Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 11, part. 2, Molk-Napo.djvu/414

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’un enfant mâle était l’héritier de César. L’accouchement de Marie-Louise avait été laborieux ; on fut obligé d’employer le forceps, et la vie de l’enfant fut un moment menacée. Aussitôt qu’il eut jeté un cri, il fut créé roi de Rome, grand-aigle de la Légion d’honneur, grand-croix de la Couronne de fer et il reçut la Toison d’or. Casimir Delavigne et Michaud sentirent l’inspiration descendre sur leur front et composèrent chacun un dithyrambe. La ville de Paris offrit, pour berceau du jeune prince, ce magnifique vaisseau de vermeil, emblème de Lutèce, que l’on a vu longtemps au musée des Souverains ; puis, après tant de marques d’enthousiasme, réel ou simulé, le silence se fit autour du roi de Rome ; on sut seulement que Napoléon lui avait donné pour gouvernante la duchesse de Montesquiou, afin de suivre les royales traditions, et les feuilles officielles racontèrent, suivant l’habitude, quelques traits enfantins de l’altesse au maillot. Le 6 septembre 1812, sur les bords de la Moskova, la veille de la terrible bataille de ce nom, Napoléon, qui était justement en train de perdre, par ses gigantesques folies, son trône et celui de son fils, reçut de Paris, des mains de M. de Beausset, préfet du palais, le portrait du roi de Rome, peint par Gérard. Le grand artiste l’avait représenté à demi couché dans son berceau, jouant, en guise de hochets, avec le sceptre et le globe du monde. L’empereur s’interrompit au milieu de ses dispositions pour la bataille du lendemain et montra, tout joyeux, ce portrait à son état-major ; il le fit saluer par sa garde. Il ne revit son fils que deux fois, à son retour de la Bérézina et après Leipzig ; il le présenta alors aux officiers de la garde nationale parisienne, réunis aux Tuileries pour le premier jour de l’an 1814, et le confia à leur patriotisme, dans une de ces scènes théâtrales qu’il affectionnait. La frontière était alors envahie de toutes parts. Paris allait être menacé, et Napoléon, revenant peu de temps après sur ses dispositions premières, prescrivit à son frère Joseph de faire retirer l’impératrice et le roi de Rome au sud de la Loire. Marie-Louise et son fils, accompagnés du roi Jérôme et d’une faible escorte de cavaliers, arrivaient à Blois en même temps que les alliés entraient à Paris (30 mars 1814) ; quelque temps après, ils étaient à Orléans, où ils logèrent à l’évêché. Là, il se passa un fait odieux que les historiens bonapartistes ont laissé de côté. Le roi Jérôme, qui savait qu’un des fourgons renfermait des diamants pour une somme énorme et quatre millions en or, résolut de laisser là l’impératrice et de sauver la caisse. Au milieu de la nuit, il essaya d’enlever le fourgon laissé à la garde d’une seule sentinelle, sur le parvis de la cathédrale, et comme la sentinelle, qui ne connaissait que sa consigne, menaça d’appeler aux armes, Jérôme lui cassa la tête d’un coup de pistolet ; le poste accourut au bruit et l’on arrêta le voleur. C’était une affaire manquée. Tel était pourtant le trouble qui régnait alors qu’on le relâcha, malgré le flagrant délit, et qu’il continua le voyage jusqu’à la frontière. Cet épisode scabreux de l’histoire des Bonaparte est raconté par Vaulabelle (Histoire des deux restaurations), et les pièces justificatives existent aux archives d’Orléans. On sait que Maubreuil a aussi prétendu avoir été chargé par divers personnages, entre autres par Talleyrand, d’assassiner le roi de Rome pendant ce voyage, s’il en trouvait l’occasion, ou tout au moins d’enlever le fameux fourgon aux diamants, but, comme on le voit, de bien des convoitises. Ce ne fut donc pas sans danger que l’impératrice et son fils réussirent à gagner le Rhin, qu’ils franchirent près de Huningue à la fin d’avril.

