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et les réduisirent au silence. Les Arabes s'enfuyaient déjà dans toutes les directions. Hussein envoya des parlementaires, et la milice des janissaires fit de même. Le dey proposait de donner satisfaction à la France et de payer les frais de la guerre ; la milice offrait d'assassiner le dey. Bourmont repoussa ces ouvertures. D'autres parlementaires se présentèrent peu après, et le général en chef rédigea un projet de capitulation que l'interprète Brascewitz alla lire au dey lui-même, dans la Kasbah. Voici l'acte qui fut accepté et signé le lendemain 5 juillet : « 1° Le fort de la Kasbah, tous les autres forts qui dépendent d'Alger et les portes de la ville seront remis aux troupes françaises, ce matin, à dix heures. 2° Le général de l'armée française s'engage envers S. A. le dey d'Alger à lui laisser la libre possession de toutes ses richesses personnelles. 3° Le dey sera libre de se retirer avec sa famille et ses richesses dans le lieu qu'il fixera, et, tant qu'il restera à Alger, il sera, lui et sa famille, sous la protection du général en chef de l'armée française ; une garde garantira la sûreté de sa personne et celle de sa famille. 4° Le général en chef assure à tous les membres de la milice les mêmes avantages et la même protection. 5° L'exercice de la religion mahométane restera libre. La liberté de toutes les classes d'habitants, leur religion, leurs propriétés, leur commerce et leur industrie ne recevront aucune atteinte ; leurs femmes seront respectées : le général en chef en prend l'engagement sur l'honneur. 6° L'échange de cette convention sera fait avant dix heures du matin. » L'entrée des troupes françaises dans Alger eut lieu le lendemain. Elle fut attristée par la vue des cadavres des prisonniers français. Les habitants ne semblaient pas effrayés outre mesure de la prise de possession des troupes françaises. « Jamais ville conquise ne fut occupée avec plus d'ordre. » Les prisonniers du bagne, c'est-à-dire les captifs faits par les pirates, au nombre de 122, furent mis en liberté ; il y avait là un Toulonnais, nommé Béraud, enfermé depuis 1802. Les miliciens turcs, au nombre de 5.000, partirent le lendemain de l'embarquement de Hussein. Le dey se rendit à Naples ; les janissaires furent conduits en Asie Mineure. On trouva dans le Trésor environ 48.000.000 de francs en or et en argent. Un grand nombre d'objets précieux et de marchandises, laines, cuivre, peaux, etc., entassés dans les magasins, avaient une valeur de plusieurs millions. Le produit des trésors fut à peu près équivalent aux dépenses de l'expédition. La campagne n'avait duré que vingt jours.

Il a fallu quarante ans de guerre, si l'on s'arrête à l'insurrection de 1871, pour faire entrer cette grande colonie d'Afrique dans le patrimoine national. Pendant cette longue période, des prodiges d'habileté et de bravoure couvrirent de gloire nos généraux et nos soldats. Mais, en ne parlant ici qu'au point de vue militaire, le système dirigeant fut continuellement modifié, selon les hasards de la politique et. les caprices des hommes au pouvoir. Jamais une idée d'ensemble ne présida plusieurs années de suite aux opérations. Aussi l'Algérie a-t-elle coûté à la France plus de sang et d'argent que la prise de sa capitale et les brillants faits d'armes du début de la conquête n'auraient pu le faire prévoir. La révolution de 1830 ayant éclaté quelques jours après, le général Bourmont, tout dévoué aux Bourbons, fut remplacé par le général Clauzel. Le nouveau commandant se lança hardiment dans la province d'Alger. Clauzel passa le redoutable col de Mouzaïa, occupa Blida et Médéa: Le gouvernement était encore indécis sur la conduite à tenir envers les indigènes. Il rappela et désavoua Clauzel et lui substitua le général Berthezène (janvier 1831). Celui-ci, ancien lieutenant de Bourmont, fit occuper Oran, Mostaganem, Bône et Bougie. La domination française s'étendait de toutes parts. Les premiers projets d'organisation commençaient à se faire jour. Le général Trézel créa les zouaves et les bureaux arabes ; les premiers furent d'un grand secours pour la conquête ; quant aux bureaux, dirigés par des officiers connaissant l'arabe et les mœurs du pays, ils furent l'intermédiaire entre les gouverneurs et les chefs de tribus ; ils rendirent, mais pendant un temps seulement, des services incontestés. Le premier chef de bureau arabe fut Lamoricière : « On ne pouvait faire un meilleur choix, dit Pélissier de Reynaud. Cet officier connaissait assez bien l'arabe pour traiter directement avec les indigènes. Il était de plus homme de résolution, plein de ressources dans l'esprit, et animé de la généreuse intention de se distinguer par quelque chose de grand et d'utile. En se rendant plusieurs fois seul au milieu des Arabes, il prouva le premier qu'on pouvait traiter avec eux autrement que la baïonnette au bout du fusil. » L'Algérie devint peu à peu une grande école militaire, où nos troupes apprirent un nouveau genre de guerre, fait de marches et de contremarches, de surprises et d'escarmouches. Les officiers et les soldats acquirent des qualités nouvelles. Cet avantage était, il est vrai, chèrement payé, et les inconvénients du climat se firent vivement sentir à des troupes inexpérimentées. C'est seulement en 1834 que le gouvernement de Louis-Philippe se prononça pour la colonisation de l'Algérie. Une commission avait été envoyée au delà de la Méditerranée, et elle avait conclu en ces termes : « L'honneur et les intérêts de la France lui commandent de conserver ses possessions sur la côte septentrionale d'Afrique. » Un gouverneur général fut nommé le 22 juillet 1834 : ce fut le comte Drouet d'ErIon, vieux général de l'Empire. En ce moment même se levait contre l'armée d'invasion le plus terrible adversaire que nous ayons rencontré en Afrique, l'émir Abd-el-Kader, qui, pendant près de quatorze ans, allait conduire contre nous une lutte acharnée.

