de son gouvernement, divisé et usé ses forces. Lui seul pouvait dire si bien et si complètement. Oui, l’événement de Bayonne avait paru une noire perfidie ; la guerre d’Espagne avait attiré au midi les armées dont il aurait eu besoin au nord, et après avoir divisé ses forces les avait usées par l’acharnement de la lutte. Mais comment était-il si sincère sur ce point en l’étant si peu sur d’autres ? C’était peut-être l’évidence de la faute, et peut-être aussi la nature des excuses qu’il trouvait à donner. Après avoir, disait-il, fondé en France la quatrième dynastie, il ne pouvait souffrir en Espagne les Bourbons, que leur situation destinait presque inévitablement à être les complices de l’Angleterre. Cette raison était assurément d’un certain poids ; mais si, au lieu de hâter la solution par un attentat, Napoléon l’eût attendue de l’incapacité des Bourbons et de la popularité prodigieuse dont il jouissait en Espagne, il eut été probablement appelé par les Espagnols eux-mêmes à ranger les deux trônes sous une seule influence. C’était donc une faute d’impatience (genre de faute que son caractère le portait si souvent à commettre), et cette excuse de la guerre d’Espagne, qui lui semblait assez bonne pour qu’il osât avouer son erreur, ne valait guère mieux que la plupart de celles qu’il donnait pour pallier les torts de sa politique.

Quant à la faute de n’avoir pas essayé de triompher des Espagnols par la persévérance, et d’être allé chercher en Russie une solution qu’il ne trouvait pas en Espagne même, il était assez sincère aussi, et à cette occasion il faisait un singulier aveu. En réalité, disait-il, Alexandre ne désirait pas la guerre ; je ne la désirais pas non plus, et, une fois sur le Niémen, nous étions comme deux bravaches qui n’auraient pas mieux demandé que de voir quelqu’un se jeter entre eux pour les séparer. Mais un grand ministre des affaires étrangères m’avait manqué à cette époque. Si j’avais eu M. de Talleyrand, par exemple, la guerre de Russie n’aurait pas eu lieu... Napoléon disait vrai, mais il faisait là un aveu que doivent bien méditer les ministres servant un maître engagé sur une pente dangereuse, et n’ayant pas le courage de l’y arrêter.

Quant à la campagne elle-même, il en attribuait la funeste issue à l’incendie de Moscou. Il y avait à Moscou, disait-il, des vivres pour nourrir toute une armée pendant plus de six mois. Si j’avais hiverné là, j’aurais été comme le vaisseau pris dans les glaces, lequel recouvre la liberté de ses mouvements au retour du soleil. Je me serais trouvé entier au printemps, et si les Russes avaient reçu des renforts, j’en aurais reçu de mon côté ; et de même qu’en 1807, après avoir essuyé la journée d’Eylau en février, j’avais rencontré celle de Friedland en juin, j’aurais pu remporter quelque brillant avantage au retour de la belle saison, et terminer la campagne de 1812 aussi heureusement que celle de 1807. Ces raisons assurément avaient quelque valeur, mais on peut répondre que si l’infanterie de l’armée eût pu vivre à Moscou, la cavalerie et l’artillerie auraient manqué de fourrages ; que si les renforts avaient pu arriver jusqu’à Osterode en 1807, il n’était pas aussi facile de les amener jusqu’à Moscou, et qu’enfin l’armée de 1812 n’avait plus les solides qualités de celle de 1807.

Quant à la dernière des fautes graves du règne, celle d’avoir refusé la paix de Prague, Napoléon ne disait rien de plausible, ni même de spécieux. Il répétait cette raison banale que l’Autriche n’était pas de bonne foi, et qu’en ayant l’air de traiter à Prague elle était secrètement engagée avec les puissances coalisées, allégation fausse et que les documents authentiques réfutent complètement. Si en effet l’Autriche n’avait pas été de bonne foi à Prague, il y avait un moyen de la confondre, c’était d’accepter ses conditions, qui consistaient à nous laisser la Westphalie, la Hollande, le Piémont, Florence, Rome, Naples, c’est-à-dire deux fois plus que nous ne devions désirer, et à nous refuser seulement Lubeck, Hambourg, dont nous n’avions que faire, la Sicile, que nous n’avions jamais eue, l’Espagne, que nous avions perdue. Si, ces conditions acceptées, elle nous avait manqué de parole, alors on l’eût convaincue de mensonge, et on aurait eu l’opinion générale pour soi. Mais en fait il est constant qu’elle eût accepté avec joie notre adhésion, car elle n’entreprenait la guerre qu’en tremblant, et elle avait même formellement refusé de s’engager avec les coalisés avant l’expiration du délai fatal assigné à la médiation. Napoléon n’aimait pas à s’étendre sur ce sujet, pénible pour son amour-propre, car il s’était lourdement trompé en cette occasion, et avait cru qu’il faisait tellement peur à l’Autriche que jamais elle n’oserait se décider contre lui. Il lui faisait peur assurément, et beaucoup, mais non jusqu’à paralyser son jugement et à l’empêcher de prendre un parti dicté par ses intérêts les plus évidents. Pour écarter ce reproche, il disait que son mariage l’avait perdu en lui inspirant une confiance funeste à l’égard de l’Autriche, excuse peu digne, et fausse d’ailleurs, car M. de Metternich avait eu soin de lui répéter sans cesse que le mariage avait dans les conseils de la cour de Vienne un certain poids, mais un poids limité, et n’empêcherait pas de lui déclarer la guerre s’il n’acceptait pas les conditions proposées à Prague, lesquelles, après tout, n’avaient qu’un inconvénient, celui d’être trop belles pour nous.