Dans l’acte d’abdication de Fontainebleau, Napoléon avait réservé les droits du roi de Rome, proclamé empereur sous le nom de Napoléon II, avec Marie-Louise comme régente. Cette clause fut considérée comme non avenue par les alliés, maîtres de la France et décidés à rétablir les Bourbons. Ce fut également en vain qu’à son départ pour l’île d’Elbe, il demanda que sa femme et son fils pussent l’accompagner ; les alliés décidèrent que le jeune prince serait confié à son grand-père, l’empereur d’Autriche, et qu’il porterait, dès lors, le titre de duc de Reichstadt. Durant les Cent-Jours, Napoléon renouvela sa réclamation ; il ne lui fut même pas fait de réponse, et l’issue de la bataille de Waterloo coupa court aux négociations. Quelques membres de la Chambre proclamèrent une seconde fois Napoléon II, en vertu de la seconde abdication ; les manœuvres du duc d’Otrante empêchèrent toute action efficace jusqu’à ce que les alliés fussent dans Paris, et alors on trouva qu’il était trop tard. Pendant ce temps, le jeune prince, entouré d’une garde soupçonneuse et objet de précautions infinies, était retenu à Vienne et confié à un gouverneur qui prit le nom de grand maître, le comte de Dietrischtein, spécialement chargé d’empêcher qu’il n’eût la moindre communication avec le dehors, surtout avec des Français. Cet enfant inquiétait l’Europe ; et, en effet, l’alliance des républicains et des bonapartistes, devenus amis en face des Bourbons, la force encore redoutable des débris de l’armée réunie derrière la Loire offraient des points d’appui sérieux, à ceux qui auraient voulu prolonger l’Empire. De plus, il est certain que, aux mains de l’Autriche et de ses alliés, Napoléon II était un épouvantail qui leur servait à tenir en respect les Bourbons, à exiger d’eux une plus dure rançon de la France ; à la moindre velléité de résistance, ils menaçaient de le reconnaître. Après la conclusion des traités, les alliés ne songèrent plus qu’à se garantir eux-mêmes et à empêcher à tout prix que le fils suivit jamais les traces de son père.

Par une première convention, le duché de Parme avait été donné en souveraineté à Marie-Louise, avec réversibilité au duc de Reichstadt (11 juin 1817) ; la clause de réversibilité fut annulée quelques années après, sur la demande des Bourbons, qui voyaient avec terreur qu’un jour, une fois souverain, il pourrait vouloir compter avec eux. Afin de mater ce qu’il pouvait avoir d’intelligence, on négligea son éducation au point qu’à seize ans il ne savait rien de l’histoire de France. Retenu comme prisonnier dans les palais impériaux, principalement à Schœnbrunn, objet d’une surveillance qui ne se relâchait pas un instant, il ne vit jamais que des personnes étrangères à son entourage domestique, dom Manuel de Portugal, qui était de séjour à Vienne et grand ami du comte de Metternich, et, dans ses dernières années, Marmont, duc de Raguse, chassé de France par la révolution de 1830. Aucun écrit ne lui parvenait sans avoir été scrupuleusement examiné par ses gardiens ; jamais, surtout, on ne permit qu’il reçût des nouvelles de son père, qui, de son côté, était laissé à son égard dans la plus complète ignorance. Quand il eut quinze ou seize ans, on lui fit apprendre l’histoire, réduite à une simple chronologie, et quelques théorèmes de géométrie. On prétend que, surpris de tant de précautions, il se serait écrié un jour : « Mais que veulent-ils donc faire de moi ? Pensent-ils que j’aie la tête de mon père ? » Rarement on put le voir en public ; c’était un beau jeune homme, d’une taille élevée, aux cheveux blonds et aux yeux bleus, très-bon écuyer et se plaisant à monter à cheval. L’empereur François le créa colonel d’un régiment, puis gouverneur de Gratz, en Styrie, une ville qu’il ne connaissait même pas.

Depuis la mort de Napoléon, le parti libéral en France tournait volontiers les yeux vers lui ; il ne parait pourtant pas qu’aucune tentative sérieuse ait été faite pour le délivrer. Son nom servait de signe de ralliement à l’opposition. Béranger en fit le thème d’une de ses chansons, les Deux cousins, où il supposait une épître adressée par le duc de Reichstadt au duc de Bordeaux. Barthélémy fit le voyage de Vienne pour lui remettre un exemplaire de son poëme, Napoléon en Égypte, et ne put parvenir à le voir ; il composa à ce sujet, sous le titre du Fils de l’homme (1829), une si éloquente apologie de Napoléon II, qu’il se vit condamner à trois mois de prison pour écrit séditieux. On trouve dans les notes de ce poème quelques détails assez curieux sur le jeune prince, entre autres cette réponse que fit le comte de Dietrichstein à sa demande d’audience : « Ne savez-vous pas que la politique de l’Autriche et celle de la France s’opposent à ce qu’aucun étranger et surtout un Français soit présenté au prince ?... Est-il bien vrai que vous soyez venu à Vienne pour le voir ? On se fait en France des idées bien fausses et bien ridicules sur ce qui se passe ici. Le prince n’est pas prisonnier, mais il se trouve dans une position toute particulière. Soyez bien persuadé qu’il ne voit, ne lit et n’entend que ce que nous voulons. S’il recevait une lettre, un livre qui eût trompé notre surveillance, il ne le lirait pas sans que nous lui eussions dit qu’il peut le faire sans danger. Son premier soin serait de nous le remettre. » Tenu dans cet état de sujétion, le fils de Napoléon ne tarda pas à s’étioler ; sa tristesse et sa pâleur maladive frappaient les quelques personnes qui purent l’apercevoir et firent même conjecturer qu’on le soumettait à un régime particulier, renouvelé des empoisonnements lents du moyen âge. Barthélémy, qui put apercevoir le jeune prince au théâtre, s’est fait l’écho de ce bruit :

