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d’une biche (c’est le nom de ces daines) vient sourire aux vieux cerfs de la finance et aux jeunes daims de la fashion.

La vogue du Ranelagh a beaucoup souffert de la création du Pré-Catelan. Qu’était-ce, il y a dix ans, que le Pré-Catelan ? Un amas de sable et de cailloux, une lande effondrée, raboteuse et marécageuse, mesurant quatre

hectares, qui furent concédés, le 27 mars 1850, à. M. Nestor Roqueplan, pour une période de quarante années, à la condition d’y faire un établissement publie. M. Ernest Ber se chargea de mettre en valeur ces quatre hectares. Le 12 avril, les terrassiers se mettaient k l’œuvre, et on transportait deux cent cinquante mille tombereaux de terre végétale et de terre de bruyère pour les premiers travaux de nivellement et de remblai. Des légions de jardiniers, sous la direction de M. Barillet-Desehamps, jardinier en chef du bois de Boulogne, improvisèrent un Eden sur cette terre désolée. En trois mois, et moyennant 400,000 francs, le miracle fut accompli. Huit mille arbres, des essences les plus rares et du plus beau feuillage, se trouvèrent plantés en un clin d’œil ; de toutes parts se groupèrent d’immenses corbeilles de fleurs, de vertes pelouses, des massifs, des constructions légères et charmantes, kiosques, chalets, pavillons, cafés, cabinet de lecture, restaurant, théâtres de prestidigitation, de marionnettes, un théâtre des fleurs, muni de herses a gaz, de dessous, de trucs et de machines comme un spectacle de féeries, décoré de plantes nouvelles venues a grands frais de Belgique et de Hollande, enfin un aquarium de pisciculture. Ajoutons que la concession, qui n’était d’abord que de quatre hectares, s’étendit à plus de cent mille mètres. Tous les dimanches, à trois heures, le concert Musard attire la foule au Pré-Catelan.

L’origine de ce nom de Pré-Catelan doit être rappelée. Devant l’établissement lyrique, à l’ancien carrefour de la Croix-Catelan, s’élève une petite pyramide qui rappelle une lugubre histoire. Arnauld de Catelan, troubadour provençal, le charme et la gloire de la cour de Béatrix de Savoie, avait été envoyé au roi Philippe le Bel. Le roi, qui était alors dans son manoir de Passy, chargea une escorte d’aller au-devant du poète ; mais le bruit s’était répandu que Catelan apportait, de la part de la comtesse, de l’or et des bijoux, et il fut tué par ceux qui avaient mission de le protéger. On ne trouva sur lui que des parfums et des liqueurs. Les gens de l’escorte vinrent dire qu’ils n’avaient pas rencontré le troubadour. Des recherches, ordonnées par le roi, firent découvrir le cadavre dans les broussailles ; mais on supposa que les assassins appartenaient aux bandes qui infestaient la forêt. La vérité ne tarda pas à être connue. Le capitaine de l’escorte se présente àquelque temps de là devant le roi, les cheveux embaumés d’une essence inconnue à la cour de France, et dont l’origine provençale se trahissait. Une perquisition amena la découverte d’une foule d’objets provenant d’Arnauld de Catelan. Les coupables furent brûlés vifs, et Philippe le Bel éleva a la mémoire de la victime la pyramide qui existe toujours.

Le bois de Boulogne offre encore à la curiosité publique le Jardin zoologique d’acclimatation, où se promènent des zèbres et des lamas ; puis les glacières de la ville de Paris, où se recueillent, chaque hiver, environ trente millions de kilogrammes de glace. À ses portes, sur l’avenue de Saint-Cloud, est l’Hippodrome, magnifique spectacle équestre, ouvert quatre l’ois par semaine, de 3 à 5 heures de l’aprèsmidi. Construit d’abord au rond-point de l’Etoile, un incendie le détruisit le 27 juillet 1S4G.