Ainsi raisonnait Napoléon sur les événements de son règne, sincère, comme on le voit, sur les points où son amour-propre trouvait des excuses spécieuses, sophistique sur les points où il n’en trouvait pas, sentant bien ses fautes sans le dire, et comptant sur l’immensité de sa gloire pour le soutenir auprès des âges futurs, comme elle l’avait déjà soutenu auprès des contemporains.

Il s’expliquait plus volontiers et avec plus de confiance sur tout ce qui concernait le gouvernement intérieur de l’empire. Là, il se présentait avec raison comme un grand organisateur, qui, prenant en 1800 l'ancienne société brisée par le marteau de la Révolution, avait de ses débris recomposé la société moderne. Il n’avait pas de peine à démontrer pourquoi il avait cherché à fondre ensemble les diverses classes de la France violemment divisées, à rappeler l’ancienne noblesse, à élever jusqu’à elle la bourgeoisie en donnant à celle-ci des titres mérités par de grands services, et à offrir ainsi à l’Europe une société puissante, rajeunie et digne d’entrer en relation avec elle. Seulement, en tâchant de rendre la France présentable à l’Europe, pour rétablir avec celle-ci des relations pacifiques, il n’aurait pas fallu faire vivre cette malheureuse Europe dans des terreurs continuelles. Sur tous ces points, du reste, Napoléon parlait en législateur, en philosophe, en politique, et quand certains de ses compagnons d’exil lui répétaient qu’il avait eu tort de s’entourer d’anciens nobles qui l’avaient trahi, il repoussait énergiquement cette objection, misérable selon lui, en leur adressant la réponse péremptoire qui suit. Les deux hommes qui ont le plus contribué à me perdre, disait-il, c’est Marmont en 1814, en m’ôtant les forces avec lesquelles j’allais détruire la coalition dans Paris, et Fouchê en 1815, en soulevant la Chambre des représentants contre moi. Les vrais traîtres, s’il y a eu des traîtres qui m’aient perdu, ce sont ces deux hommes ! Eh bien, étaient-ce d’anciens nobles ?

Napoléon rapportait ensuite avec complaisance tout ce qu’il avait fait pour donner à la France une administration active, puissante, probe, claire dans ses comptes. Il rappelait ses routes, ses canaux, ses ports, ses monuments, ses travaux pour la confection du code civil, dont il attribuait une large part à Tronchet, sa longue présidence du conseil d’État, où régnait, disait-il, une grande liberté de discussion, où souvent il était contredit avec opiniâtreté ; car, ajoutait-il, si les hommes sont courtisans, ils ont de l’amour-propre aussi, et j’ai vu des conseillers d’État, de simples maîtres des requêtes, une fois engagés, soutenir contre moi leur opinion avec entêtement, tant il est vrai qu’il suffit d’assembler les hommes avec l’intention sérieuse d’approfondir les affaires, pour qu’il naisse une liberté relative, et quelquefois féconde, du moins en fait d’administration.

Napoléon avouait qu’il n’avait pas été un monarque libéral, mais soutenait qu’il avait été un monarque civilisateur et ajoutait que, chargé d’être dictateur, son rôle à lui ne pouvait pas être de donner la liberté, mais de la préparer. Quant à l’essai de cette liberté fait en 1815, il ne le désavouait pas, mais il en parlait peu, comme s’il avait été confus d’une épreuve qui avait si mal tourné pour lui. À cette occasion, il s’exprimait sur les assemblées en homme qui les connaissait bien, quoiqu’il les eût peu pratiquées, et imputait ses mécomptes dans la Chambre des représentants à la nouveauté de cet essai de liberté plus qu’à son vice fondamental. Les assemblées, disait-il, ont besoin de chefs pour les conduire, exactement comme les armées. Mais il y a cette différence que les armées reçoivent les chefs qu’on leur donne, et que les assemblées se les donnent à elles-mêmes. Or, en 1815, la Chambre des représentants, réunie au bruit du canon, n’avait pu encore ni chercher ni trouver ses chefs.

