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richesses et de toutes les jouissances qu’elles procurent, il a fait servir un immense talent à chatouiller en nous les appétits sensuels, à surexciter les convoitises grossières. Ses types de prédilection, les Rastignac, les de Marsay, les de Trailles, les Vandenesse, les Lucien de Rubempré, modèles qu’il semble offrir a tous les jeunes gens, n’ont pas d’autre Dieu que l’or, d’autre loi que l’intérêt, d’autre religion que les sens, d’autre culte que le plaisir. Le sensualisme le plus grossier forme le fond de toutes les idées qu’il exprime ; l’égoïsme est érigé en règle de conduite et en sagesse pratique. Presque constamment, il se donne des airs de supériorité et de profondeur, en raillant l’enthousiasme et la vertu. Quelquefois aussi, par un raffinement propre à notre époque, il affecte une sorte de religiosité nébuleuse, et voile, sous des extases d’amour platonique, ses impuretés et ses aspirations sensuelles. Mais son ton habituel, c’est la franche exaltation des jouissances matérielles. Quand il esquisse quelque type honnête et vertueux, il arrive rapidement à l’ennui, ou il mêle à son lyrisme de commande quelque note discordante de scepticisme et de raillerie.

Ses disciples, s’indignant de ce qu’on ose le trouver immoral, donnent pour preuves de ses tendances austères et de la sévérité de sa morale, qu’il a constamment prêché le catholicisme du moyen âge et la monarchie absolue, le despotisme pur. Quelle singulière défense ! Balzac, en effet, qui avait toutes les prétentions et qui se croyait un penseur, un philosophe, a semé ses historiettes de tartines dogmatiques et doctorales. Ce sceptique veut imposer la foi aux masses comme un frein, comme une garantie de soumission aux supériorités sociales ; ce bourgeois tourangeau, si franchement roturier, malgré sa particule d’emprunt, exalte l’aristocratie et le régime sous lequel ses ancêtres grattaient la terre et recevaient des coups de bâton ; ce philosophe, d’une philosophie d’antichambre, préconise le gouvernement despotique, le seul gouvernement grandiose, suivant lui, le seul qui puisse prodiguer aux maréchaux de la littérature une liste civile princière ; car il faut que l’artiste mène une vie splendide. Tel est le fond de sa philosophie politique et religieuse. Ah ! si celui qui écrit ces lignes devient jamais autocrate dans une Araucanie quelconque, il fera frapper la tête de Balzac sur toutes les monnaies de son empire ; et le romancier ne l’aura pas volé.

On voit que tout cela se concilie parfaitement, et que les réflexions seraient ici superflues. Pour une certaine classe de littérateurs (classe très-restreinte a notre époque, fort heureusement), le meilleur état social est celui où ils dînent ; le plus grand prince est celui qui paye le plus largement leurs platitudes. Ils sanctifieront Héliogabale et Néron, pourvu que ceux-ci encouragent les lettres, c’est-à-dire, en prose, pourvu qu’ils leur donnent beaucoup d’argent.