Nous avons retracé tous les épisodes de cette conquête (v. au Grand Dictionnaire les mots ALGÉRIE, CONSTANTINE, TAFNA, KABYLIE, MAZAGRAN, ABD-EL-KADER, BOU-BAGHLA, etc.) ; il nous reste à parler des dernières insurrections.

La tentative d'insurrection qui eut lieu, près de l'oasis d'El-Amri, à 48 kilom. au sud de Biskra, en avril 1876, avait été réprimée en quelques jours. Le marabout Ahmed-ben-Aiech, aux prédications fanatiques duquel on attribue ce soulèvement, et les cheiks des quatre fractions de la tribu des Bou-Azid révoltées étaient prisonniers, les Arabes dispersés et campés en différents endroits, sous la surveillance de nos colonnes. D'ailleurs cette petite révolte avait pour cause le mécontentement de ces Arabes, à propos de la destitution d'un cheik qui avait réclamé en leur nom à Constantine au sujet d'exactions commises, disaient-ils, par leur caïd. C'était donc une émeute plutôt qu'une insurrection. Il en fut de même pour les troubles qui éclatèrent dans l'Aurès en 1879 : c'étaient encore des hommes soulevés par un cheik contre l'autorité d'un caïd accusé d'exactions, et qu'ils prétendaient soutenu ou favorisé par l'administration française.

Dans la nuit du 8 au 9 juin 1879, la tribu des Ouled-Daoud et une fraction de celle des Beni-bou-Sliman , dans la province de Constantine, au nombre de 1.200 hommes environ, attaquèrent le bordj (maison de commandement) de Rbâa, gardé par un détachement de deux compagnies de tirailleurs algériens, deux compagnies de chasseurs à pied et un escadron de spahis. Leur effort se porta d'abord sur la grand'garde des tirailleurs, placée sur un des mamelons avancés qui précèdent le plateau du sud. Cette grand'garde, tout en faisant une vigoureuse résistance, fut rejetée par l'impétuosité de l'attaque sur un second mamelon où étaient campées les deux compagnies. Un tirailleur indigène, blessé et resté dans le ravin, fut saisi par les Arabes, qui le mutilèrent affreusement, comme ils l'avaient fait quelques jours auparavant d'un soldat du train, mort dans des tortures épouvantables : on lui avait arraché les mains et les pieds, et les femmes avaient dansé autour de son corps mutilé, mais vivant encore. Pour mettre un terme à ces atrocités, on ordonna que tout insurgé pris les armes à la main serait immédiatement fusillé. La seconde partie de l'attaque ne réussit pas mieux que la première. Après vingt ou vingt-cinq minutes de fusillade et une charge à la baïonnette d'une compagnie de tirailleurs, les assaillants durent se retirer précipitamment. Le jour commençait à poindre ; ils furent poursuivis, jusqu'aux premiers escarpements de l'Aurès, par deux pelotons de spahis, soutenus par des chasseurs d'Afrique. Nous avions perdu cinq hommes, mais les Ouled-Daoud laissèrent une soixantaine de morts sur le terrain, sans parler de ceux qu'ils emportèrent. Pendant le combat, une foule d'Arabes, de la tribu des Achèches, était apparue au sommet des collines qui dominent la plaine, au N., de l'autre côté de l'oued Taga, suivant les péripéties de la lutte et se disposant, très probablement, à. se jeter sur les troupes au moindre indice d'insuccès. En ce cas, l'insurrection se fût rapidement propagée chez les Oudjanas, les Achèches et les autres tribus voisines.