À l’extrémité sud-ouest et dans l’enceinte même du bois de Boulogne, entre Boulogne et le pont de Suresnes, s’étend la plaine de Longchamps, achetée en 1854. Il a fallu des travaux considérables pour la réunir au bois et y créer un vaste hippodrome, répondant à toutes les exigences pour les courses du gouvernement et celles de la Société d’encouragement. La plaine^était coupée par un bras de la Seine, inutif à la navigation ; un mur de clôture et un mamelon élevé, au sommet duquel apparaissait l’ancien cimetière de Boulogne, la séparaient du bois. Le mur a été jeté bas ; le mamelon a fourni 220,000 mètres cubes de déblais, qui ont servi à niveler la plaine et à combler le bras du fleuve. Certaines parties de ce vaste fossé, ayant été réservées, forment à présent trois pièces d’eau reliées entre elles par un petit ruisseau qui, après avoir serpenté dans la plaine, où il baigne le pied d’un ancien moulin a vent, va aboutir à la porte de Longchamps. L’hippodrome contient deux pistes de 30 mètres de largeur ; l’une, tracée dans la plaine, a 2,000 mètres de longueur ; l’autre, qui se développe en partie sur le plateau en pente douce, reliant la plaine au bois, est de 4,000 mètres. Dévastes et élégantes tribunes, adossées à la Seine en face du bois, ont été construites en 1850 ; elles peuvent donner accès à 5,000 personnes. Douze kilomètres de route de 20 mètres de largeur ont été disposés autour des pistes et sur les rives de la Seine. Lu route qui côtoie le fleuve se prolonge par un boulevard en dehors du bois jusqu’au pont âe Saint-Cloud. Deux cent mille pieds d’arbres et d’arbustes ont été, en 1855, jetés dans la plaine, en massifs isolés, ménageant des perspectives sur le mont Vatérien, Saint-Cloud, Aieudon, le viaduc du chemin de fer de Versailles, le pont de Suresnes, Neuilly et le clocher de Boulogne. Une cascade, qui n’a pas

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moins de 14 mètres de hauteur sur 64 de largeur, se dresse à l’ancienne porte de Longchamps, et est alimentée par le trop-plein des lacs et les ruisseaux du bois. Quanta la plaine située entre le pont de Suresnes et Neuilly, elle ne fut attaquée qu’en 1856 ; un champ d’entraînement, complément indispensable du magnifique hippodrome, fut établi à cette époque dans cette nouvelle partie du bois.

Le bois de Boulogne est, chaque année, le but de la promenade célèbre de Longchamps. Ce fut au commencement du règne de Louis XV que se régularisèrent ces pèlerinages fameux de la haute société de Paris à rabbaye de Longchamps, pendant les trois derniers jours de la semaine sainte, pèlerinages qui, comme tant d’autres, eurent pour but la galanterie, l’ostentation ruineuse et cette dévotion commode que les gens du monde pratiquent au grand profit du haut clergé. Le monastère de Longchamps, qui aura son article spécial dans ce Dictionnaire (V. longchamps), abbaye de religieuses de l’ordre de Saint-François, fondé vers le milieu du au’ siècle par Isabelle, sœur de saint Louis, a compté des princesses parmi ses religieuses ; mais Henri IV s’étant avisé d’y aller prendre une maîtresse, Catherine de Verdun, à laquelle il donna un prieuré et dont il protégea le frère, la discipline en fut singulièrement compromise. Les nonnes de Longchamps ne tardèrent pas à se livrer à toutes sortes de scandales. Elles portèrent des «vêtements immodestes » et leurs parloirs furent ouverts « aux premiers venus ». Les relations avec la capitale devinrent de plus en plus fréquentes, et les Parisiens préludaient par des promenades partielles à la grande promenade périodique. Une célèbre actrice de l’Opéra, M’ !e Le Maure, fit, en 1729, retentir de ses notes brillantes les voûtes de l’église de Longchamps, et tout Paris vint l’entendre. Les religieuses, formées à ses leçons, chantèrent Ténèbres pendant la semaine sainte, et le succès fut tel, que l’abbesse se mit en quête de belles voix et en demanda aux chœurs de l’Opéra. Les dryades du Triomphe de l’Amour se transformèrent en vierges du Seigneur, et l’on accourut comme au spectacle : on assiégea les portes, on escalada les galeries, on se hissa sut les tombeaux, sur les autels, on se glissa un peu partout, et il y eut plus d’une fois erreur sur la qualité des vierges chantantes, plus d’une fois confusion entre celles qui l’étaient toute l’année et celles qui ne l’étaient

?[ue trois jours l’an, tant il est vrai que l’habit

ait le moine. L’effroyable cohue dura plusieurs années. Certain mercredi saint, le flot mondain trouva portes closes par ordre de M. de Beaumont, archevêque de Paris. Le pèlerinage annuel n’en continua pas moins, l’habitude était prise ; mais on tourna l’église au lieu d’y entrer : c’était une inauguration des promenades, une fête publique du printemps, un salut donné en grande pompe aux premiers rayons du soleil, aux feuilles nouvelles et aux modes à venir. On y accourut de Paris, de Saint-Germain et de Versailles, à pied, à cheval et en voiture, les dames en grande toilette, les officiers de la maison du roi en brillant uniforme, la finance avec ses dorures, ses diamants et son opulence de fraîche date, les filles d’Opéra dans leur luxe insolent, les beautés à la mode, les impures, comme on les appelait, se pavanant dans leur effronterie acclamée. Dès le mercredi saint le défilé commence : carrosses somptueux, carrosses de remise, calèches, fiacres, cabriolets, chaises à porteurs, vinaigrettes, encombrent les allées des Champs-Élysées et du bois de Boulogne ; les cavaliers font piaffer leurs élégantes "montures et menacent d’écraser les piétons, qui nomment tout haut les maîtresses avouées des princes et des ducs. Allez, rois d’un jour et reines d’une heure, qui ferrez d’argent vos fringants chevaux et dorez vos laquais, pendant que le peuple souffre et geint ; allez, société prodigue, société désordonnée, société en putréfaction, allez à Longchamps, où vous guette la ruine, au retour vous trouverez la Révolution qui s’apprête à venger vos mépris, vos duretés et vos scandales.