Une chose qu’on ne saurait nier, c’est que Balzac se complaît dans l’analyse des passions basses, des impuretés et des corruptions, et c’est avec assez de raison qu’on a donné à ses tableaux de la société le nom de Musée Dupuytren de la nature morale. Sous le prétexte de peindre les mœurs, il a souvent donné comme observations réelles des détails enfantés par son imagination, et il a ainsi trouvé le moyen de surfaire, ou tout au moins de trop généraliser la corruption de notre temps, que ses peintures semblent avoir pour but de développer plutôt que de combattre. Il a peint, dit-on, la société, et si certains de ses tableaux excitent le dégoût, c’est que la réalité est ainsi. Il faudrait d’abord prouver qu’il a été fidèle dans ses reproductions, ce qu’il serait bien facile de contester. Répétons-le, un très-grand nombre de ses prétendues études ne sont que des produits de son imagination ; il a moins observé qu’inventé, et ses observations ont porté surtout sur les détails matériels. Il a parlé, avec son assurance habituelle, d’une infinité de choses qu’il ne connaissait point, sur lesquelles il ne donne que des notions fausses, et qu’il est censé avoir étudiées. Un de ses familiers nous a assuré que le grand écrivain se mêlait moins que personne à la société de son époque : cela prouve certainement sa puissance d’imagination ; mais, par contre, cela met singulièrement en garde contre la vérité et le fini de ses tableaux. Peu de romanciers ont prodigué dans leurs récits plus d’invraisemblances et d’impossibilités. Mais, en supposant que ces dévergondages de l’imagination n’aient été qu’un reflet de la réalité, pense-t-on que cela justifierait Balzac d’avoir si souvent retracé des scènes ignobles et trempé tant de fois son pinceau dans la boue ? La littérature doit-elle être une école de dépravation, ou ne doit-elle pas, au contraire, avoir pour but d’élever l’âme et de faire aimer le bien ? S’il en était autrement, la thèse paradoxale de Rousseau contre les arts serait vraie. Les grands peintres de la nature humaine ont jugé l’homme sans illusion, mais aucun ne s’est complu à l’avilir ; à côté des instincts mauvais, ils ont su reconnaître et encourager les bons instincts. Impitoyables pour le vice, ils l’ont souvent peint en traits énergiques, pour le flétrir ; ils ne l’ont point décrit et caressé avec amour, comme l’autour de la Comédie humaine. Sévères pour l’homme, ils ne le font pas prendre en haine et en mépris ; ils n’attristent pas le cœur, ne flétrissent pas la conscience, ils ne souillent pas l’imagination ? En un mot, on se sent meilleur quand on les a lus, plus courageux pour faire son devoir : quand on a lu Balzac, on craint de se trouver pire et moins fort pour résister aux suggestions de l’égoïsme et des passions mauvaises.

Où peut être la nécessité d’enregistrer minutieusement toutes les infamies qui se commettent dans le monde et dans la société ? Si chacun écrivait toutes les turpitudes dont il est journellement témoin, pense-t-on qu’il en sortirait un livre favorable à l’épuration des mœurs ? Quand on peint un caractère, un prétendu réalisme vous oblige-t-il à dire si le pied gauche empuantit plus la chaussette que le pied droit. C’est ce que Balzac a fait dans presque toutes ses peintures morales.

Certaines analyses, poussées même à outrance, peuvent avoir leur utilité, quand il s’agit de sonder une plaie sociale et d’y porter remède ; mais on souffre cela dans des ouvrages spéciaux, qui ne vont que sous les yeux des moralistes, des philosophes ou des médecins : dans le livre de la Prostitution de M. Parent-Duchatelet, dans les Courtisanes de M. Deschanel, dans les Traités du spécialiste Ricord et dans les Monographies du docteur Tardieu. Dans un ouvrage purement littéraire, dans un roman, nourriture habituelle des femmes et trop souvent de la jeunesse, l’écrivain qui se respecte ne doit-il pas craindre à chaque instant de faire rougir l’innocence et de choquer la pudeur ? Voilà des distinctions que le romancier n’a jamais su faire. Sa plume a peint ce pays imaginaire avec une telle fascination que les cœurs affamés de désirs se sont précipités à la recherche de cet Eldorado de corruption, et qu’ils ont fini par le découvrir. Aujourd’hui, la société n’est pas seulement corrompue ; elle est gangrenée, et nous ne connaissons aucune chaudière d’Éon capable de redonner la vie à ce cadavre déjà rongé des vers. À qui s’en prendre de cette atrophie morale ? À Balzac et à son école, qui a encore dépassé les immoralités de son système ; aujourd’hui, nous sommes mille fois plus corrompus que de son temps. Cette accélération du vice est une loi que la décadence a empruntée aux sciences physiques : quand les élèves voient le maître se moucher avec ses doigts, ils pensent l’imiter en ne se mouchant plus du tout. Tel est le secret de ces élucubrations, sortes de cauchemars ultra-réalistes qui ont tant ému dans ces dernières années les esprits délicats.

