Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 2, part. 3, Bj-Bo.djvu/323

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

1102

BOUB

tous ceux qui le montaient. Ce fui une scène émouvante et terrible. Les gnrdes nationaux, réunis sur le rivags, criblèrent de balles ces malheureux conjurés, qui se débattaient flans l’eau sans défense et sans abri, et qui durent revenir à terre pour ne pas périr au milieu îles flots. Tandis que le prince et le colonel Vaudrey étaient conduits »u château, on arrêtait dans les rues de Boulogne le général Montholon et le colonel Parquin, ainsi que les principaux conjurés. Le nombre total des arrestations fut de cinquante-trois.

Tout d’abord on ne vit que le côté grotesque de l’affaire et sa mise on scène ridicule. « Le petit chapeau, l’épée d’Austerlitz, l’aigle apprivoisé, dit M. Taxile Delord, servirent de point de mire aux plaisanteries des journaux ; mais un général à demi gagné, un régiment presque embauché, une maison militaire réunie autour de M. Louis Bonaparte, attestaient que la mise en scène burlesque de cette conspiration cachait un tond sérieux.» C’était bien là ce qui inquiétait l’entourage du roi-citoyen, et les journaux qui prenaient le mot d’ordre dans les antichambres des ministères s’efforcèrent de Ciiaher leur trouble sou.t une foule de phrases à effet. Il en avait été de même à Strasbourg, et la facilité des officiers à se laisser entraîner, l’indécision des soldats étaient de nature à provoquer bien des réflexions.

Dès que les détails furent connus à Paris, il y eut dans la presse officielle un concert d’indignations et de malédictions contre le prince. Voici en quels termes le Constitutionnel, qui depuis.s’exprimait sur l’affaire de

Boulogne : ■ Le fils de la reine Hortense avait été insensé à Strasbourg ; aujourd’hui, il est odieux. Sa monomanie de prétendant faisait hausser les épaules ; elle indignera aujourd’hni tous les cœurs honnêtes.

Que nous veut-il ce jeune homme, et que nous est-il ? Le peuple français entoure de ses respects et de son amour la mémoire de Son empereur ; est-ce k dire que tout ce qui s’appelle Bonaparte a le droit de venir troub bler le repos de la France ? Monsieur Louis s’est mis en tête qu’il avait des droits à la couronne. Sur cette prétention, que 33 mil « lions de Français pourraient s’arroger aussi bien que lui, il ram isse quelques mécontents et s’attaque à la France même. Il se croit héroïque, et it n’est que tristement ridicule ; il se dit patriote, et il sert, bien pauvrement, il est vrai, la cause des plus mortels ennemis de son pays.

Dans tout cela, il n’y a pas même de coîjrage. En nos temps, ou l’humanité a la voix si haute, il y a peu de dangers de mort pour les prétendants (7 août)....

Les détails de l’entreprise insensée tentée

« par Louis Bonnparte prouvent que nous l’avons qualifiée ce matin comme ^lle le mè- ritait. Dans cette misérable affaire, l’odieux ’ le dispute au ridicule. Le chef de cette sotte conspiration excite tout à la fois l’indignation et la pitié. La parodie se mêle au meurtre, et, tout couvert qu’il est de sang, Louis Bonaparte aura la honte de n’être qu’un criminel grotesque. La misérable équipée du •> prince Louis a soulevé dans le public’plus o de dégoût que de colère. Si un brave soldat n’avait pas été victime de son dévouement, on n’aurait guère que des rires de pitié pour u cet extravagant jeune homme qui croit nous rendre Napoléon, parce qu’il fait des proclamations hyperboliques etqu’il traîne après n lui un aigle vivant. Mais c’est mie folie cruelle que celle qui verse le sang des Français. La société doit être vengée. Puisque le précédent de Strasbourg n’a pas suffi, il finit o qu’une sévère leçon soit donnée aux aventuriers coureurs de trônes, et qu’on leur apn prenne une fois pour toutes que la couronne de France n’est pas vacante. Aujourd’hui nous en avons fini, grâce au ciel, avec une

« factipn ridicule, et un prétendant au moins

« est à jamnis tombé sous les sifflets du pays. »

