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La betterave redoute les climats très-froids et les climats très-chauds ; elle ne prospère que dans les régions tempérées. Il lui faut un sol profond, riche, — bien ameubli ; la nature du terrain importe peu, cependant On choisira de préférence les terrains argileux, argilo-siliceux ou argilo - calcaires, ou bien les terrains d’alluvion.

Mieux la terre a été défoncée, mieux la betterave réussit. Le plus souvent, on déchaume au mois d’août ou après les semailles. Au printemps, on donne un hersage et un nouveau labour. Peu de temps après, on apporte le fumier qui est enfoui par un troisième labour. Cette opération est suivie d’un ou plusieurs hersages destinés à ameublir le plus possible la superficie du champ. Si le sot manque de profondeur, ou si l’on veut obtenir des racines très-volumineuses, on le laboure en billons.

La betterave est une plante très-épuisante. Les terres où on la cultive doivent être bien fumées avec de la poudrette, des composts, du purin, des fumiers d’étable, de bergerie ou d’écurie, un peu décomposés ; en général, avec un engrais riche en potasse, en silice, en chaux et en acide phosphorique. Il s’ensuit que la betterave ne doit pas revenir fréquemment dans un assolement, de cinq en cinq ans, tout au plus. C’est a ce retour fréquent de la betterave dans un même endroit qu’il faut attribuer, non-seulement la diminution des produits de cette culture, mais encore l’épuisement des terres qu’on y emploie. Si la science, et c’est à dessein que nous soulignons ce mot, ifii la science des engrais était suffisamment connue de nos prétendus agronomes, qui ne sont encore aujourd’hui en France que des cultivateurs routiniers, il en serait tout autrement. Il arrivera un jour où l’agronome dira à sa terre : « Tu n’es pour moi qu’un milieu indifférent ; tu es mon esclave ; donne-moi ce que je te demande ; «t si j’exige telle plante de toi cinq ou six années de suite, il ne te reste qu’à obéir. » V. engrais.

Le choix des graines a une importance très-considérable sur le rendement et la qualité des betteraves. Il serait bon de récolter soi-même les graines dont on doit faire usage, autrement, on ne sait jamais guère ce que l’on sème, et la récolte est médiocre, alors même que le terrain est excellent et la fumure abondante. La manière de produire les grai- ’ nés est des plus faciles et n’exige que peu de soins. Voici comment M. Joigneaux, dans l’Art de produire tes bonnes graines, s’exprime à l’égard de celles de la betterave : « On prend, à l’automne, de belles racines d’une grosseur moyenne, que l’on conserve en silos, en cave ou en cellier ; dans le courant de février, si elles commençaient à pousser, on les transporterait dans une pièce sèche, un peu froide et bien éclairée. Aussitôt que les gelées ne sont plus à craindre on les plante, on les arrose au besoin, mais modérément. Pendant la végétation, on supprime les pousses tardives et Ion pince les rameaux principaux, ainsi que l’extrémité de la tige. On se trouverait bien de palisser cette tige et ces rameaux à la manière des espaliers, afin de ralentir à. volonté la végétation, par les courbes et la pression des ligatures. On récolte la graine le plus tard possible ; on achève la dessiccation a l’ombre, au grenier ou sous un hangar, et l’on ne conserve ensuite que les graines de la partie moyenne de ces sortes d’épis, car celles du haut et du bas ont été moins bien nourries que celles du milieu. >

On peut semer la betterave depuis la fin de l’hiver jusqu’au milieu du printemps. Il n’y a guère d autres règles à suivre que celles qui sont imposées par les conditions atmosphériques, ^ nature des terres et les localités. Les semis ont lieu à là volée ou en lignes. Dans le premier cas, on emploie 12 ou 15 kilogr. de semence par hectare ; si l’on sème en lignes, 5 ou 6 kilogr. peuvent suffire. Les semis à la volée doivent être abandonnés comme exigeant trop de frais pour éclaircir les plantes, et aussi à cause des difficultés que présente le binage.

