Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 11, part. 2, Molk-Napo.djvu/407

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que ceux d’entre eux qui en ont eu le plus ; du bruit, il en a fait autant que ceux qui ont le plus ébranlé l’univers ; du sang, malheureusement, il en a versé plus qu’aucun d’eux. Moralement, il vaut moins que les meilleurs de ces grands hommes, mais mieux que les plus mauvais. Son ambition est moins vaine que celle d’Alexandre, moins perverse que celle de César, mais elle n’est pas respectable comme celle d’Annibal, qui s’épuise et meurt pour épargner à sa patrie le malheur d’être conquise. Son ambition est l’ambition ordinaire des conquérants, qui aspirent à dominer dans une patrie agrandie par eux. Pourtant, il chérit la France, et jouit de sa grandeur autant que de la sienne même. Dans le gouvernement, il aime le bien, le poursuit en despote, mais n’y apporte ni la suite, ni la religieuse application de Charlemagne. Sous le rapport de la diversité des talents, il est moins complet que César, qui, ayant été obligé de séduire ses concitoyens avant de les dominer, s’est appliqué à persuader comme à combattre, et sait tour à tour parler, écrire, agir en restant toujours simple. Napoléon, au contraire, arrive tout à coup à la domination par la guerre, n’a aucun besoin d’être orateur, et peut-être ne l’aurait jamais été, quoique doué d’éloquence naturelle, parce que jamais il n’aurait pris la peine d’analyser patiemment sa pensée devant des hommes assemblés ; mais il sait écrire néanmoins comme il sait penser, c’est-à-dire fortement, grandement ; parfois même il se montre un peu déclamatoire comme la Révolution française, sa mère, discute avec plus de puissance que César, mais ne narre pas avec sa suprême simplicité, son naturel exquis. Inférieur au dictateur romain sous le rapport de l’ensemble des qualités, il lui est supérieur comme militaire, d’abord par plus de spécialité dans la profession, puis par l’audace, la profondeur, la fécondité inépuisable des combinaisons ; il n’a sous ce rapport qu’un égal ou un supérieur (on ne saurait le dire), Annibal, car il est aussi audacieux, aussi calculé, aussi rusé, aussi fécond, aussi terrible, aussi opiniâtre que le général carthaginois, en ayant toutefois une supériorité sur lui, celle des siècles. Arrivé en effet après Annibal, César, les Nassau, Gustave-Adolphe, Condé, Turenne, Frédéric, il a pu pousser l’art à son dernier terme. Du reste, ce sont les balances de Dieu qu’il faudrait pour peser de tels hommes, et tout ce qu’on peut faire, c’est de saisir quelques-uns des traits les plus saillants de leurs imposantes physionomies.... (Thiers, Hist. du Consulat et de l’Empire.)

Les conquérants n’étaient point encore assez haïs ; le ciel a permis les trop longs succès de Bonaparte pour en inspirer à jamais l’horreur : il a voulu que ce conquérant n’eût rien de semblable à ceux qui avaient ébloui la terre en l’épouvantant. Il lui a donné l’habileté militaire, mais sans éclat de bravoure personnelle ; une activité prodigieuse, mais sans but ; une volonté indomptable, mais sans discernement. Tous les désastres, tous les opprobres dont il est abreuvé sont nés des mêmes causes qui avaient produit ses triomphes. Ni les faveurs les plus inouïes de la fortune, ni les plus terribles leçons du malheur, ni la confiance d’une nation qui, tourmentée d’une effrayante anarchie, espérait trouver avec lui du repos, ni les conseils des hommes éclairés qui voulaient lui montrer la véritable gloire, ni le dévouement de valeureux guerriers, rien n’a pu adoucir le caractère du soldat corse, rectifier son esprit faux, élever son âme corrompue. Si l’on est confondu de son obstination à faire périr les hommes, on ne l’est pas moins de son obstination à vivre.