C’est toujours un crime de tenter d’allumer une guerre civile au milieu d’un pays qui, sans être pleinement satisfait de son état politique, ne songe pas à renverser ceux qui tiennent le pouvoir, au prix de tous les maux qu’entraîne une tentative inopportune de révolution. Les républicains ne manquèrent pas d’exprimer aussi leur indignation contre le prince Louis Bonaparte ; mais ils le firent en d’autres termes et cherchèrent, en outre, à faire retomber la responsabilité de son éuhauffourêe sur la classe bourgeoise, sur ceux mêmes qui soutenaient le gouvernement de Louis-Philippe. « Si M. Louis Bonaparte, dit a le National, avait triomphé à Boulogne, si la fortune l’avait conduit jusqu’à Paris, c’est notre parti qu’il aurait trouvé en armes sur la place publique, et c’est alors que nous lui aurions demandé de quel droit il venait proposer à la France l’échange d’une couronne contre une couronne, d’une dynastie contre une dynastie. Mais alors aussi, c’est contre nous, assurément, que se serait retournée cette race perverse qui ne salue que > la victoire, qui n’adore que la force, qui n place sous toutes ses idolâtries l’idolâtrie s de son bien-être ; race sans cœur et sans foi, qui aurait été la première à se prosterner devant un Napoléon empereur et

n maître, qui rit aujourd’hui, qui raille et a insulte un prétendant déchu et perdu à jamais. Pour insulter ainsi, il faudrait n pourtant n’avoir aucun reproche à se faire. Mais qui donc a inspiré à ce prétendant la s folie de ses entreprises ? On l’avait traité

BOUL

en prince, et l’on s’étonne qu’il se soit cru des droits de prince ! On l’avait mis au-dessus de la loi, et l’on s’étonne qu’il n’ait pas respecté

« les lois 1 On aété jusqu’à menacer de la guerre une nation voisine par rapport à lui, et l’on

« ne veut pas qu’il se soit cru puissant et dangereux ! On a ramené tous les souvenirs qui

■ se rattachent au nom qu’il porte, et l’on ne veut pas qu’il ait songé à revendiquer l’héritage, lorsqu’ un ministre avait proclamé sa légitimité 1... »

On sait le reste : le prince Louis fut jugé par la Chambre des pairs et défendu par la voix éloquente de M. Berryer, assisté de M. Marie, Quand il parla lui-même, il s’attacha généreusement a. concentrer sur lui seul la responsabilité entière de l’événement, et il terminait sa propre défense par ces fières et nobles paroles :

« Quant à mon entreprise, je le répète, je n’ai point eu de complices. Seul j’ai tout résolu ; personne n’a connu à l’avance ni mes n projets, ni mes ressources, ni mes espérances. Si je suis coupable envers quelqu’un, c’est envers mes amis seuls. Toutefois, qu’ils ne m’accusent pas d’avoir abusé légèrement de n courages et de dévouements comme les leurs. Ils comprendront les motifs d’honneur et de prudence qui ne me permettent pas de révéler k eux-mêmes combien étaient étendues et puissantes mes raisons d’espérer un succès.

Un dernier mot, messieurs. Je représente devant vous un principe, une cause, une dé « faite. Le principe, c’est la souveraineté du peuple ; la cause, celle de l’empire ; la défaite, Waterloo. Le principe, vous 1 avez reconnu ; la cause, vous l’avez servie ; la défaite, vous voulez la venger. Non, il n’y a pas de désaccord entre vous et moi, et je ne veux pas croire que je puisse être dévoué à porter la peine des défections d’autrui.

Représentant d’une cause politique, je ne puis accepter comme juge de mes volontés et de mes actes une juridiction politique. Vos formes n’abusent personne. Dans la lutte qui s’ouvre, il n’y a qu un vainqueuret un vaincu. Si vous êtesles hommes du vainqueur, je n’ai

■ pas de justice à attendre de vous, et je ne > veux pas de votre générosité. •

Une des circonstances les plus curieuses de ce grand procès fut la méfiance, justifiée ou non, que le général Magnan et M. Fialin de Persigny inspiraient h tous les conjurés. Dans la persuasion où ils étaient d’avoir été trahis, ils promenaient leurs soupçons de l’un à l’autre, les arrêtant parfois en même temps sur ces deux personnages, dont l’attitude, d’ailleurs, semblait quelque peu embarrassée. Ajoutons que le prince jugeait ces soupçons mal fondés.

On connaît l’issue du procès : par arrêt du G octobre, le prince fut condamné à une prison perpétuelle ; ses compagnons à des peines diverses, suivant l’importance de chacun et la part qu’il avait prise au complot.

Pour de plus amples détails, nous renvoyons le lecteur à l’excellente suite que M. Elias Regnault a donnée à Y Histoire de dix ans de M. Louis Blanc. C’est dans cet ouvrage que nous avons puisé la plupart des renseignements qui nous ont servi pour la rédaction de cet article.

