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SUDR

Sudorifères. il On ditplus ordinairement sudorifique.

SUDORIFIQUE adj. (su-do-ri-fi-ke — du ]at. sudor, sueur ; facere, faire). Méd. Qui provoque ou augmente la sueur : Tisane su DORIF1QUE,

— s. m. Remède qui provoque la sueur :

Les SUDORIFIQUES.

— Encycl. Comme les sudorifiques agissent d’autant mieux qu’ils sont administrés dans un véhicule aqueux plus chaud et plus abondant, certains médecins ont prétendu qu’ils ne devaient leurs propriétés diaphoniques qu’à l’eau et au calorique qu’ils introduisent dans l’économie. Il y a là une exagération évidente, et il est certuiu que plusieurs de ces substances ont sur la peau une action manifeste due à leur composition spéciale. Les sudoriftques s’emploient avec avantage dans les affections dartreuses et autres maladies chroniques de la peau, contre les rhumatismes, la goutte, les hydropisies et certaines affections catarrhales. On les ad’ ministre aussi dans la syphilis constitutionnelle comme adjuvants des mercuriaux et de l’iodure de potassium. Ils sont utiles dans tous les cas où on peut espérer chasser par la voie des sueurs les principes septiques introduits dans l’économie.

Les remèdes sudoriftques se rencontrent dans les trois règnes de la nature. Le règne minéral fournit le soufre, les sulfures et Us antimoniaux. Le règne végétal offre un très-grand nombre de plantes dont les infusions chaudes sont diaphoniques, pourvu que la peau se trouve placée en même temps dans des conditions anatomiques et physiologiques qui permettent la sueur. Les principales sont : le gaïac, la salsepareille, la squine, le sassafras, les fleurs de sureau, la plupart des labiées et des ombellifères aromatiques en infusion. Le règne animal fournit le musc, le castoréum et l’ammoniaque avec ses sels. Mais ces derniers médicaments ont, ainsi que ceux qui sont tirés du règne minéral, une action plus complexe que les précédents.

SUDORIPARE adj. (su-do-ri-pa-re — du lat. sudor, sueur ; pario, j’enfante). Anat. Se dit des glandes qui sécrètent la sueur ; Glandes SUDOR1PARBS.

— Encycl. Les glandes sudoripares existent dans l’épaisseur de la peau de toutes les régions et sont situées dans la couche graisseuse sous-cutanée, au milieu de pelotons graisseux. Elles sont très-abondantes, surtout à la paume de la main et à la plante du pied. Le corps de ces glandes est jaunâtre ; son diamètre est de 0^^,5 à 2mnJ. Le tube qui les constitue par son enroulement est de ûmnijûs à 0™ro,06. Leur canal excréteur s’élève au-dessus de la glande en décrivant des sinuosités, puis il traverse perpendiculairement le derme jusqu’à l’épidevme ;

arrivé là, il décrit des tours de spire, surtout vers les couches superficielles, et vient s’ouvrir à la surface de la peau entre les pupilles. Ces glandes sont formées par un tube en cul-de-sau enroulé sur lui-même vers son extrémité fermée. Le nombre de ses replis vavie depuis six jusqu’à, douze. D’une extrémité à 1 autre, ce tube est formé par une membrane propre, épaisse de omia,03 au plus, résistant à l’action de l’acide acétique, de l’acide nitrique, de l’acide tartrique étendu, tapissée à l’intérieur d’une couche d’épithélium nucléaire, qui remplit complètement le fond de la glande. Cet épithélium devient pavimentetix dans le canal excréteur. Dans le creux axillaire, on trouve des glandes sudoripares plus volumineuses, qui contiennent, dans l’épaisseur de la paroi du conduit excréteur, un certain nombre de fibres musculaires de la vie organique disposées circulairement ; l’épithélium qui le tapisse est

pavimenteux dans toute l’étendue du tube.

SUDORIQUE adj. (su-do-ri-ke — du lat. sudor, sueur).Chim. Se dit d’un acide trouvé dans la sueur.

SUD-OUEST s. m. Direction qui s’écarte du sud autant que de l’ouest : Aller au sudouest. Il Contrée située dans cette direction : Le sud-ouest de la France. Il vent qui souffle de cette direction : Un sud-ouest assez fort.

— Mar. Chapeau à ailes rondes, relevées, à fond bas et plat, couvert de toile cirée, u On l’appelle aussi tapkbord.

— Adjectiv. Qui est au sud-ouest, qui vient du sud -ouest : Vent sud-ouest.