Balzac a été le chroniqueur des femmes, surtout des femmes du monde. Quelques esprits chagrins pourront trouver que cela ne fait pas l’éloge de leur délicatesse morale et de leur goût ; mais c’est un fait. Il a mis, on ne peut plus habilement, dans ses intérêts cette moitié très-essentielle du public par des flatteries hyperboliques, que les plus pudiques aiment à rechercher, en passant par-dessus les détails répugnants, les gravelures et les épigrammes souvent un peu brutales dont il assaisonne ses flagorneries. Il s’établit familièrement auprès d’elles, sur le pied d’un confesseur et d’un médecin. Il sait leurs secrets sensibles et sensuels, et pénètre volontiers dans la ruelle et dans l’alcôve, presque sous la couverture. Il a des consolations, même des compensations, pour les vieilles filles, pour les laides, pour les femmes méconnues, pour toutes celles qui sont malheureuses ou qui croient l’être. Que ne pardonnerait-on pas à l’auteur de la Femme de trente ans et de la Femme abandonnée, au courtois écrivain qui a donné une nouvelle jeunesse aux vieilles femmes et reculé indéfiniment pour elles l’instant redoutable où il leur faut renoncer à plaire et à être aimées ? Ce don gracieux de deux lustres lui a été compté ; les femmes ne l’ont jamais oublié. On lui pardonnait aussi d’avoir esquissé tant de figures de femmes avides, galantes et perfides, en faveur de quelques physionomies réellement touchantes et résignées, vivant dans l’ombre du foyer, entre l’accomplissement silencieux du devoir et l’habitude de la douleur.

Résumons-nous sur ce point. L’auteur de la Physiologie du mariage et des Contes drolatiques, des Mémoires de deux jeunes mariées, de la Fille aux yeux d’or, de Vautrin et des Parents pauvres, peut être taxé hautement et très-justement d’immoralité. C’est là un des caractères généraux des œuvres de Balzac, qui sont, quoi qu’en disent ses enthousiastes, une lecture malsaine et corruptrice. Non-seulement il a tout peint et tout osé, comme il le dit lui-même, à ce point que Sodome et Lesbos ont passé sous sa plume et figuré dans ses récits pour l’édification des belles dames rêveuses ou hystériques ; non-seulement il peut corrompre par ses tableaux ; mais il peut agir encore d’une manière funeste sur les esprits faibles, les imaginations un peu maladives de la jeunesse, par ses maximes, par ses principes et par les mauvais sentiments qu’il éveille. Il semble qu’on respire dans ses romans un air vicié, chargé d’émanations nauséabondes. Quelle lecture pour les jeunes filles et les jeunes femmes ! Quel catéchisme pour un jeune nomme, à son entrée dans la vie, et quelle école ! Quelle étude virile ! et comme il apprend bien à respecter tous les principes, toutes les convictions, tous les dévouements, tous les nobles enthousiasmes, à se soumettre aux devoirs austères de la vie, à avoir d’autre philosophie que l’égoïsme, d’autre préoccupation que la richesse, d’autre amour que celui de sa propre personnalité, d’autre but que les jouissances matérielles !

Toute une génération s’est formée dans ces principes, et nous en voyons aujourd’hui les effets, comme l’a dit éloquemment M. le procureur général Dupin. Avec Voltaire et avec Rousseau, nous avons eu une grande Révolution, dont les excès mêmes ne furent pas sans héroïsme, et à laquelle nous devons tous nos progrès ; avec Balzac, si nous avons jamais un 93, se sera un 93 de dévergondage.