BOULOGNE-SCR-SEINE, ville de France (Seine), arrond. et à 14 kilom. S.-O. de Saint-Denis, à 8 kilom. O. de Paris, sur la rive droite de la Seine ; pop. aggl. 13,606 hab.pop. tôt. 13,944 hab. Cette localité, agréablement située entre le bois qui porte son nom et la Seine, s’appelait’, sous les premiers rois capétiens, Menus-lès-Saint-Cloud. Du Breuil, dans son Théâtre des antiquités de Paris, nous apprend qu’en 1319 Philippe V, dit le Long,

■ donna permission aux citoyens de sa bonne ville de Paris et anltres, qui avoient été en pèlerinage visiter l’église Nostre-Dame de Boulogne-sur-la-Mer, de faire bastir et construire une église au village de Menus-lez-Saint-Cloud, et en icelle instituer et ordonner une confrairie entre eux. » La nouvelle église, érigée en paroisse en 1343, devint un but de pèlerinage pour tous les habitants de la contrée. En 1429, un prédicateur, le frère Richard, cordelier, y opéra de véritables prodiges par son éloquence. Le Journal de Charles VII rapporte que les Parisiens accoururent en foule pour l’entendre, et à leur retour « brusloient tables de jeu et tabliers, cartes, billes et billards, murelis et toutes choses semblables ; et les damoiselles, tous les atours de leur tête, comme bourreaux, touffeaux, pièces de cuir ou de baleine, qu’elles mettoient en leurs chaperons pour estre plus roides ; les demoiselles laissèrent leurs cornes et leurs queues, et grand foison de leurs pompes. » L’église où s’étaient opérées de si merveilleuses conversions attendit pendant cinq siècles son achèvement. Comme celle de Boubgnesur-Mer, elle devait offrir une nef flanquée de transsepts rectangulaires ; mais, faute de ressources suffisantes, on ne put construire ces transsepts. Il appartenait à notre époque de voir terminer cet intéressant monument. Des crédits ont été alloués à cet effet par l’État, en IS60, et la direction des travaux de restauration et d’achèvement de l’édifice a été confiée à M. E. Millet. Actuellement, l’église de

| Boulogne est pourvue des deux transsepts projetés jadis, et sa nef s’est augmentée d’une

travée. Les vieilles masures qui l’emprison I liaient au nord et oui servaient de sacristie

BOUL

ont été démolies, et sur leur emplacement on a établi un jardin. Toutes les parties basses des éperons du cheeur, ainsi que l’intérieur du sanctuaire et les croisées a meneaux, ont été restaurées ou reconstruites. Il en a été de même des chéneaux et gargouilles qui surmontent les éperons de la balustrade en pierre formant couronnement. Du centre du transsept s’élève un clocher octogone, avec un étage a jour décoré de pilastres et surmonté d’une flèche en charpente entièrement recouverte de plomb. L’ancien porche méridional, du xvie siècle, a été remplacé par un petit porche plus en harmonie avec le style de l’édifice. Enfin, le tympan de la porte principale de la façade ouest a été décoré d’un bas-relief dû au ciseau de M. Pascal et représentant la légende de Notre-Dame de Boulogne-sur-Mer, c’est-à-dire la Vierge débarquant avec deux anges.