Il nous a montré ce qu’est l’égoïsme dans un cœur inhumain. Jamais il n’a pu se naturaliser parmi les Français. Était-il un Français celui qui, placé sur un trône qu’embellissaient la bonté, la grâce et la galanterie de nos rois, fut toujours insultant pour les femmes, et qui les raillait avec dédain sur le déclin de leur beauté ? Était-il un Français, celui qui n’a jamais rien donné qu’avec l’intention d’avilir ? celui qui abusait lâchement de sa puissance pour adresser, du milieu de sa cour, des paroles infamantes à un administrateur modéré, à un juge intègre, à un brave militaire ? Mais quoi ! il insulta jusque dans son camp nos guerriers admirés de toute l’Europe ! Quel torrent d’invectives dans ses bulletins ! Dès qu’il a commis une faute militaire, il choisit au hasard le nom d’un général pour l’en accuser, il invente des fables qui ne sont crues de personne ; à l’entendre, c’est l’étourderie d’un caporal qui, en faisant sauter un pont, a causé à la France le plus grand des revers qu’elle ait essuyés !

Il ne sait placer ses meilleurs généraux qu’à des postes de sacrifice. Vingt fois, il fait marcher par des chemins impraticables, par la saison la plus dure, avec une impitoyable célérité, l’élite et même la masse de son armée. Pendant ce temps, deux ou trois généraux restent chargés de défendre des postes importants contre des forces horriblement disproportionnées ; il tait, pour dissimuler un échec, les actes de la bravoure la plus héroïque, et c’est souvent l’ennemi qui nous les fait connaître.

Quel caractère sauvage dans sa prétendue grandeur ! Quelle gaucherie dans sa magnificence ! (Ch. Lacretelle, 1er avril 1814.)

Napoléon était officier d’artillerie et il s’en ressentait. Le fond de ce prodigieux capitaine, c’était l’homme qui, dans le rapport au Directoire sur Aboukir, disait : « Tel de nos boulets a tué six hommes. » Tous ses plans de bataille sont faits pour le projectile. Faire converger l’artillerie sur un point donné, c’était là sa clef de victoire. Il traitait la stratégie du général ennemi comme une citadelle, et il la battait en brèche. Il accablait le point faible de mitraille ; il nouait et dénouait les batailles par le canon. Il y avait du tir dans son génie. Enfoncer les carrés, pulvériser les régiments, rompre les lignes, broyer et disperser les masses, tout pour lui était là : frapper, frapper sans cesse, et il confiait cette besogne au boulet. Méthode redoutable, et qui, jointe au génie, a fait invincible pendant quinze ans ce sombre athlète du pugilat de la guerre. (Victor Hugo, les Misérables.)

l’administrateur.

..... Trouvant l’administration des provinces dans le même état que les autres parties du gouvernement, il fit, comme pour la législation civile, la part des notions du passé, des exagérations du présent, et, empruntant le vrai ici et là, il créa l’administration moderne. (Thiers, Hist. du Consulat et de l’Empire.)

..... Heureusement pour le genre humain, cet homme, qui portait l’enfer dans son cœur, portait aussi le chaos dans sa tête. Semblable à un volcan, il engloutissait, il dévorait tout ce qu’il venait de produire. Lui-même il a renversé cet effrayant colosse d’une monarchie universelle qui déjà semblait écraser l’Europe sous son poids. Ses inconséquences, ses contradictions, ses caprices en ont hâté la chute plus que les batailles perdues. D’abord, l’administration, cette base de la puissance, n’était qu’un tissu de contradictions.

Détruisant à chaque instant ce qu’il venait de créer, Bonaparte ne présentait à ses serviteurs les plus fidèles aucun point fixe auquel ils auraient pu rattacher leurs idées, leurs discours, leurs actions. Déclamer contre les privilèges de l’ancien régime et en créer de nouveaux, instituer des chambres de commerce et opprimer le négociant par les droits réunis et par une douane vexatoire ; fonder les finances sur l’impôt foncier et, enlever les bras à l’agriculture ; mettre son nom à un code nouveau et signer mille lettres de cachet ; maintenir le jury et établir des commissions militaires et prévôtales ; dépenser des millions pour l’impression d’un volume magnifique et lever sur la librairie un impôt arbitraire et exorbitant ; accorder de magnifiques pensions, des places et des honneurs à de médiocres versificateurs, mais laisser dans l’oubli ou dans l’éloignement l’homme de génie ; voilà quelques-unes des innombrables contradictions de l’administration napoléonienne. Elle n’a eu de direction constante, uniforme, imperturbable que lorsqu’il s’agissait de lever de argent et des hommes. (Malte-Brun, 1815.)