SUD-OUEST-QUART-SUD ou SUD-QUART-SUD-OUEST s. m. Direction qui s’écarte du

sud autant que du sud-sud-ouest. U Contrée située dans cette direction. Il Vent qui souffle de cette direction.

— Adjectiv. : Vent Sud-ouest-quart-sud.

SUDRA s. m. (su-dra). Autre forme du mot soudra.

SUBRE (Jean-Pierre), lithographe français, né à Albi en ;783, mort à Paris vers 1867. Il prit d’abord des leçons de Vigan, professeur de dessin à l’École centrale d’AIbi ; puis, envoyé à l’Académie de Toulouse, il y travailla quelque temps sous la direction de Suau. Vi vint enfin à Paris en 1802, dans l’atelier de David. Des relations de famille l’ayant mis en rapport avec Ingres, les deux compatriotes se mirent à étudier de compagnie. Plus de dix années s’écoulèrent avant que Pierre Sudro songeât à utiliser sa science

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profonde du dessin ; un hasard l’y décida. Ferdinand de Lasteyrie venait d’introduire en France la lithographie (1818). Sudre s’enthousiasma pour la simplicité de cet art nouveau, et, de 1820 à 1823, il lithogruphia, souvent d’après ses propres dessins, 120 portraits pour le Panthéon français, entre autres ceux de Chauveau-Lagarde et de Lanjuinais, d’après Rouillard, qui furent tirés à part et exposés en 1827, avec ceux de Michel-Ange, de Raphaël, de Poussin et les deux Odalisques d Ingres. Parmi ses Portraits, on compte des têtes dessinées et modelées comme les eût dessinées et modelées Ingres lui-même. Quant à ses Odalisques, elles sont trop connues pour qu’il soit m-cessaire d’en indiquer la finesse et l’étégance. En 1831, P. Sudre exposa les Baigneuses de Rioult et Alain C/iartier, d’après Beaume ; en 1837, la Chapelle Sixline d’Ingres, la plus grande lithographie faite jusqu’alors ; en 1838, plusieurs Portraits ; en 1839, Roger et Angélique ; en 1842, le Christ et la Vierge ; en 1844, Cherubini et la Muse d’Ingres Ces reproductions, d’une exactitude merveilleuse, rappellent l’original aussi complètement que les meilleures gravures. En U45, le Comte de Rambuleau, d’après M. Henry Scheffer ; en 1850, la Vierge à la chaise de Raphaël furent également remarqués comme des modèles du genre. En 1853, P. Sudre se présenta au Saion avec Œdipe et le sphinx et Angélique, deux superbes lithographies d’après les tableaux d’Ingres, admirablement reproduits. En 1855, il envoya une seule planche nouvelle, la Vierge au silence d’Annibal Carrache. A cette époque, Sudre n’était déjà plus jeune, et la lithographie, transformée depuis 1830 par Mouilleron, Soulanga-Teissier et d’autres, avait fait d’énormes progrès. Il y eut néanmoins pour lui, dans le rapport que publia le Moniteur, une mention spéciale. Il y était constaté que Sudre, tout en n’ayant pas à son service les procédés nouveaux introduits dans l’art de dessiner sur la pierre, d’en obtenir les noirs profonds, les clairs vaporeux, etc., n’en continuait pas moins à affirmer son talent par des productions d’autant plus remarquables qu’il manquait, pour le faire valoir, des moyens employés par ses concurrents. En 1861, dernier Salon où il parut, Sudre exposa le Christ en croix, d’après Le Brun, et la Muse de la musique d’Ingres, figure dont il aimait la poésie grandiose, la forme austère, et qu’il a interprétée plusieurs fois. Cet artiste a obtenu une 2« médaille en 1828, une 1™ en 1834, une médaille d’or à Toulouse en 1840 et la grande médaille de Prusse en 1848.

SUD-SUD-EST s. m. Direction qui s’écarte autant du sud que du sud-est. Il Contrée située dans cette direction, il Vent qui souffle de cette direction.

— Adjectiv. : Ven* sud-sud-est.

SUD - SUD - OUEST s. m. Direction qui s’écarte autant du sud que du sud-ouest. Il Contrée située dans cette direction. Il Vent qui souffle da cette direction.

— Adjectiv, : Vent sud-sud-ouest.