Les semailles en lignes peuvent être faites à la main ou avec un semoir. Les lignes, ayant de 0 m. 02 a 0 m. 04, sont ouvertes au moyen d’un rayonneur traîné • par un cheval. Le rayonneur est simple, c’est-à-dire qu’il a seulement pour but de tracer des lignes, si l’on projette les graines à la main ou si l’on se sert du semoir à brouette ; dans tout autre cas, il est composé d’un semoir et d’un rayonneur proprement dit ; il doit en même temps ouvrir la terre et répandre la semence. La distance entre chaque rayon varie suivant les variétés qu’on cultive. Si l’on sème des betteraves ayant des racines volumineuses, il faut les espacer de 0 m. 50 à o m. 60- un intervalle do 40 a 50 centim. suffit pour les variétés communes. Plusieurs agronomes ont conseillé de semer la betterave en janvier, sur couches ou sous châssis. Cette méthode a ses avantages, mais elle n’est applicable que lorsqu’on cultive cette plante sur une petite surface et dans des terrains frais et très-riches. Dans les régions de l’ouest, où les terres se tassent très-souvent partes pluies du printemps, et se durcissent ensuite superficiellement sous l’influence des hàles d’avril, les semis en place ne réussissent pas toujours. Dans ces contrées, on doit semer d’abord en pépinière et replanter ensuite à demeure, lorsque les racines sont assez fortes. Cette méthode coûteuse, et qu’il ne convient pas d’étendre à toute la culture, est la seule

?ui, dans des conditions semblables, puisse

aire espérer une bonne récolte.

Le tassement du sol après les semailles est indispensable. Ce tassement doit avoir lieu à l’aide des rouleaux les plus énergiques que l’on puisse trouver ; cependant, il ne doit jamais être bien régulier, si le sol était trop uni il se formerait a la moindre averse une croûte solide, qui, en se desséchant, étoufferait la plante.

Douze à quinze jours après le semis, les graines germent, quand la température se maintient de 10° a 12°. Lorsque les betteraves sont toutes levées et qu’elles ont une ou deux feuilles, on bine les intervalles des lignes, afin d’ameublir le sol et de le débarrasser en partie des plantes indigènes qui l’ont envahi. Lorsque les plants ont trois à cinq feuilles bien développées, on opère un second binage, suivi, en mai ou en juin, de l’éclaircissage. Les binages se continuent jusqu’au mois d’août, tantôt à la main, tantôt au moyen de la herse à cheval.

La mise en place des betteraves semées en pépinière peut avoir lieu en mai ou en juin, mais il est bon qu’elle soit terminée à la Saint ; Jean. Dans le midi et le nord de la France, on bute- légèrement les betteraves pendant les mois de juillet ou d’août. Cette opération donne de bons résultats, et on devrait partout la mettre en pratique.

Dans les lieux où la betterave est l’objet d’une culture en quelque sorte forcée, cette plante est exposée à certaines maladies particulières. En 1846, on a signalé pour la première fois une affection connue sous le nom de pénétration brune, qui semble avoir quelques rapports avec la maladie des pommes de terre. Les feuilles sont attaquées, des taches fauves couvrent les racines, qui présentent à l’intérieur une altération plus ou moins profonde des tissus, dans le sens de la direction des faisceaux vasculaires. Une autre maladie, qui porte le nom àepied chaud, attaque encore la betterave. Avant que la plante ait acquis une certaine vigueur, le plus souvent lorsqu’elle n’a pas encore six feuilles, on la voit tout à coup cesser de croître, puis elle se flétrit, les racines brunissent et se dessèchent. Parmi les insectes, la betterave compte trois principaux ennemis : l° Yatomaria linearis, coléoptère observé pour la première fois en 1839 par M. Armand Bazin ; 2U l’kylemiacoarctata ; 3alecryptophagus flavicornis..,

L’arrachage s’exécute depuis le 15 septembre jusqu’à la fin d’octobre. Les betteraves industrielles sont récoltées les premières, afin de les soustraire à l’action des grandes pluies ou des premiers froids. Cette importante opération se fait au louchet, à la houe fourchue ou à la fourche.

On conserve la betterave dans des caves, des selliers, des silos à demeure ou des silos temporaires. Ces divers locaux, quand ils sont bien disposés, suffisent pour conserver les racines jusqu’en avril ou en mai ; on a remarqué, toutefois, que la betterave perd ainsi une partie de son poids primitif, d’où il suit que les fabricants de sucre et d’alcool doivent se hâter d’utiliser la récolte dans leurs fabriques.