En toutes ces choses, Napoléon disait qu’il n’avait pu avoir que des projets, qu’il n’avait eu le temps de rien achever, que son règne n’était qu’une suite d’ébauches, et alors se prenant à rêver, il aimait à se représenter tout ce qu’il aurait fait s’il avait pu obtenir de l’Europe une paix franche et durable (paix qu’il avait repoussée malheureusement quand il aurait pu l’obtenir, comme en 1813, par exemple, et qu’il n’avait voulue qu’en 1815, lorsqu’elle était devenue impossible !). J’aurais, disait-il, accordé à mes sujets une large part dans le gouvernement. Je les aurais appelés autour de moi dans des assemblées vraiment libres ; j’aurais écouté, je me serais laissé contredire, et, ne me bornant pas à les appeler autour de moi, je serais allé à eux. J'aurais voyagé avec mes propres chevaux à travers la France, accompagné de l’impératrice et de mon fils. J’aurais tout vu de mes yeux, écouté, redressé les griefs, observé de près les hommes et les choses, et répandu de mes mains les biens de la paix, après avoir tant versé de ces mêmes mains les maux de la guerre. J’aurais vieilli en prince paternel et pacifique, et les peuples, après avoir si longtemps applaudi Napoléon guerrier, auraient béni Napoléon pacifique et voyageant, comme jadis les Mérovingiens, dans un char traîné par des bœufs.

Tels étaient les rêves de ce grand homme, et si nous les rapportons, c’est qu’ils contiennent une leçon frappante, celle de ne pas laisser passer le temps de faire le bien ; car une fois passé, il ne revient plus. Ainsi s’écoulaient les soirées de la captivité, et lorsqu’on discourant de la sorte Napoléon s’apercevait qu’il avait atteint une heure plus avancée que de coutume, il s’écriait avec joie : Minuit, minuit ! quelle conquête sur le temps.!... Le temps, dont il n’avait jamais assez autrefois, et dont il avait toujours trop aujourd’hui ! ... (Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire.)

l’homme de guerre.

.......Il était réservé à la Révolution française, appelée à changer la face de la société européenne, de produire un homme qui attirerait autant les regards que Charlelemagne, César, Annibal et Alexandre. À celui-là, ce n’est ni la grandeur du rôle, ni l’immensité des bouleversements, ni l’éclat, l’étendue, la profondeur du génie, ni le sérieux d’esprit qui manquent pour saisir, attirer, maîtriser l’attention du genre humain ! Ce fils d’un gentilhomme corse, qui vient demander à l’ancienne royauté l’éducation dispensée dans les écoles militaires à la noblesse pauvre, qui, à peine sorti de l’école, acquiert dans une émeute sanglante le titre de général en chef, passe ensuite de l’armée de Paris à l’armée d'Italie, conquiert cette contrée en un mois, attire à lui et détruit successivement toutes les forces de la coalition européenne, lui arrache la paix de Campo-Formio, et, déjà trop grand pour habiter à côté du gouvernement de la République, va chercher en Orient des destinées nouvelles, passe, avec 500 voiles, à travers les flottes anglaises, conquiert l'Égypte en courant, songe alors à envahir l’Inde en suivant la route d’Alexandre, puis, ramené tout à coup en Occident par le renouvellement de la guerre européenne, après avoir essayé d’imiter Alexandre, imite et égale Annibal en franchissant les Alpes, écrase de nouveau la coalition et lui impose la belle paix de Lunéville ; ce fils du pauvre gentilhomme corse a déjà parcouru, à trente ans, une carrière bien extraordinaire ! Devenu quelque temps pacifique, il jette, par ses lois, les bases de la société moderne, puis se laisse emporter par son bouillant génie, s’attaque de nouveau à l’Europe, la soumet en trois journées, Austerlitz, Iéna, Friedland, abaisse et relève les empires, met sur sa tête la couronne de Charlemagne, voit les rois lui offrir leur fille, choisit celle des Césars, dont il obtient un fils qui semble destiné à porter la plus brillante couronne de l’univers ; de Cadix se porte à Moscou, succombe dans la plus grande catastrophe des siècles, refait sa fortune, la défait de nouveau ; est confiné dans une petite île, en sort avec quelques centaines de soldats fidèles, reconquiert en vingt jours le trône de France, lutte de nouveau contre l’Europe exaspérée, succombe pour la dernière fois à Waterloo, et, après avoir soutenu des guerres plus grandes que celles de l’empire romain, s’en va, né dans une île de la Méditerranée, mourir dans une île de l’Océan, attaché comme Prométhée sur un rocher par la haine et la peur des rois ; ce fils du pauvre gentilhomme corse a bien fait dans le monde la figure d’Alexandre, d’Annibal, de César, de Charlemagne ! Du génie, il en a autant