Pour justifier Balzac du plaisir qu’il paraît prendre à peindre les vices de son siècle et de la délectation qu’il semble éprouver en mettant à nu les plaies sociales, on a parlé du Candide de Voltaire... C’est là un abominable blasphème, et nous allons nous élever de toutes nos forces contre cette assimilation, que nous regardons comme un sacrilège. Avant d’exposer le tableau, disons quelques mots du cadre ; disons dans quelle disposition devait se trouver Voltaire quand il poussa ce sublime éclat de rire qui s’appelle Candide. Leibnitz venait de formuler le code de l’optimisme  : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. » Enfermée dans ce cercle étroit, la philosophie allemande n’entendait pas les gémissements de l’humanité. Voltaire, dont le cœur était comme une oreille de Denys où venaient se répercuter toutes les douleurs, toutes les infortunes et toutes les plaintes de ceux qui souffraient injustement, écrivit Candide. Oui, Voltaire entendait les gémissements de l’humanité, et pour comprendre la véritable signification de ce rire qui éclate en deux cents pages, il faut, encore une fois, se reporter à l’époque où parut ce livre. Les fléaux que la nature et les rois déchaînaient à l’envi sur le monde ébranlent l’imagination et attristent le cœur du vieil athlète de la tolérance et de la vérité. Un tremblement de terre qui remua l’Occident depuis le Sahara jusqu’à la mer du Nord venait de ruiner les principales villes du Maroc et de renverser Lisbonne sur des milliers de cadavres. La guerre de Sept ans débutait par les gigantesques pirateries de ces Anglais que Voltaire avait célébrés comme une nation de sages, et continuait par l’extravagante invasion que Mme de Pompadour précipitait sur l’Allemagne. La Louisiane allait être vendue à l’Angleterre ; le Sénégal et le Canada, après une héroïque défense, venaient de nous échapper ; de tous côtés, des villes bombardées et réduites en cendres attestaient les horreurs de la guerre, et la politique française de l’époque devait rester comme un monument douloureux de ces jours de honte et de vertige. Le gouvernement déguisait sa faiblesse au dehors sous la cruauté à l’intérieur, et l’acte insensé de Damiens était traité comme le crime de Ravaillac. Depuis la révocation de l'édit de Nantes, arrachée à la faiblesse d’un despote, marchant de fautes en fautes, de hontes en hontes, le gouvernement chancelait sur ses bases. Quels sujets de douleur pour la grande âme de Voltaire déjà si durement éprouvée par la mort de Mme Du Chàtelet et de Vauvenargues ! « Entouré de tant de malheurs, de crimes, de folies, dit M. Henri Martin, Voltaire sentit se briser dans son esprit cette théorie de l’optimisme, longtemps le lien de ses idées et à laquelle le cours de la vie avait déjà porté bien des atteintes. De là, le Poëme sur le désastre de Lisbonne et Candide, renfermant la même pensée exprimée sous deux formes si opposées : ici, un hymne de douleur rapide, déchirant, pathétique jusqu’au sublime, s’élevant vers Dieu comme la plainte de la malheureuse humanité ; là, une longue et âcre satire où le tout est bien de l’optimisme devient le texte d’inépuisables railleries en action, rire amer, gaieté sardonique qui mord le cœur d’une dent aiguë. Candide est de tous les ouvrages de Voltaire celui qu’on a le plus mal jugé ; on en a fait à l’auteur un crime égal à celui de la composition de la Pucelle ; on y a vu un jeu cruel, une dérision impie du genre humain, l’œuvre d’un génie satanique. On a tout à fait méconnu l’état moral de l’écrivain à l’époque où l’œuvre fut conçue. Ce livre est assurément très-pénible à lire ; mais le lecteur ne souffre que ce que l’auteur a souffert. Cette âme si mobile, si armée par sa mobilité contre la douleur, n’éprouva peut-être jamais de telles anxiétés qu’au moment où elle éclatait ainsi en rires convulsifs. » Nous pouvons nous arrêter sur cette citation. Pour quiconque sait lire, toute assimilation entre Balzac, qui décrit complaisamment les vices, les hontes et les corruptions, et Voltaire, qui chante sur le ton de Jérémie pleurant les malheurs de Sion, est désormais impossible.

L’influence de Balzac sur la littérature de son temps n’a pas été moins grande que son influence sur les mœurs dans une certaine classe de la société, et, sous beaucoup de rapports, elle n’a pas été moins déplorable. Elle l’a été au point de vue de la langue et au point de vue du goût, du moins dans l’opinion de ceux qui ne considèrent point ce qu’on nomme le réalisme comme le dernier terme du progrès dans l’art, et qui ne sont pas éloignés d’y voir, au contraire, un pas de plus dans la voie de la décadence. Qu’on remarque bien ici que ce verdict ne s’adresse en aucune façon à l’indépendance, à l’élévation, à l’affranchissement des idées : nous plaçons un abîme entre la morale indépendante et l’immoralité dissolvante.

On sait que Balzac imagina après coup de réunir tous ses romans sous le titre de la Comédie humaine, de les classer dans des séries déterminées, Études de mœurs, études philosophiques, Études analytiques, etc., et de présenter cet amas comme formant un ensemble, un vaste tableau de la société au XIXe siècle. Mais il est trop évident que toutes ces œuvres ont été conçues séparément et qu’elles ne se lient que très-imparfaitement entre elles. Ce n’est pas un monument, comme des enthousiastes l’ont répété, mais tout simplement une collection de nouvelles et de romans quelconques, comme Rétif de la Bretonne, comme Paul de Kock, comme tous les romanciers de mœurs en auraient pu former en rassemblant leurs compositions. V. dans ce Dictionnaire Comédie humaine.

Nous avons dit plus haut que la biographie de Balzac n’offre pas un grand intérêt. En effet, sa vie, presque entièrement absorbée par le travail, fut une des plus laborieuses existences littéraires de notre temps. Il a travaillé pour ainsi dire jusqu’au dernier jour. Il n’a pas déposé la plume : elle s’est échappée de ses doigts à demi glacés.