BOULOGNE (bois de), promenade habituelle du Paris élégant, une des principales et des plus fréquentées. Il a pendant longtemps été désigné sous le nom de forêt de Rouvray, à cause des chênes rouvres qui y poussaient en toute liberté, abritant quelques huttes de bûcherons et de charbonniers. Des bourgeois de Paris, revenant d’un pèlerinage h Bonlognesur-Mer, obtinrent la permission d’édifier sur les bords de la Seine une église pareille à celle qu’ils avaient visitée. En l’année 1319, le jour de la Purification, le roi de France, Philippe "V, dit le Long, posa la première pierre de Notre-Dame de Boulogne, au hameau de Menus-lez-Saint-Cloud, qui devint le village de Boulogne-sur-Seine. En 1320, la forêt de Rouvray abdiqua son ancien nom, et, se plaçant sous l’invocation de la nouvelle église, s’appela bois de Notre-Dame de Boulogne. En 1417, le bois de Notre-Dame de Boulogne, qu’on appelait aussi bois de SaintCloud, adopta définitivement la dénomination de bois de Boulogne. Toutefois, nous voyons encore, beaucoup plus tard, Olivier le Daim, barbier et ministre de Louis XI, prendre les titres de capitaine du pont de Saint-Cloud et garde général de la garenne de Rouvray. Lors de la Révolution, Te bois de Boulogne ne présentait guère à la vue des promeneurs que des arbres décrépits, craquant sous le poids des ans. Napoléon 1er le dota de plantations nouvelles et d’avenues, et en fit une des promenades les plus agréables des environs de Paris ; mais, en 1815, lors de l’invasion étrangère, les soldats de Wellington et les cosaques d’Alexandre, campés sous ses ombrages, le ravagèrent et le mutilèrent. En 1840, la construction de l’enceinte fortifiée en diminua l’étendue : il ne compta plus que 765 hectares de superficie et 13,760 m. de tour. Enfin, en 1852, il a été distrait du régime forestier et concédé k la ville de Paris, qui l’a fait disposer en superbe parc à l’anglaise. Resserré du côté d’Autcuil, agrandi du côté de Longchamps, le bois de Boulogne embrasse maintenant plus de &00 hectares. Il est enclos de murs et fermé par onze grilles, savoir : deux au nord, la porte Maulot et la porte de Neuilly ; quatre à l’ouest, les portes de Saint-James, de Madrid, de Bagatelle et de Longchamps ; deux à l’extrémité méridionale, celle de Boulogne et celle des Princes ; les trois dernières font communiquer le bois avec les villages d’Auteuil et de Passy et avec le faubourg de Chaillot : celle qui donne sur Passy s’appelle la Muette. — Les voitures pénétrent dans le bois de Boulogne, dont l’entrée est gratuite, et plusieurs omnibus y aboutissent de l’intérieur de Paris. Il a sur nos jardins publics cet immense avantage qu’on le trouvo ouvert h toute heure du jour et de la nuit. Pourquoi faut-il que la vie galante y ait établi son centre d’action ? Mais n’anticipons pas ; finissons-en avec le sérieux, avant d’entrer dans le domaine du plaisant.

Le bois de Boulogne a donc été considérablement embelli depuis que la ville de Paris en a pris possession. Un simple jardinier, qui, sans éducation première, dessinait sur le terrain les jardins paysagers les plus pittoresques, M. Warée, créa le premier ces améliorations importantes. C’est sur ses indications qu’une rivière, dont les eaux entourent des îles verdoyantes, a été creusée. Les chaussées principales ont été macadamisées et bordées degazon. Des routes spacieuses, de larges avenues, dont plusieurs sont éclairées au gaz sur une longueur de plus de 1,000 m., aboutissent maintenant à des sites ravissants, à des lacs, à des chalets, à deux cascades artificielles, à des restaurants, à des cafés, à des jeux et à des divertissements de toutes sortes. Une enceinte nouvelle a été tracée. Par suite, le bois se trouve limité, à l’est, par les fortifications ; à l’ouest, par la rive droite de la Seine, depuis la ville de Boulogne jusqu’à Neuilly ; enfin, au nord et au sud, par deux vastes boulevards, défendus au moyen d’un saut-de-loup, et qui s’étendent, des fortifications à la Seine, sur une longueur de plus de 8 kilom. Ces deux boulevards sont bordés d’une grille élégante, d’un modèle uniforme, au delà de laquelle s’élève tout un monde de villas et de gracieux cottages.

Dans le bois de Boulogne se voyait autrefois le château de Madrid, attribué au roi François 1er, qui l’aurait construit en souvenir et sur les dessins de celui où Charles-Quint le tint captif après la défaite de Pavie. "1 s’y rendait fréquemment et s’y plaisait beaucoup. Henri II et Charles IX le réduisirent aux proportions galantes d’une retraite mystérieuse.

BOUL

Henri III le consacra à des plaisirs singuliers, y fêta ses mignons et y fit élever des lions, des ours et d’autres bêtes féroces, qu’il aimait à voir aux prises avec des taureaux. Mais, une nuit, ce dépravé sanguinaire rêva que ces animaux voulaient le dévorer ; le lendemain, il donna l’ordre de les tuer et de les remplacer par des meutes de petits chiens. C’est au château de Madrid que Jean Hindret établit, en 165G, les premières fabriques de bas au métier. Ce lieu de plaisance, dont les principales parties furent détruites sous Louis XV, n’est plus qu’un restaurant, rendez-vous de la société élégante de Paris. Non loin de là est Bagatelle, charmante demeure que le comte d’Artois fit construire en soixante - quatre jours, et qui porta aussi le nom de Folie-d’Artois. On lisait, au-dessus de sa porte, ces trois mots en guise d’épigraphe : Parva sed opta. Bagatelle servit à des fêtes publiques sous la Révolution. Le duc de Bordeaux y fut élevé. et elle est aujourd’hui la propriété du marquis de Hertfort.