À la cour de Pyrrhus j’ai vu le fils d’Hector !...
Quel germe destructeur, sous l’écorce agissant,
A sitôt défloré ce fruit adolescent ?

Ce qui est certain, c’est que, accablé à vingt ans de la plus grande lassitude, indifférent à tout et même à la vie, il s’écriait sans cesse : « Qu’on me laisse mourir en paix. » Au lendemain de la révolution de 1830, une fraction du parti libéral, qui avait fait son idole du fils de Napoléon, songea à l’appeler au trône ; Talleyrand, ce ténébreux artisan de toutes les trames de 1814 et de 1815, se chargea même de faire agréer cette proposition à l’Autriche ; mais il fut accueilli si froidement qu’il repartit de Vienne le soir même de son arrivée. Les bonapartistes s’agitèrent plus secrètement ; la comtesse Camerata, fille de la princesse Bacciochi, fit remettre au duc de Reichstadt deux lettres dans lesquelles elle lui rappelait la mort de son père à Saint-Hélène et l’exhortait à le venger. Il refusa dans des termes qui prouvent que sa réponse lui fut dictée. En 1831, lorsqu’il fut question de donner un roi à la Belgique, quelques enthousiastes mirent encore en avant le nom du duc de Reichstadt. Ce fut alors à Louis-Philippe d’avoir peur : « Nous ne souffrirons jamais, s’écria Casimir Périer, qu’un membre de la famille Bonaparte règne aux portes de la France, ni que Bruxelles soit un foyer de révolutions. » Il est bien probable que le prince ne sut jamais l’honneur qu’on avait voulu lui faire ; l’année suivante, il délivra d’inquiétude tous les souverains en mourant, suivant les uns, du cancer d’estomac héréditaire dans sa famille, et, suivant d’autres, de phthisie. Il avait un peu plus de vingt et un ans. On lui fit des funérailles magnifiques et son corps fut inhumé dans la cathédrale de Vienne. Sa mort a inspiré à Victor Hugo une de ses plus belles odes, Napoléon II, dans le recueil intitulé Feuilles d’automne.


NAPOLÉON III (Charles-Louis-Napoléon Bonaparte), dernier empereur des Français, né à Paris, au château des Tuileries, le 20 avril 1803, mort à Chiselhurst, comté de Kent (Angleterre) le 9 janvier 1873. Celui qui devait ressusciter l’Empire en procédant, comme le premier Napoléon, par un coup de main contre la représentation nationale et tomber du trône en déchaînant sur la France les effroyables malheurs d’une nouvelle invasion étrangère, était le dernier des trois fils nés pendant l’union du roi de Hollande, Louis Bonaparte, frère de Napoléon Ier, avec Hortense de Beauharnais. L’aîné de ces enfants était Charles-Louis, né en 1802, mort, à peine âgé de cinq ans, en 1807, et le cadet, Napoléon-Louis, né en 1805, mort pendant l’expédition de Forli, en 1831. Marié en deux jours et malgré lui à Hortense de Beauharnais, déjà citée pour sa légèreté de conduite, et dont Duroc refusait la main, Louis Bonaparte avait trouvé dans cette union forcée une cause permanente de tristesse et de douleurs domestiques. Longtemps avant la naissance de son troisième enfant, Hortense comptait au nombre de ses amis les plus intimes l’amiral hollandais Charles-Henri Verhuell, celui-là même qui, en 1806, avait présidé la députation chargée de demander Louis Bonaparte pour roi de Hollande. L’amiral fut présent, le 20 avril 1808, à l’acte officiel qui constata la naissance de Louis ; à ce propos, la chronique scandaleuse mit en circulation des bruits qu’on a rapportés depuis. D’autre part, le pauvre roi de Hollande paraît avoir eu des doutes au sujet de ses droits réels à cette paternité nouvelle ; il en témoigna, dit-on, son mécontentement à sa féconde épouse, qui, à partir de ce moment, lui épargna la douloureuse nécessité de laisser son nom couvrir les fruits de ses amours clandestines (v. Morny). D’après M. Élie Sorin (la France impériale, 1873, p. 28), plus tard, lors de l’insurrection des Romagnes, dont il sera parlé plus loin, il aurait écrit à Grégoire XVI : « Saint-père, mon âme est accablée de tristesse et j’ai frémi d’indignation quand j’ai appris la tentative criminelle de mon fils (Napoléon-Louis) contre l’autorité de Votre Sainteté. Ma vie déjà si douloureuse devait donc encore être éprouvée par le plus cruel des chagrins, celui d’apprendre qu’un des miens ait pu oublier toutes les bontés dont vous avez comblé notre malheureuse famille. Le malheureux enfant est mort, que Dieu lui fasse miséricorde ! Quant à l’autre (le futur empereur des Français), qui usurpe mon nom, vous le savez, saint-père, celui-là, grâces à Dieu, ne m’est rien. J’ai le malheur d’avoir pour femme une Messaline qui accouche... »