li est certain que la culture de la betterave bien dirigée est une des plus lucratives que l’on connaisse ; mais aussi, on ne doit pas se dissimuler que, mal conduite, elle est pour le cultivateur une source de misère, et pour le fabricant la cause de bien des mécomptes. Sous ce rapport, on ne peut pas dire que nous soyons en progrès. Il y a vingt-cinq ans, un hectare de terre médiocre produisait environ 20,000 kilogr. de racines, dont le prix de revient était de 16 francs, et le prix de vente 20 ou 24 francs. Depuis cette époque, les prix de revient se sont élevés et les prix de vente se sont abaissés. Obligé de subir des conditions si défavorables, le cultivateur a dû chercher à augmenter le rendement en forçant la fumure. Ce calcul a réussi, et l’on récolte aujourd’hui, dans les bonnes terres de la Belgique et du nord dela France, jusqu’à 100,000kiLogr. de racines par hectare. Malheureusement, ce rendement extraordinaire s’opère toujours aux dépens de la qualité des produits. En résumé, les directeurs des sucreries et des distilleries ont plutôt perdu que gagné le jour où ils ont abaissé les prix crachat ; d’un autre côté, on a, par là, rendu impossible pour le petit cultivateur la culture de la betterave industrielle, et créé, entre les mains des grands propriétaires, un véritable monopole, qui tôt où tard sera funeste aux industriels coupables de l’avoir provoqué.

BETTERAVERIE s. i. (bè-te-ra-ve-ri-rad. betterave). Techn. Fabrique de sucre de betterave : Quand on adoptera le procédé de dessiccation de la betterave et le raffinage dans les betteraveries, celles-ci pourront alors travailler toute l’année et produire tout le sucre nécessaire à la consommation intérieure. (Jobard.)

BETTERAVIER, ÈRE adj. (bè-te-ra-vi-é-, c-rc — rad. betterave). Qui a rapport aux betteraves : Lorsqu’il fut question d’indemniser les fabricants de sucre de betterave, il ne vint à l’esprit de personne que VJilat dût indemniser encore cette multitude d’ouvriers et d’employés que faisait vivre l’industrie betteravikrb et qui allaient peut-être se trouver réduits à l’indigence. (Proudh.)

— s. m. Ouvrier qui travaille à la fabrication du sucre de betteraves, Agriculteur qui se livre à la culture de la betterave.

BETTERAVISTE s. et adj. (bè-te-ra-vi-ste

— rad. betterave). Qui a rapport aux betteraves ; qui produit beaucoup de betteraves : Les départements betteravistes. L’industrie BETTERAVISTE.

BETTERTON (Thomas), l’un des plus célèbres acteurs du théâtre anglais, né à "Westminster en 1635, mort à Londres en 1710, quitta le commerce de la librairie pour la scène. Envoyé en France par Charles II pour y perfectionner son jeu, il en rapporta, diton, les décorations mobiles et analogues au sujet, qu’on substitua aux tapisseries permanentes. Il excella surtout à représenter les personnages de Shakspeare ; l’expression de surprise et de terreur qu’il donnait à la figure d’Hamlet à la première apparition du spectre, était si vraie et si frappante, qu’ayant été remplacé dans ce rôle par un autre acteur, et jouant celui du spectre, il demeura quelques instants sans pouvoir continuer son rôle, saisi lui-même de cette même expression, que le nouvel acteur lui avait empruntée. Il a laissé quelques comédies, entre autres la Venue amoureuse, imitation de George Dandin.

BETTHYLLE s. m. (bè-ti-le). Entom. Genre d’insectes hyménoptères.

BETTI (Nicolo), peintre florentin du xvi<= siècle. Il aida Vasari dans la décoration du Palazzo Vecckio et peignit les Soldats romains déposant aux pieds de. César les dépouilles des peuples vaincus, tableau que possède la galerie de Florence.

BETTI (Giambattista), graveur italien, travaillait à Rome au milieu du xvme siècle. Il a gravé au burin la Vierge et l’Enfant Jésus, d’après Carie Maratte (1761) ; un Écce-Homo, d’après le Guerchin ; les portraits des peintres B. Bontalenti, B. Naldini, Fr. Pourbus, Fr. Snyders, Justa Susterman,

BETTI (Sigismondo), peintre florentin du xvmi ; siècle, fut élève de Maleo Bonechi. On cite parmi ses meilleurs ouvrages : Saint François de Paule ravi au ciel par les anges, fresque ; la Vierge dans une gloire, entre saint Paul et sainte Catherine ; une Présentation de Jésus-Christ au Temple, et des pastels estimés.