Quiconque a la justice a tout ; le système napoléonien l’organise de manière à mettre la magistrature, et par elle la fortune, la liberté, la vie de chaque citoyen, à la discrétion du pouvoir. Guidée, ici comme toujours, par le vrai sentiment des conditions de la démocratie, la Révolution avait poursuivi deux choses : une simplification de la justice qui la rendît accessible à tous, l’indépendance et la responsabilité des magistrats, fondées sur l’application du système électif au choix des juges, sur l’institution du jury, sur la publicité de l’instruction et des débats. Le régime napoléonien ne peut supporter ni publicité de l’instruction ni indépendance du juge. L’instruction devient secrète, on dénature le jury sans le détruire, on anéantit l’indépendance du juge sous prétexte de l’assurer. La constitution de l’an VIII prend soin de régler que tous les juges, sauf les seuls juges de paix et ceux de la cour de cassation, seront nommés par le premier consul, et cette disposition trahit le but qu’on se propose. On attache l’inamovibilité aux fonctions du juge, pour garantir son indépendance. Mais les tribunaux et les cours forment une hiérarchie qui sans cesse offre aux yeux de chaque magistrat la perspective des faveurs ou des disgrâces. On irrite par l’avancement l’ambition et l’espérance, aussi corruptrices que la peur. L’inamovibilité devient bientôt elle-même une faveur qu’il faut mériter : le sénatus-consulte de 1807 établit que les juges ne sont inamovibles qu’au bout de cinq ans d’exercice ; c’est plus qu’il n’en faut pour reconnaître l’honnêteté indomptable, qu’on écarte, et discerner les caractères faits pour servir. Bonaparte détestait le jury et ne s’en cachait pas ; il le conserve cependant, mais à condition qu’il soit « bien composé, » c’est-à-dire formé par l’administration, et qu’il condamne à la simple majorité, deux conditions dont l’une détruit la sincérité et dont l’autre pervertit l’esprit de l’institution. Ces précautions ne suffisent pas au pouvoir. Il se délie des juges qu’il nomme et des jurés triés de sa main. Des tribunaux d’exception sont établis sous le Consulat, confirmés au début de l’Empire, maintenus par le code d’instruction criminelle décrété en 1808. Les cours spéciales jugent, en dernier ressort, sans recours en cassation, tous les crimes politiques, et le vague de leurs attributions les met à même de tout attirer à elles. Est-ce tout ? Pas encore. Le décret de 1810 sur les prisons de l’État confère au pouvoir le droit d’y enfermer « ceux qu’on ne peut ni faire passer en jugement ni laisser en liberté sans compromettre la sûreté de l’État. » Tout homme dont on veut se défaire peut disparaître à jamais, sans jugement. Ainsi le célèbre Palafox, pris à Saragosse, avait été enfermé à Vincennes, après qu’on avait eu soin d’enterrer solennellement une bûche à sa place. En un mot, la loi menace tout le monde, elle ne protège personne. (République française, 16 janvier 1873.)

LA FRANCE LUI DOIT-ELLE SES DÉSASTRES ?

Quelle est donc la classe d’hommes qui pourrait désirer le retour de Buonaparte ? Sont-ce les pères de famille, dont il décimait les enfants ; les citoyens industrieux, dont il arrêtait les travaux ; les habitants des campagnes soumis à des impôts arbitraires, et les braves défenseurs de la patrie, dont il usurpait la gloire, et qu’il exposait sans remords à la rigueur dévorante des hivers, plus terribles que le fer de l’ennemi ?

On lit, dit-on, sur ses drapeaux, cette inconcevable devise : La liberté, la gloire et la paix. La liberté ! il en fut l’assassin ; la victoire ! ses fautes et les fureurs de son ambition ont amené l’étranger dans la capitale même de la France ; la paix ! il n’a vécu que pour la guerre et par la guerre. Combien de fois n’a-t-il pas repoussé la paix, qui est l’objet de tous nos vœux ! et par quelle dérision amère nous parle-t-il de paix au moment même où il nous menace de toutes les horreurs de la guerre civile ! (Jay, Journal de Paris du 10 mars 1815.)