On l’a accusé de mercantilisme littéraire. Sans être rigoureusement juste, cette accusation peut être vraie, en ce sens qu’il ne séparait guère la spéculation de la composition, et qu’il voyait toujours des millions comme résultat de telle ou telle de ses productions. Cependant, cette avidité, si elle est réelle, ne l’empêchait point, il est juste de le reconnaître, de remettre vingt fois ses travaux sur le métier.

Le million était d’ailleurs sa maladie ; l’argent a joué un grand rôle dans tous ses écrits. Sans cesse, il était obsédé par le rêve d’une fortune subite et colossale ; et, quoiqu’il fût accablé de dettes, il donnait pour certain qu’un jour ou l’autre il serait plus riche qu’un nabab. C’était chez lui une conviction, une manie ; il ne rêvait que tonnes d’or, trésors enfouis ; il consultait des somnambules, et enfantait sans cesse de nouveaux projets, plus extravagants les uns que les autres, et qui devaient toujours indubitablement lui faire conquérir la toison d’or, objet de ses convoitises. C’est ainsi que ce grand réaliste, qui n’aimait point les rêveurs et les poëtes, passa sa vie à poursuivre des chimères. Le sort lui réservait, comme compensation à tant d’illusions déçues, une aventure bien romanesque, et dont l’histoire de la littérature offre quelques rares exemples.

Une grande dame polonaise, la comtesse Éveline de Hanska, qui s’était enthousiasmée de son génie après la lecture de son beau livre du Médecin de campagne, et qui resta depuis en correspondance avec lui, l’épousa lorsqu’elle fut devenue veuve, en 1848. Mais à peine était-il entré dans cette existence aristocratique, dont le mirage avait si longtemps enivré son imagination d’artiste, qu’il succomba à une hypertrophie du cœur.

Nous mentionnerons, en terminant, quelques-unes des nombreuses études biographiques et littéraires qui ont été faites sur le célèbre romancier : M. de Balzac, par Gustave Desnoiresterres (in-12, Paris, 1851) ; Balzac, sa vie et ses œuvres, par Mme Surville (sa sœur) (Paris, 1858, in-12) ; Honoré de Balzac, par Théophile Gautier (Paris, 1850) ; Honoré de Balzac, par Armand Baschet (Paris, 1852) ; Balzac chez lui, par Léon Gozlan (Paris) ; M. de Balzac, par Sainte-Beuve (Critiques et portraits littéraires) (1836) ; M. de Balzac, par Eugène Poitou, Revue des Deux-Mondes (15 décembre 1856).

Nous venons de relire, d’un seul trait cette longue biographie, et à ceux qui nous accuseraient d’avoir montré une sévérité excessive à l’égard du grand romancier, voici notre réponse, qui suffira, nous l’espérons, à notre justification : l’œuvre entière de Balzac n’a pas fait avancer d’un pas l’humanité dans le champ du progrès ; écrivain dissolvant, il a été le plus grand ennemi de la démocratie future, et l’avenir, qui porte dans ses flancs toutes les idées généreuses, le jugera comme nous. Au reste, nous ne laisserons pas nos lecteurs sous l’impression unique de nos paroles, et nous allons, dans un article séparé quoique dépendant, les mettre à même de comparer notre jugement avec celui qu’en ont porté les principaux critiques contemporains.

BALZAC jugé par ses contemporains. Le procès que nous venons d’intenter au célèbre romancier ne sera pas du goût de tout le monde, et l’on nous reprochera, sans aucun doute, de n’avoir pas fait une assez large concession aux libertés traditionnelles de l’art. Qu’on veuille bien noter qu’au moment où paraissent ces lignes, Balzac est en pleine possession de l’engouement du public, et qu'une fraction de la littérature courante le prend pour modèle. Si l’on observe, après cela, que Balzac a plaidé toute sa vie les doctrines absolutistes, que nous combattons partout où elles se rencontrent ; si l’on reconnaît en outre qu’il y a danger évident, imminent peut-être, à laisser se répandre et se populariser des théories qui sont la négation des nobles aspirations de l’avenir, la réflexion se fera jour ; on regardera mieux l’accusé Balzac, on entrera avec nous dans son œuvre colossale, et, comme nous, on finira par en faire deux parts : la première, à laquelle nous souscrivons volontiers, qui revient à l’artiste infatigable, au créa-