BETTI (Zacharie), poôte italien, né à Vérone en 1732, mort en 1788. Il fonda l’académie d’agriculture de Vérone, et se fit connaître par un poëme élégant sur le ver à soie qu’il dédia au marquis Spolvereni. Ce poème est intitulé  : Del Baco da Seta, cantilV. (Vérone, 1756, in-4o.) Tesauro avait déjà traité le même sujet dans la Séréide.

BETTINA. À l’article arnim, et un peu aussi à la biographie de Beethoven, nous avons donné quelques détails sur cette étrange jeune fille ; nous allons les compléter, et chercher, dans la correspondance publiée par Bettina elle-même, quelques traits qui mettront plus en relief cette singulière physionomie.

Née d’un père italien et d’une mère allemande, Bettina tenait de l’un la fougue de l’imagination, de l’autre un penchant à la rêverie et à l’exaltation mystique. Il ne lui manquait qu’un peu de ce bon sens français, qui lui fit trop souvent défaut. Privée de bonne heure de sa mère, qui avait été aimée de Goethe, elle grandit libre, insouciante, se livrant entièrement à son humeur indépendante et aux caprices de son imagination. En vain son beau-frère Savigny, le célèbre professeur de droit romain, en vain plusieurs autres amis de sa famille essayèrent d’arrêter cette humeur vagabonde ; elle leur échappait par la moquerie la plus vive, la fantaisie la plus inopinée.

« Bettina ! (c’est elle-même qui raconte cette conversation avec van Bostel), vous n’êtes point gentille. — Et comment faut-il faire pour être gentille ? — Tâcher de ressembler à votre sœur Loulou, parler sérieusement de temps à autre, et faire semblant d’écouter. Vous n’êtes pas plus tranquille qu’un jeune chat jouant avec une souris. Quand on vous parle, vous n’écoutez pas ; vous sautez sur un pied, vous bondissez sur les tables, et vous allez causant toute seule avec les vieux portraits de famille, qui ont l’air de vous plaire infiniment plus que nous autres, qui sommes vivants. - Maître van Bostel, ces vieux portraits n’ont pas d’amis, personne ne leur parle : je ressens pour eux précisément ce que vous ressentez pour moi, une vraie pitié. Je leur donne mes inutiles conseils, comme vous me donnez les vôtres ; je leur fais de la morale, comme vous m’en faites ; ces vieilles perruques sont si intéressantes. — Bettina, je vous prie de m’écouter. Ce que vous dites n’a pas le sens commun ; comment ces toiles peuvent-elles vous intéresser ? — Comme je vous intéresse. — Mais cette sympathie, elles ne peuvent pas vous la rendre. — Pas plus que moi la vôtre, mon pauvre cher ami. »

Que peut-on répondre à une enfant terrible si logique et si folle ? Il n’y avait qu’à quitter la partie, et c’est ce que fit plus tard son professeur d’histoire Arenswald, après une scène où la jeune espiègle eut, non-seulement des boutades humoristiques, mais des reparties assez vives contre le système ordinaire d’éducation. « Ce charmant maître d’histoire, dit-elle, vient trois fois par semaine, le mardi, le mercredi et le jeudi, me laissant, pour voler les abricots verts de ma grand’mère, cette grande période du vendredi au lundi. Pour moi, les abricots sont un gain plus palpable que le plaisir de savoir ce qui s’est passé en Égypte depuis l’époque la plus reculée. Les ténèbres les plus obscures couvrent le berceau de l’Égypte. S’il en est ainsi, cher maître, pourquoi nous en embarrasser ? On ne sait presque rien sur les rois pasteurs. L’acquisition n’est pas considérable. Le roi Sésostris termina sa vie de sa propre main. Pourquoi, mon maître ? Était-il jeune, était-il amoureux, était-il ambitieux ? À tout cela, point de réponse. Pour donner un peu de mouvement à ces vieilles roues de l’antiquité, profondément enfoncées dans un limon très-fangeux, je me mets à soutenir que Sésostris était jeune. Le maître me prouve, en une heure de temps, que Sésostris était vieux. Au moment où je m’endors d’un profond sommeil, arrivent l’un sur l’autre pêle-mêle, Busiris, Psammétious et Cambyse, et une foule d’autres personnages auxquels succède Alexandre, qui les enterre tous, ce qui me fait grand plaisir, car il termine cette interminable leçon. À quoi bon, je vous le demande, remuer ces vieilles cendres froides d’où tout le soleil a disparu ? Là-dessus je me suis mise à regarder par lu fenêtre un magnifique amandier couvert de fleurs charmantes, et plus de vingt minutes s’écoulèrent, après lesquelles je saisis ces paroles : Il fonda le grand empire médo-perse. Je traçai, en bâillant, sur la marge de mon livre, une effrayante tête de Méduse, qui ressemblait à s’y méprendre à la tête d’Arenswald. Ensuite vinrent les vacances de Pâques, qui m’encouragèrent dans la douce habitude de ne plus le voir. Quand recommença la boucherie historique, sous le titre d’Histoire de Perse, quelle douleur ! quelle histoire ! À peine eut-il recommencé son œuvre terrible, que me voilà bâillant, et si haut et si fort, que le professeur furieux se leva, ouvrit la porte et prit brusquement congé de son élève. Dieu sait comment cela se fit, la porte prit un morceau de la culotte, le lambeau resta suspendu, et je vis bien que je serais obligée de donner au bonhomme, pour prix de son catalogue d’horreurs, non-seulement le prix de ses cachets, mais encore une belle culotte par-dessus le marché. »