N’est-ce pas Buonaparte, et Buonaparte seul, qui a rassemblé de tous les points de l’Europe, pour les amener comme par la main sur nos frontières, ces multitudes d’armées formidables ; et lorsqu’elles ont eu atteint les frontières, n’est-ce pas Buonaparte encore qui n’a rien fait pour les empêcher de les franchir ? La France envahie était bonne pour se défendre et lui avec elle. Sa politique hasardeuse ne voyait dans l’invasion de notre territoire, dont, après tout, les peuples lui sont étrangers, qu’un prétexte aux impôts arbitraires et sans bornes, aux conscriptions anticipées, aux levées en masse, à l’armement des femmes et des enfants, à toutes sortes de mesures destructives pour nous, sur lesquelles il fondait le salut des siens. C’est Buonaparte encore qui a presque doublé les maux de cette guerre, en grevant nos campagnes de la subsistance et de l’entretien de nos propres armées, qu’il laissait sans vivres, sans vêtements, sans chevaux pour les transports, tandis que lui-même tenait en réserve des trésors, dont une faible partie, soustraite à la rapacité de sa famille, a suffi pour payer tout à la fois un mois de solde de cette même armée. Et que dire de l’affreux despotisme qui livrait nos villes sans murailles aux horreurs des sièges et des assauts, en exigeant d’elles une résistance insensée ?

Il est certain que les alliés n’ambitionnaient pas d’envahir la France ; leur conduite à Paris est actuellement le témoignage irréfragable de la sincérité de leurs déclarations sur les bords du Rhin, et le sens clair de ces déclarations n’est autre que celui-ci : « Donnez-nous un gouvernement avec lequel nous puissions vivre en paix. » Dès lors, nous avons eu l’alternative ou d’abolir la tyrannie, ou de laisser périr la patrie. Loin de moi l’idée de rappeler un choix dont nous avons depuis réparé, sinon l’immense dommage, du moins la honte. Mais ce qu’aujourd’hui encore il n’est point inutile de redire, c’est que, Buonaparte et son gouvernement subsistant, l’invasion de la France était d’une nécessité absolue pour les puissances de l’Europe ; il fallait, pour leur salut à toutes, qu’elles brisassent la verge de fer avec laquelle Buonaparte dirigeait, au gré de son ambition, un peuple tel que les Français. Il était inévitable que la France fût accablée à son tour pour son opiniâtreté à se faire l’instrument des fureurs du plus dangereux comme du plus imprévoyant des conquérants ; rien désormais ne pouvait la soustraire à ce grand acte de représailles. Mais, après cela, quel abîme de misère et de honte s’il lui eût fallu demeurer esclave de Buonaparte vaincu ! Par fortune, le sang de nos souverains légitimes n’avait point été tout épuisé ; il s’est trouvé des Bourbons pour faire que nous ne demeurassions pas sous un joug avili : grâce à eux, les Français, rendus à leurs rois, rendus à eux-mêmes, pourront se vanter du moins de n’avoir été asservis qu’aussi longtemps que la main qui les tenait enchaînés les a conduits à la victoire. (Boutard, Journal de Débats, 10 mai 1814.)

... Quoi ! il reviendrait avec des sentiments pacifiques, celui qui n’a jamais rien oublié, rien pardonné ; qui ne goûte de plaisir et de bonheur que dans le sang et la vengeance ; celui qui n’a jamais tenu sa parole ni dans les traités publics, ni dans les traités particuliers ?

Non ! il ne peut revenir avec des sentiments pacifiques. Quand le ciel, par un miracle inespéré, pourrait amollir son cœur de bronze ; quand la nature se tairait chez lui, les circonstances et sa situation le forceraient de devenir cruel.

Il serait cruel, parce qu’il ne verrait autour de lui que des ennemis ou des hommes suspects. Il serait cruel, parce qu’il aurait sans cesse présent à sa pensée le vœu de la nation, qui l’a déclaré indigne du trône, et le décret des représentants du peuple qui l’en a déclaré déchu.

Il serait cruel, parce que les puissances alliées l’attaqueraient de toutes parts, et que, dans son désespoir, il chercherait sa sûreté dans la terreur et les supplices.

Ainsi, tous les intérêts, toutes les considérations se réunissent pour le repousser. Hommes, femmes, enfants, vieillards, tous sont intéressés à cette cause. Les vieillards, pour épargner à leurs cheveux blancs l’affront d’une nouvelle servitude ; les hommes, pour sauver leur fortune ; les femmes, pour sauver leurs enfants ; les enfants, pour ne pas redevenir, sous la main du tyran, de la chair à canon.