Quoi qu’il en soit, comme en ce moment Napoléon Ier n’avait pas d’enfant, comme son frère Joseph était dans le même cas et comme les lois de succession du 28 floréal an XII et 5 frimaire an XIII attribuaient de fait les droits d’hérédité à l’Empire, à défaut de descendants directs de Napoléon, aux enfants du roi Louis, le troisième fils d’Hortense fut inscrit sur les registres de la famille impériale, comme étant apte à succéder au trône, en cas de mort de son aîné, qui était alors Napoléon-Louis. Baptisé à Fontainebleau par le cardinal Fesch le 10 novembre 1810, l’enfant eut pour parrain Napoléon et pour marraine Marie-Louise. À cette époque, son père, qui avait abdiqué le trône de Hollande, vivait retiré en Allemagne. Sa mère le garda auprès d’elle à Paris, puis à Saint-Leu pendant la fin de l’Empire et sous la première Restauration. Au commencement de la seconde Restauration, la reine Hortense, à qui Louis XVIII avait donné le titre de duchesse de Saint-Leu, dut quitter la France et emmena avec elle ses deux fils ; mais, à la suite d’un procès que lui intenta en 1815 son mari, elle dut lui rendre son fils aîné. Quant au jeune Louis, il resta auprès de sa mère, qui habita successivement Genève, Aix, en Savoie, Carlsruhe, Augsbourg, en Bavière, et qui acheta en 1819, en Suisse, le château d’Arenenberg, sur les bords du lac de Constance, où elle passa une partie de ses étés et où elle devait terminer sa vie.