À notre tour, nous nous permettrons de dire à Bettina : Qu’est-ce que tout cela prouve ? La première petite pensionnaire venue, pour peu qu’elle soit espiègle et malicieuse, peut dialoguer sur ce ton sans être pour cela la dixième muse et la huitième merveille du monde. Il a fallu à Mme de Staël et à George Sand d’autres titres pour avoir des droits à notre admiration.

À quels écarts n’était pas capable de se laisser entraîner cette tête folle et romanesque ! se demandaient ses parents et ses amis, qui s’attendaient chaque jour à la voir victime de quelque imprudent caprice. Mais Bettina, nous l’avons dit, était allemande, et l’exaltation était bien plutôt dans son imagination que dans ses sens. Dans son besoin d’affection, elle s’attacha à une jeune chanoinesse, Caroline de Günderode, qui, effrayée de sa nature extravagante, lui disait un jour : « Je ne sais si tu es le jouet d’un bon ou d’un mauvais génie. » Bettina porta dans cette amitié la violence et l’emportement qu’elle mettait à tout ce qu’elle faisait. « Kreutzer vint voir Savigny à Marbourg, dit-elle dans une de ses lettres. Laid comme il était, il paraissait incapable d’intéresser une femme. Je l’entendis parler de Günderode en des termes qui me laissèrent croire qu’il avait des droits à son amour ; aussi devins-je horriblement jalouse. Il prit devant moi une petite fille sur ses genoux et lui dit : « Comment t’appelles-tu ? — Sophie. — Eh bien, tant que je serai ici, tu t’appelleras Caroline : Caroline, embrasse-moi ! » La colère me saisit, je lui arrachai l’enfant, et l’emportai à travers le jardin sur la tour. Là, je la mis par terre, et je cachai mon visage brûlant dans la neige ; je pleurai tout haut, et l’enfant pleurait avec moi. Lorsque je redescendis, je rencontrai Kreutzer. « Va, ôte-toi de mon chemin, m’écriai-je. » » Voilà ce que l’éloquente Bettina a l’audace d’appeler des Confessions. Décidément, confessions pour confessions, nous aimons mieux celles de J.-J. Rousseau, et même celles de saint Augustin. Et cependant, cette scène est trop remplie de traits vrais et naturels pour avoir été composée à plaisir.

Quelque temps après, Caroline de Günderode se suicida ; le désespoir de Bettina fut immense, et c’est afin de se distraire qu’elle songea à Goethe, pour lequel elle éprouva bientôt cette passion idéale, mais pleine d’emportements, que ses lettres nous révèlent. Elle fit d’abord la connaissance de la mère du grand Olympien, de celle qu’on appelait Mme la Conseillère, et qui portait son titre de mère d’un grand homme avec toute la dignité et la roideur allemandes. La lettre suivante, écrite de la main de Bettina, est curieuse à plus d’un titre ; non-seulement elle renferme un portrait fidèle de la mère de Goethe, mais elle met en scène Mme de Staël, contre qui Bettina nourrissait une jalousie profonde et secrète, à cause des lettres que Goethe lui avait écrites. « Ta mère, écrit-elle à Goethe, qu’elle tutoyait, prévenue que Mme de Staël lui apporterait une lettre de toi, fut enchantée que je vinsse lui prêter assistance ; elle dési-