Le château de la Muette, qui fait également partie du bois de Boulogne, était dans l’origine un rendez-vous de chasse, où Charles IX, le héros de la Saint-Barthélémy, venait tirer le cerf et le sanglier, en attendant qu’il se donnât le royal plaisir de chasser au nugue» not, du haut du balcon du Louvre. Marguerite de Valois, première femme de Henri IV^’offrit au jeune roi Louis XIII, en 1610. La Muette était devenue la propriété d’un sieur Fleuriau d’Amenonville, lorsque la duchesse de Berry, cette aimable fille du régent qui mourut dans une orgie, l’acheta en échange du château de Madrid. Lorsque les plaisirs de toutes sortes eurent tué la duchesse, en 1719, la Muetto resta au domaine royal ; réparé, augmenté d’un étage, agrandi par ses jardins aux dépens du bois de Boulogne, ce galant réduit, qui avait donné asile aux excès et aux scandales de la Régence, reçut, quelques années plus tard, à son arrivée on France, Marie-. Antoinette, qui, la veille de son mariage, y passa la nuit. Le couple royal l’habita les premiers mois qui suivirent l’avènement de Louis XVI au trône, et c’est de la Muette que fut daté l’acte par lequel ce roi renonçait à son droit de joyeux avènement. La première ascension aérostatique qu’on ait vue à Paris fut entreprise par Pilâtre des Roziers et le marquis d’Arlandes, le 21 octobre 1783, à une heure cinquante-quatre minutes de l’aprèsmidi, dans les jardins de la Muette. Ce fut dans ces mêmes jardins que la commune de Paris offrit, le 14 juillet 1790, aux fédérés, un banquet de 15,000 couverts. L’année d’après, une partie de la Muette fut vendue comme bien national ; l’autre demeura la propriété de l’État, puis de la couronne, jusqu’en 1803, époque à laquelle elle fut aliénée. Le fameux facteur d’instruments de musique, Sébastien Erard, futlongtenipspropriéU : rede la Muette, où il avait rassemblé une galenp précieuse do tableaux. Après sa mort, le docteur Guériny installa un établissement orthopédique.

Continuons notre promenade. l’evant la Muette est le Ranelagh, bal champêtre longtemps en vogue et qui fut le berceau du cancan, rendez-vous des Madeleines les plus en vogue et les moins repentantes^ dont la devise est : « Sans danser peut-on vivre un jour ?» La plus timide d’entre ces belles pécheresses vous chantera :

J’ai le front pur et l’Ame d’une sain tu ;

Je tiens fort bien ma plao’, dans un festin...

J’ai le défaut de botre un peu d’absinthe,

Et n’mets jamais un’ goutt’ d’eau dans mon vin.

L’inventeur de ce genre d’établissement, qui comporte la promenade dans les bosquets, les concerts, la danse et les feux d’artifice, était un lord d’Irlande. Celui qui importa chez nous la noble création du lord se nommait Morisan. Il était protégé par le prince de Soubise, gouverneur du château de la Muette et grand gruyer ; mais le grand maître des eaux et lorêts de la généralité de Paris, siégeant à la table de marbre du Palais-de-Justice, lit fermer le Ranelagh, qui avait ouvert ses portes le 25 juillet 1774. Les juges dont était président ce personnage, qui n’aimait pas la danse, reçurent l’opposition du procureur général dû roi aux actes de permission donnés par le prince de Soubise. » Nous permettons, dit un arrêt du 3 juillet 1779, de faire assigner aux délais de l’ordonnance, en la cour, Morisan et Renard, et cependant, par provision, ordonnons que, dans le jour de la signification du présent arrêt, lesdits Morisan et Renard seront tenus, chacun en droit soi, de faire abattre et démolir les cheminées, fours et fourneaux par eux construits dans le bois de Boulogne ; taisons aussi défense par provision, auxdits Morisan et Renard, de récidiver d’allumer dans leurs loges, enceintes, Ranelagh et baraques, aucuns feux, sous peine de galères. Au surplus, faisons défense de continuer aucuns ouvrages, à peine d’être, les contrevenants, ouvriers et voituriers, emprisonnés sur-le-champ. » Le Ranelagh triompha de ses ennemis, et proar péra pendant de longues années. Il était célèbre surtoutsous la Restauration, et ses bals de nuit seuls sont restés en vogue de notre temps. Si jadis la mère y conduisait sa fille, à présent l’ingénue qui s’y égare dans le doux espoir d’un prince russe dépose ses parents au vestiaire, par mesure de prudence. Là, plus d’une dame du lac vient achever le rêve commencé aux alentours de la Cascade, rêve émaillé de cachemires et de huif^ressorts ; là encore, plus