La répression d'ailleurs fut prompte. Le 13, une colonne partie de Batna., sous le commandement du général Logerot, et avec laquelle marchait le général Forgemol, commandant la division de Constantine, arriva à Rbâa. : elle campa le 15 à Touba, à l'entrée de l'Aurès, et le 6 [16 ?] à Medina, à 15 kilom. de El-Hammam, le principal village des Ouled-Daoud. Les insurgés s'enfuirent devant nos soldats. Ils gagnèrent les montagnes de l'Amar-Khaddou, emmenant leurs tentes, leurs familles et leurs troupeaux, et eurent, le 19 et le 20, deux rencontres avec nos goums. Malgré des pertes sérieuses, ils purent forcer le passage et continuer leur route vers l'E. Trop faibles pour forcer de même celui de Négrine, il se jetèrent dans le Sahara. Là, les attendait la plus affreuse des morts, la mort par la soif. Lorsque les goums de Tébessa les atteignirent, plus de 300 d'entre eux gisaient sans vie sur le sable ; tous les survivants furent faits prisonniers. Aussitôt, les révoltés se soumirent et demandèrent l'aman. Quant au cheik, chef de la rébellion, il s'était enfui du côté de la frontière tunisienne. Un arrêté du gouverneur général, en date du 25 juillet, frappa les tribus, ou fractions de tribus compromises, d'une contribution de guerre de 355.172 francs.

Deux ans plus tard, une nouvelle révolte éclata ; mais, cette fois, ce n'étaient pas seulement quelques intérêts lésés qui réclamaient une vengeance, c'était « la manifestation du sentiment religieux, surexcité de longue main contre notre domination. »

Le 6 avril 1881, le bach-agha de Frendah avisa le gouvernement de l'Algérie d'un complot ourdi contre la France, à l'instigation d'un marabout, nommé Bou-Améma, et dans lequel étaient entrés les Harar du cercle de Tiaret, les tribus du cercle de Géryville et les Rezaïna de Saïda. Bou-Améma, né à Figuig, vers 1840, appartient à la grande famille religieuse des Ouled-Sidi-Cheik et s'appelle de son vrai nom Mohammed-bel-Arbi. Il quitta Figuig, vers 1575, pour venir s'établir avec sa famille à Maghar-el-Tahtani, et il y fonda une zaouia. Les sentiments qu'il manifestait contre nous et ses excitations secrètes le firent soumettre à une sévère surveillance de notre part. En 1878,. l'ordre fut même donné de se saisir, à la première occasion favorable, de la personne de ce marabout, dont l'influence grandissait de jour en jour et dont les adeptes, fanatisés par ses prédications devenaient très nombreux, et qui se montrait presque ouvertement très hostile à notre domination, surtout parmi les tribus nomades. En 1881, il est certain que les indigènes du Sud-Oranais étaient depuis longtemps gagnés à la cause de Bou-Améma et n'attendaient qu'une occasion pour lever l'étendard de la révolte.