SCE (Jean-Joseph), anatomiste français, né à La Colle-Saint-Poîl, dans le département du Var, en 1710, mort à Paris le décembre 1792. Il commença sous un chirurgien du pays ses premières études et vint à Paris, où son frère, Jean Sue, qui fut depuis membre de l’Académie royale de chirurgie, tenait un rang honorable parmi les médecins, Joseph Sue se rit inscrire au nombre des élèves del’Hôtel-Dieu et se mit en pension chez l’anatomiste Verdier. Il profita des leçons de cet habile maître et fut bientôt en état de le suppléer dans ses leçons. Il lui succéda, en 1754, comme professeur d’anatornie au collège royal de chirurgie. En 1761, il fut nommé substitut du chirurgien en chef de l’hôpital de la Charité, place qu’il occupa près de vingt-cinq ans. Il était membre de 1 Académie royale de chirurgie, de la Société royale de Londres, de celie de Philadelphie et de plusieurs autres. Il était aussi professeur d’anatornie à l’Académie royale de peinture et de sculpture. On lui doit les ouvrages suivants : Traité des bandages et des appareils (Paris, 1746, in-12) ; Abrégé d’anatornie (Paris, 1748, 2 vol. in-12) ; VAnlhropotomie ou Y Art d’injecter, de disséquer, d’embaumer et de conserver toutes les parties du corps humain (Paris, 1749, in-12) ; Discours prononcé aux écoles de chirurgie en 1750 (1750, in-8o) ; Éléments de chirurgie (Paris, 1755, in-12).

SUE (Jean-Joseph), médecin, fils du précédent, mort en 1831. Il succéda à son père dans les places de chirurgien de l’hôpital de la Charité et de professeur d’anatornie à l’Académie de peinture et de sculpture. Outre une traduction de VAnatomie comparée de Monro, il a publié les ouvrages suivants : Éléments d’anatornie à l’usage des peintres et des sculpteurs (Paris, 1788, in-4o) ; Essai sur la physionomie des corps vivants, considérés depuis l’homme jusqu’à laplante (Paris, 1797, in-8") ; Opinion sur le supplice de la guillotine et sur la douleur qui survit à la décollation (Paris, 1796, in-8o) ; Recherches physiologiques et expérimentales sur la vitalité, suivies d’une nouvelle édition de l’Opinion sur le supplice de la guillotine (Paris, 1797, in-8«).

SUE (Marie-Joseph, dit Eugène), célèbre romancier, fils du précédent, né à Paris le 10 décembre 1804, -^ort à Annecy (Savoie)

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le 3 juillet 1857. Il eut pour parrain le prince Eugène Beaubarnais et pour marraine l’impératrice Joséphine ; mais son parrain, par une singularité, ne voulut pas lui donner son prénom’, suivant l’usage ; le romancier le prit de sa propre autorité. Dès qu’Eugène Sue fut en âge, son père l’envoya faire ses études au lycée Bonaparte. « Il en sortit, dit M. Ernest Legouvé, avant sa rhétorique terminée, sachant par hasard un peu de dessin et de mathématiques. Il flotta longtemps entre plusieurs carrières, entra chez Gudin,où il fit de la marine en peinture, étudia la médecine sous son père, lança quelques articles dans le Figaro et dans la Mode, et fut même le père de deux vaudevilles qui sont aujourd’hui aux Enfants trouvés ; vivant largement en jeune homme, dépensant au hasard et sans compter l’esprit qu’il avait, la fortune qu’il aurait, moqueur insoucieux, véritable enfant de Paris, faisant toujours rire autour de lui, et, avec cela, profondément ennuyé et portant dans son cœur un inconcevable fonds d’amertume et de mélancolie., . Son père le rit enfin partir, comme chirurgien, sur un vaisseau de l’État (le Breslau) -(il avait vingt-trois ans à peu près. Le jour où il arriva abord, il manda ses deux aides et leur dit : Messieurs, je ne sais rien, comme vous vous en apercevrez bientôt ; par conséquent, vous ferez tout, et moi je me charge de l’hygiène du bâtiment.. Puis, après cette étrange confession, il les congédia et alla dormir. Ses voyages durèrent six ans : il alla en Espagne, aux Iles ; il courut l’Océan et la Méditerranée ; il séjourna à Toulon, à Brest, à Lorieivt ; il toucha à presque tous nos ports et revint enfin à Paris, la tête pleine d’images et d’idées nouvelles. » Peu de temps après son retour en France, en 1830, son père mourut, le laissant possesseur d’une fortune de l million, et, dès lois, Eugène Sue ne songea plus à reprendre la mer. U avait, cependant, trop d’intelligence et d’activité pour consentir à laisser reposer sa tête sur l’oreiller de luxe et de paresse que lui faisaient ses titres de rente. Il pensait bien à la littérature, mais vaguement et sans savoir quel genre il devait choisir de préférence. C’est le hasard, raconte encore M. E. Legouvé, qui fit écrire à Eugène Sue sa première scène maritime. Il se trouvait un soir au foyer de l’Opéra, causant littérature et voyages avec un ami de son âge, Aylîc Langlé, qui dirigeait, à cette époque, un journal de théâtre, intitulé la Nouveauté. « Vous devriez, dit celui-ci à Eugène Sue, m’écrire quelque scène maritime. — Volontiers, mais quel sujet prendre ? — Tenez, je me rappelle un trait assez curieux : j’ai un cocher qui a été longtemps matelot, et, l’autre jour, il me disait qu’en. 18., son vaisseau ayant attaqué un brick de corsaire, et celui-ci manquant de munitions, le pirate chargea ses canons de piastres et se défendit bravement avec l’argent qu’il avait volé.-C’est un trait fort caractéristique, reprit Sue, et j’essayerai d’en faire un combat. ■ Huit jours après, le combat était fait, et l’article parut. Il fut beaucoup remarqué, et c’est alors que Sue songea à exploiter le bagage de connaissances maritimes et d’observations de toutes Fortes qu’il avait rapportées de ses voyages U écrivit Plick et Plock (1831, in-8o), roman d’un genre tout à fait neuf chez nous, et qui eut un grand succès, par la manière piquante et parfois trop vraie dont les mœurs des matelots y sont peintes. Immédiatement après, et presque coup sur Coup, paruient Atur-Gull (1S3L, in-S°), la Salamandre (1832, 2 vol. in-S"), la Coucaratcha (1832-1834, 4 vol. n-8°), la Vigie de KoatVen (1833, 4 vol. in-811), dont la vogue alla toujours en croissant. C’est alors qu Eugène Sue, se voyant adopté par le public et proclamé le Cooper français, voulut se livrer à une étude vraiment sérieuse de la science maritime et acquérir en cette matière une érudition qui fît autorité. Il obtint de travailler aux archives de la marine et publia, de 1835 à 1837, Son Histoire de la marine française (5 vol. in-8o), qui contient d’utiles renseignements et présente un habile résumé