Louis Bonaparte eut successivement pour précepteurs Philippe Lebas, fils du conventionnel, et un ancien officier d’artillerie, Vieillard, dont il devait faire plus tard un sénateur. Pendant un séjour de trois ans à Augsbourg, il suivit les cours du gymnase de cette ville, où il s’attacha de préférence à l’étude de l’histoire et des sciences. Taciturne, rêveur, flegmatique comme un Hollandais, dépourvu de facultés brillantes, entêté, et en même temps hésitant de caractère et d’allures, il fut élevé par sa mère dans la pensée qu’il pourrait être un jour l’instrument de la résurrection de l’Empire, et cette perspective ne tarda pas à devenir son idée fixe. L’ex-reine Hortense, qui l’appelait « un doux entêté, » lui inculqua par ses entretiens et ses conseils une confiance aveugle dans sa destinée et dans l’étoile napoléonienne, ce qui explique les idées fatalistes sous l’empire desquelles il devait constamment agir. Ses lettres, ses notes révèlent son rôle tout entier. « Avec votre nom, lui disait-elle, vous serez toujours quelque chose, soit dans la vieille Europe, soit dans le nouveau monde ; les hommes sont partout et en tout temps les mêmes : ils révèrent malgré eux le sang d’une famille qui a possédé une grande fortune. Un nom connu est le premier à-compte fourni par le destin à l’homme qu’il veut pousser en avant. Un prince doit savoir se taire ou parler pour ne rien dire. Évitez d’appartenir si exclusivement à personne que vous ne puissiez plus vous délier. Du reste, soyez fidèle à vos amis. Dans notre disgrâce actuelle, incertain de ce que vous pouvez devenir, ne vous laissez pas désespérer. Toujours l’œil aux aguets, surveillez les occasions propices. Partout il se produit des caprices d’imagination qui peuvent élever aux nues l’héritier d’un homme illustre. Héritiers de Napoléon, vous et votre frère, vous l’êtes assurément après le roi de Rome. L’empereur votre oncle a pu établir son autorité en donnant à tous les partis l’espérance particulière qui amusait la badauderie royaliste ou républicaine. Le gros de la nation est court d’idées, facile à émouvoir, facile à calmer, aisément enthousiaste pour les hommes qui tiennent le pouvoir. On leur demande rarement où sont leurs titres, pourvu qu’ils rassurent les intérêts, et tous les moyens de régner sont bons, suffisants, légitimes, pourvu qu’on maintienne l’ordre matériellement. » Ces maximes s’imprimèrent profondément dans l’esprit du jeune homme et donnent en quelque sorte la clef de sa conduite. Il ne se lassa jamais d’espérer, de surveiller les occasions propices, d’amuser « la badauderie royaliste ou républicaine, » persuadé que, pour arriver au pouvoir et y rester, tous les moyens étaient également bons et légitimes. M. de Sybel, dans une intéressante étude publiée en 1873, cite un trait qui jette un jour sur le caractère de celui qui devait ordonner les massacres et les proscriptions de décembre 1851. Le jeune prince Louis avait eu en Suisse, pour compagne de jeux, une sœur de lait (Mme  Cornu), qui plus tard, Sous l’Empire, jouit d’une si grande influence qu’elle conserva toujours. M. de Sybel, introduit auprès d’elle, lui demanda un jour si l’empereur était sensible : « Certainement, il est sensible, s’écria-t-elle, et tout à fait dans le sens allemand du mot. Il est d’une nature tendre et bienveillante. Il voudrait toujours répandre la joie autour de lui ; il a pour les hommes la même sollicitude qu’un jardinier a pour ses fleurs. Mais il est dans son âme une corde qu’il ne faut pas toucher ; je veux parler de tout ce qui a rapport au droit et à la grandeur de sa dynastie. Qu’on le contredise sur ce point, alors il éclate ; sa violence ne connaît plus de bornes ; il devient un tigre. » Elle ajouta à cette peinture un souvenir de leur commune enfance. Le prince pouvait avoir douze ans ; causant avec lui dans le jardin, sous les fenêtres du château d’Arenenberg, elle arriva à le railler malicieusement au sujet de ses rêves impériaux. Un éclair brilla soudain dans les yeux du prince ; mais il se contint, continua de causer avec abandon et entraîna sa compagne dans le parc du château, jusqu’à une place où ils étaient à l’abri de tout regard. Là, il s’élance sur elle, et lui saisissant le bras des deux mains : « Rétracte ce que tu as dit, s’écrie-t-il avec fureur, rétracte, ou je te brise le bras ! » Et il la serrait si violemment, dit-elle, que pendant huit jours elle ne remua ce bras qu’avec peine.

En Suisse, il continua ses études, se rendit habile dans les exercices du corps, apprit l’allemand, puis l’italien pendant plusieurs séjours qu’il fit en Italie, et commença, sous la direction de M. Vieillard, à s’occuper à la fois de sciences militaires et de politique. Devenu jeune homme, il laissa de côté la philosophie pour suivre avec curiosité tous les débats, tous les plans relatifs à l’organisation sociale et politique. « Les plus douteuses élucubrations de l’utopie, dit M. A. Morel, ne surprenaient ni ne rebutaient cet esprit accessible à l’impression de tous les rêves ; il se les assimilait en les mêlant à ses propres chimères. Elles ont marqué leur trace dans sa pensée ; elles sont la seule chose vraiment nouvelle qui soit venue s’adjoindre et se juxtaposer en lui à la pure foi bonapartiste. C’est par ce vague socialisme qu’il a cru rectifier, agrandir et reconstituer le système napoléonien. » Vers cette époque, il suivit les cours de l’école de Thun, dans le canton de Berne, où, sous la direction du général Dufour, il apprit la théorie et les manœuvres de l’artillerie et du génie. Entre temps, il faisait des excursions en Allemagne, allait voir à Florence son frère, qui avait épousé sa cousine Charlotte Napoléon, et entrait en relation avec les carbonari. Ce fut alors qu’ils se firent affilier l’un et l’autre à cette célèbre société secrète et qu’il prêta le serment de combattre pour l’indépendance de l’Italie.

La nouvelle de la révolution de juillet 1830, qui expulsait les Bourbons du trône, vint raviver tout à coup les espérances des Bonaparte exilés. Le jeune prince Louis allait partir pour Paris, lorsqu’il apprit l’avé-