Rappelez-vous qu’il a été un temps où telle était la consommation des hommes, le massacre de nos guerriers, que, par un calcul rigoureux, le terme moyen de la vie d’un conscrit était estimé à six mois. Vous-mêmes, soldats égarés, qui avez déserté vos drapeaux pour ceux de Bonaparte, que deviendriez-vous si la fortune ennemie couronnait votre criminelle entreprise ? Dans trois ans, il ne resterait pas un seul d’entre vous.

Rappelez-vous ces hôpitaux où les morts et les mourants étaient entassés ; ces temps malheureux où la contagion exhalait ses vapeurs meurtrières dans nos villes, dans nos campagnes, moissonnait la fleur de nos générations et privait la vie humaine de sa jeunesse comme les saisons de leur printemps.

Si nous ne marchions pas aujourd’hui contre lui, il faudrait marcher demain pour lui. Il faudrait, pour satisfaire son insatiable ambition, traverser de nouveau les fleuves, franchir les montagnes, porter la désolation dans des régions lointaines, aller, au prix de notre sang, relever les trônes de Westphalie, d’Italie, d’Espagne, etc., et peut-être même aller encore expirer dans les déserts glacés de la Russie. (L’abbé Salgues, Journal de Paris, 18 mars 1815.)

..... Les richesses que vingt-cinq années de calamités n’ont pu entièrement épuiser suffisent encore pour placer la France au rang des États où les finances ont le plus de ressources.

Elles n’étaient pas détruites, ces richesses, au moment où s’éleva ce gouvernement dont le principal talent consistait à placer toujours la nation dans ces positions critiques où un effort appelait un autre effort, où le patriotisme était contraint de seconder la tyrannie, où l’homme national n'avait à choisir qu’entre l’oppression étrangère et l’oppression domestique.

Qu’a-t-il fait de l’autorité suprême, celui qui ne s’est pas contenté de la part qu’il avait à la gloire nationale ? De tous côtés, il va conquérir la haine, amasser des vengeances, prodiguer le sang et les trésors, et contraindre les puissances rivales à découvrir dans leur propre sein des forces qu’elles ne se connaissaient pas. Dès lors, le destin des combats est abandonné à la puissance du nombre : on voit des multitudes s’entre-choquer, les peuples tout entiers précipités les uns sur les autres ; et lorsqu’enfin l’Europe désespérée conjure contre son oppresseur et le nôtre, ses ennemis l’accablent à son tour sous le poids énorme des masses qu’il leur a appris à soulever. (Pastoret, Adresse de la Chambre des pairs à Louis XVIII.)

Encor Napoléon ! encor sa grande image !
           Ah ! que ce rude et dur guerrier
Nous a coûté de sang et de pleurs et d’outrage
           Pour quelques rameaux de laurier !
Ce fut un triste jour pour la France abattue,
           Quand du haut de son piédestal,
Comme un voleur honteux, son antique statue
           Pendit sous un chanvre brutal.
Alors on vit au pied de la haute colonne,
           Courbé sur un câble grinçant,
L’étranger, au long bruit d’un bourra monotone,
           Ébranler le bronze puissant ;
Et quand sous mille efforts, la tête la première,
           Le bloc superbe et souverain
Précipita sa chute et sur la froide pierre
           Roula son cadavre d’airain ;
Le Hun, le Hun stupide, à la peau sale et rance,
           L’œil plein d’une basse fureur,
Aux rebords des ruisseaux, devant toute la France,
           Traîna le front de l’empereur.
Ah ! pour celui qui porte un cœur sous la mamelle,
           Ce jour pèse comme un remord ;
Au front de tout Français, c’est la tache éternelle
           Qui ne s’en va qu’avec la mort.
J’ai vu l’invasion, à l’ombre de nos marbres,
           Entasser ses lourds chariots ;
Je l’ai vue arracher l’écorce de nos arbres
           Pour la donner à ses chevaux ;
J’ai vu l’homme du Nord, à la lèvre farouche.
           Jusqu’au sang nous meurtrir la chair,
Nous manger notre pain, et jusque dans la bouche
           S’en venir respirer notre air ;
J’ai vu, jeunes Français, ignobles libertines,
           Nos femmes, belles d’impudeur.