de tous les ouvrages de même nature précédemment connus. Cependant le succès fut

médiocre. C’est que par malheur, comme le fait très-finement observer M. Sainte-Beuve, « l’historien, doit être comme la femme de César, ne pas même pouvoir être soupçonné d’infidélité. Or, M. Sue avait été trop évidemment et trop habilement conteur pour ne pas mériter un premier soupçon. » Mais l’hésitation que mit le public à ajouter foi à l’historien n était, en définitive, qu’un nouvel éloge indirectement envoyé à l’adresse du romancier. « A celui-ci, du moins, ajoute M. Sainte-Beuve, l’honneur d’avoir, le premier, risqué le roman français en plein Océan, d’avoir le premier découvert notre Méditerranée en littérature 1 » Les premiers romans d’Eugène Sue témoignent d une imagination puissante, amoureuse, peut-être à l’excès, de l’étrange, du pathétique et de l’horrible. Le style eu est généralement vif, animé, riche en images, rehaussé de couleurs brillantes ; parfois aussi, il est négligé, incorrect et affecté. Mais ce qui apparaît dès le début et revient constamment dans les premiers ouvrages de l’auteur, c’est l’expression d’un amer scepticisme qui s’obstine à n’assigner à toutes les actions humaines qu’un mobile, la vanité, qu’un but, l’intérêt. Kernock mou SUE