Cette occasion, ils crurent l'avoir trouvée dans l'expédition de Tunisie qui commençait. La rapidité avec laquelle fut menée notre campagne empêcha les tribus des départements de Constantine et d'Alger de se mettre en état de rébellion ; mais dans le département d'Oran, éloigné du théâtre des opérations, les agents ou moqqadems du marabout avaient excité le fanatisme des Arabes ; une étincelle devait mettre Ie feu aux poudres. Le 20 avril, un officier du bureau arabe de Géryville, le sous-lieutenant Weinbrenner, se rendit dans le douar Djerrama des Ouled-Ziad-el-Cheraga pour arrêter deux ou trois émissaires de Bou-Améma, qu'on savait y être. Feignant une grande soumission, les gens du douar offrirent des dattes à l'officier et aux cavaliers de l'escorte, qui les acceptèrent ; mais à peine ceux-ci étaient-ils descendus de cheval qu'ils furent impitoyablement massacrés. Cet assassinat précipita l'explosion de l'insurrection, qui devait se produire seulement après que les nomades auraient achevé leurs approvisionnements annuels de céréales. En présence des nouvelles alarmantes qui affluaient de toutes parts sur les dispositions d'esprit des indigènes, il était urgent de chercher à arrêter l’extension de la révolte, de rassurer la population européenne, de calmer l'émotion des tribus réputées fidèles et de maintenir celles qui passaient pour suspectes ou hésitantes. Dans ce but, le Tell fut immédiatement couvert, aussi en avant que possible, par les goums des cercles et de la lisière du Tell, tandis que des troupes étaient réunies, dans la mesure des ressources alors disponibles, en avant de Saïda, de Daya et de Sebdott. Des résistances se firent aussitôt sentir : sur certains points, on eut à constater une mauvaise volonté non équivoque à obtempérer aux réquisitions de goums et de bêtes de somme ; sur d'autres, des refus formels d'obéissance entravèrent nos premiers efforts. Néanmoins, on put lancer l'agha de Saïda sur la route de Géryville avec un goum de 800 chevaux. Le 27 avril, il se heurta, à Khadra, aux contingents de sept tribus des Trafis, qui s'étaient presque tous joints à Bou-Améma ; lâchement abandonné par ses goums, il dut, après un premier succès, se replier sous les murs de Séfissifa. Cette rencontre, qui coûta 20 cavaliers environ aux Trafis, eut pour résultat de rendre la situation plus nette. Les insurgés, ne comptant pas entraîner de nouvelles défections, se retirèrent vers l'O. pour mettre leurs familles et leurs biens en sûreté et recevoir les renforts des populations marocaines voisines de la frontière, toujours prêtes à seconder celles de nos tribus qui se mettent en état de révolte contre nous. Nous profitâmes de ce répit pour réparer le télégraphe de Géryville à Frendah, qui avait été coupé le 22 avril.

À ce moment, les forces de Bou-Améma se composaient exactement des Trafis, des fractions des Amour, des Chemfa, des Ouled-Sidi-Ahmed-ben-Medjedoub, des Djembâa, qui s'étaient replacés sous l'autorité du Maroc, d'un certain nombre d'habitants de nos ksour et de cavaliers des Beni-Guill, Ouled-Djerir et Ouled-Sidi-Cheik-el-Gharaba. Une colonne, formée en avant de Saïda, sous les ordres du colonel Innocenti, porta un ravitaillement à Géryville, puis marcha sur les insurgés ; elle les rencontra à 4 kilom. E. de Chellala, le 19 mai, vers huit heures du matin. Les contingents de Bou-Améma étaient beaucoup plus nombreux qu'on ne le croyait d'après les renseignements antérieurs ; le colonel les évalua à 5.000 hommes, parmi lesquels se trouvaient des Djembâa et des partisans des Ouled-Sidi-Cheik. Notre colonne marchait, ayant le bataillon de la légion étrangère à l'avant-garde et nos goums sur les flancs ; le convoi était derrière flanqué par l'infanterie. Les fantassins ennemis avancèrent avec une hardiesse remarquable ; les nôtres commencèrent le feu contre eux à 1.000 mètres : ils continuèrent à marcher jusqu'à 100 mètres sur nos lignes, mais, perdant beaucoup de monde, ils firent demi-tour en courant et se sauvèrent en désordre ; pendant ce temps, nos goums, repoussés par les cavaliers ennemis, s'enfuirent, affolés, et vinrent jeter le désordre au milieu de notre convoi, poursuivis par leurs adversaires. La colonne Innocenti dut remonter vers le Tell pour renouveler ses approvisionnements. Les contingents insurgés en profitèrent pour revenir dans l'E., où ils attirèrent à eux les Laghouat-el-Ksel et quelques fractions des Oued-Sidi-el-Nasseur, des Makena et des Ouled-Sidi-Tiffour. Nos troupes, ravitaillées et renforcées, reprirent la campagne, pendant qu'une colonne, partant de Laghouat, venait occuper le djebel Amour et que d'autres troupes protégeaient et surveillaient les Harar de Tiaret. En même temps, les communications entre Sebdou et Géryville étaient assurées par une colonne légère, placée à Séfissifa ; les Haméian étaient gardés par une autre campée à El-Aricha ; enfin, des mesures étaient prises pour fermer le Tell aux nomades dissidents et chercher à les affamer. Le 31 mai, Bou-Améma vint se placer dans la vallée de l'oued Sidi-el-Nasseur ; le 2 juin, les communications télégraphiques furent de nouveau coupées entre Géryville et Frendah, et l'inspecteur des télégraphes, M. Bringard, fut surpris et massacré à Ain-Defalid avec toute son escorte. C'est alors que la colonne de la division d'Oran, chargée des opérations actives sous le commandement du général Détrie, s'avança par Khadra et Kheneg-Azir contre Bou-Améma, qui se porta hardiment vers le N., sans doute avec l'espoir d'entraîner les Harar-el-Cheraga. N'y pouvant réussir, il se jeta brusquement vers l’O., reçut ou força, le 10 juin, la soumission de diverses tribus, se livra à des actes odieux de brigandage et massacra les ouvriers espagnols des chantiers d'alfa de Saïda, dont la garnison était trop faible pour le poursuivre. Échappant à l'action combinée de nos colonnes, qui devaient lui barrer les passages du chott, il passa le 14 à Sfid, où il eut une rencontre sanglante, mais sans résultat, avec nos goums ; le 15, il remonta à Chaïr et regagna le S.-O. par Fékarine, en passant à travers nos colonnes postées au Kheider. La rapidité vertigineuse des marches et des contremarches de Bou-Améma déroutait toutes les prévisions de nos officiers, et un caricaturiste donna à ce moment un tableau exact de la situation, en représentant un général français, les yeux tournés avec anxiété vers le désert sans bornes, et disant à son aide de camp : « Télégraphiez au ministre que l'ennemi est là, devant nous, et que nous nous préparons à le poursuivre. » Cependant, nos colonnes obtinrent quelques succès partiels, notamment à Mekam-Sidi-Cheik (10 juin), à Madena (14 juin) et à Aïn-Kecheb (16 juin).