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rant marguillier, Atar-Gull recevant le prix de vertu, Vaudrey expirant béat, en rêvant d’anges et de paradis, l’abbé Cillery, Falmouth et les autres, autant de types dans lesquels s’incarnaient le pessimisme de l’auteur et son mépris de l’humanité. On pense bien qu’avec de telles idées Eugène Sue ne devait pas se renfermer longtemps dans le cadre étroit du roman maritime. Ea effet, il aborda bientôt le roman de mœurs, dans lequel il se signala par diverses productions, la plupart très-bien accueillies, et parmi lesquelles il faut citer en première ligne Arthur (183S, 2 vol. iu-8"), le Marquis de Létorière (1839, in-8o), le Morne au di’ible (1842, 2 vol. in-8û) et surtout Mathilde (1841, e vol. in-8o), dont le nom seul rappelle un des plus grands succès littéraires de notre époque. Dans ce qu’on pourrait appeler sa seconde étape, Eugène Sue, ayant reconnu, comme il le dit lui-même dans une préface, « le néant des idées absolues, à mesure qu’il avait expérimenté la vie, ■ se débarrassa de ses idées pessimistes, de sa philosophie fataliste, et, accordant un peu plus à l observation calme et froide, il s’efforça de peindre la société telle qu’elle était, avec ses qualités et ses défauts, ses vertus et ses vices, sans aucun parti pris de passer à côté du bien sans le voir et de ne regarder que le mal. Cette transformation dans les idées de l’auteur-devait influer d’une façon très-sensible sur son talent. C’est ce qui arriva, en effet, et au lieu de toujours peindre, avec une obstination systématique, le mauvais côté des hommes et des choses, au lieu de forcer le ton et de dépasser sans cesse la mesure, il s’appliqua à fondre les nuances, à opposer les couleurs, à montrer les faces aussi bien que les revers de ses médailles, à être vrai enfin. En même temps, il abordait l’histoire, l’étudiait, la fouillait dans tous les sens et faisait part au public de ses découvertes ou, si l’on préfère, de ses impressions, dans deux romans historiques, Latréaumont (1837, 2 vol. in-8o) et Jean Cavalier (1840, 4 vol. in-8o). Jusque-là, cependant, Eugène Sue n’avait guère paru se préoccuper de peindre la société qu’au point de vue de l’art ; son mépris de la corruption qu’il avait signalée, sa haine des vices dont il avait donné d’effroyables tableaux étaient, si l’on peut dire ainsi, platoniques, sans but généreux ni fécond ; en d’autres termes, il avait fait de l’art pour l’art. Mais une transformation nouvelle allait se produire dans son talent, transformation radicale, cette fois, et qui devait avoir pour résultat d’assigner à Eugène Sue une des places les plus honorables dans l’histoire politique et morale de son époque. On était en 1842, et depuis quelque temps déjà un bruit sourd semblait partir des couches inférieures de la société pour monter jusqu’aux brillantes régions de la fortune et du privilège ; il y avait à la fois de la plainte et de la menace dans ces murmures avant-coureurs, et la société tout entière, ou du moins tout ce qu’elle renfermait dans son sein d’esprits hardis et généreux, se prit à réfléchir. On se ressouvint que la monarchie de Juillet avait laissé sans solution la plupart des problèmes sociaux qu’elle s’était donné pour mission de résoudre, et dès lors ce fut à qui déploierait le plus d’intelligence, le plus d’activité, le plus de dévouement à la recherche de la vérité politique, philosophique et sociale. Eugène Sue ne put se défendre de la maladie qui, à cette époque-là, saisissait tous les hommes de cœur, de cette maladie qui s’appelle l’amour du bien, du droit et de la justice *, il sentit qu’il avait une autre mission à remplir que celle d’amuser les oisifs ; il comprit qu’il devait, lui aussi, apporter sa pierre à l’édifice nouveau qu’on s’occupait à construire sur les ruines de celui dont on préparait le renversement. Il entra résolument dans la voie qu’il n’avait pas soupçonnée jusqu’alors et dans laquelle il rencontrait, pour se guider, ce qui lui avait toujours manqué : un idéal, un but. C’est ce but qu’il a poursuivi dans les Mystères de Paris (1842-1843, 10 vol. in-8"), dans le Juif errant (1844-1845, 10 vol. in-8o) et dans toutes ses autres productions jusqu’à la fin de sa vie. L’analyse détaillée que nous avons donnée, dans le courant du Dictionnaire, de chacun de ces ouvrages auxquels le nom d’Eugène Sue doit sa plus éclatante notoriété nous dispense d’en parler plus longuement ici. Dès la publication des Mystères ae Paris, le parti démocratique avait ouvert ses rangs au puissant auxiliaire qui lui avait ainsi spontanément offert l’hommage de son cœur et.de son talent. En 1848, la publication du Républicain des campagnes et du Berger de Kravan (1848-1849, 2 parties in-32), sorte de manifeste révolutionnaire, acheva de cimenter l’union d’Eugène Sue avec l’école socialiste, et, le 28 avril 1850, il fut nommé à une très-grande majorité, par le peuple de Paris, membre de l’Assemblée législative. Deux ans après, le Deux-Décembre l’envoyait en exil, et il pariait pour Annecy, d’où il ne devait pas revenir.

Si la postérité n’accepte pas sans réserve l’immense réputation, la popularité prodigieuse dont a joui Eugène Sue, il est un point qu’elle ne saurait du moins méconnaître, c’est la part très-grande d’influence qu’a eue l’auteur des Mystères de Paris sur Jes idées et la littérature de son temps. Eugène Sue, il ne faut pas l’oublier, était riche, entouré d’amis, adulé par les hautes classes