Le massacre des ouvriers de Saïda et la nouvelle de la fuite de l'insaisissable marabout produisirent dans le monde politique et dans la presse une grande émotion. Dans une interpellation, discutée le 30 juin, M. Jacques, député d'Algérie, accusa le gouverneur général de n'avoir pris aucune mesure préventive, et M. Gastu affirma que l'origine du soulèvement actuel remontait à 1878, ce qui était vrai. M. Jules Ferry répondit que les responsabilités en jeu étaient purement militaires, théorie tout au moins bizarre, car (M. Brisson le fit remarquer) tous les membres d'un cabinet sont solidairement responsables. La Chambre invita le gouvernement à agir avec fermeté et « à déterminer les responsabilités encourues » ; après quoi M. Ferry crut devoir mettre en disponibilité les généraux Osmont et Cérez pour les remplacer par les généraux Delebecque et Saussier.

Au mois de juillet, Bou-Améma tenta une nouvelle incursion, à laquelle prirent part, outre ses contingents ordinaires, 400 Chambâa montés sur des méharis. Signalé le 5 à Méchéria-de-l'Antar, le 7 à Fekarine, il essuya le 9 un échec en passant devant le Khreider, gardé par trois compagnies de tirailleurs. Le 13, vers midi, le colonel Brunetière, alors à Médrissa, fut averti qu'un goum fort de 700 cavaliers, 400 fantassins et 1.500 chameaux marchait vers le S. Il envoya immédiatement le commandant d'Héricourt avec deux escadrons de chasseurs, trois compagnies d'infanterie et une section d'artillerie. Ils rencontrèrent l'ennemi vers une heure après-midi ; le combat s'engagea aussitôt et se termina vers sept heures du soir par la défaite des Arabes, qui, abandonnant leurs morts sur le terrain, se dirigèrent, le marabout en tête, vers Sorion et Souagheur. Le colonel Brunetière se mit à sa poursuite et l'obligea à rétrograder vers le S., sans avoir pu faire aucune razzia. Il y eut plusieurs combats engagés sans perte pour nous ; les insurgés jalonnèrent la route des cadavres de leurs chevaux, mais les nôtres virent Bou-Amema et son convoi à 3 kilom. devant eux sans pouvoir le gagner de vitesse. L'infanterie exécuta un grand nombre de feux à commandement à grande distance qui eurent de très bons résultats. L'artillerie tira aussi sur l'ennemi, qui eut environ 10 hommes tués. Un seul de nos spahis fut blessé grièvement. Peu de temps après, l'occupation permanente de Mécheria-de-l'Antar eut pour effet d'interdire aux insurgés, refoulés dans l'O., leurs pâturages habituels de la saison d'été.

Depuis le milieu de juillet jusqu'aux pre-