De 1750 à 1760, Longchamps atteignit son apogée. Une certaine solennité y présidait, et le sceptre de la mode n’y était pas encore laissé aux mains des courtisanes. Cela vint vite, grâce aux fermiers généraux et aux grands seigneurs, qui se disputèrent au poids de l’or des filles sans nom, sans esprit, sans cœur, parfois sans beauté, ramassées dans la boue et, comme par une sorte de dépravation raffinée, hissées de la borne abjecte au trône triomphal. Ainsi les Mémoires secrets nous disent qu’à la promenade de mars 1768, favorisée par un temps admirable, « les princes, les grands du royaume » se montrèrent « dans les équipages les plus lestes et les plus magnifiques ; » Bachaumont, qui ne songe guère à critiquer, ajoute : « Les filles y ont brillé à leur ordinaire ; mais Mlle Guimard, la belle damnée, comme l’appelle M. Marjnontel, a attiré tous les regards par un char d’une élégance exquise, très-digne de contenir les grâces de la moderne Terpsichore. Ce qui a surtout fixé l’attention du public, ce sont les armes parlantes qu’a adoptées cette courtisane célèbre : au milieu de l’écusson se voit un marc d’or, d’où sort un guy de chêne. Les Grâces servent de supports, et les Amours couronnent le cartouche. Tout est ingénieux dans cet emblème. » Bachaumont est bien de son temps ; il ne s’aperçoit pas que ce blason révèle un lucre honteux, il oublie l’impudence

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de l’aveu pour ne songer qu’à, l’esprit de l’effrontée ballerine, qui d’ailleurs vivait sur une bonne feuille, comme disait Sophie Arnould, la feuille des bénéfices, ayant parmi ses amants un évoque, M. de Jarente. La chanteuse Duthé succéda à. la Guimard dans le rôle de beauté à la mode. En avril 1771, elle apparaît à Longchamps dans un équipage doré, traîné par six chevaux comme celui d’une princesse du sang. Deux jours de suite elle excite l’admiration ; elle se croit sans rivale ; mais, le troisième jour, un équipage également doré, également traîné par six chevaux, vint galoper à côté du sien. Une obscure petite fille, au museau de Chinoise, M’i" Cléophile, danseuse en double de l’Opéra, venait opposer carrosse contre carrosse et faire assaut avec la beauté fade et régulière de la Duthé. L’ambassadeur d’Espagne, le duc d’Aranda, s’était donné le noble plaisir d’équiper ainsi la petite Cléophile, cette jolie pécheresse qu’un mal horrible, que le ténor Lainez appelait antisocial, allait bientôt tuer. Un an après, la Duthé fut huée et siffiée ; elle était alors la maîtresse du comte d’Artois, marié depuis peu à Marie-Thérèse de Savoie, Ainsi, à Longchamps comme partout, les reines éprouvent l’inconstance du public. Cette fois, les Parisiens prenaient parti pour la comtesse délaissée, malgré le mot de M. de Bièvre, qui, instruit des visites du comte d’Artois chez la courtisane, avait dit : « Las de biscuits de Savoie, il vient prendre du thé. »

L’affluence de comédiennes et de femmes équivoques offrait un spectacle si scandaleux, qu’orutenta, en 1776, de fermer les portes du bois durant la semaine sainte ; mais cette tentative avorta. En 1777, l’héroïne de Longchamps fut la tragédienne Raucourt, la protégée de Marie-Antoinette, en dépit d’une vie licencieuse et désordonnée. La promenade de

1780 fut des plus brillantes, malgré le froid. La file des équipages allait sans interruption depuis la place Louis XV jusqu’à, la porte Maillot, entre deux haies de soldats du guet. Les voitures circulaient plus librement dans le bois, dont la garde était confiée à la maréchaussée. On signala comme des merveilles

deux carrosses de porcelaine. L’un, occupé par la duchesse de Valentinois, avait pour attelage quatre chevaux gris pommelé, dont les harnais étaient de soie cramoisie, brodée en argent ; h. second appartenait à M’e Beaupré, figurante de l’Opéra ; il était enrichi de peintures représentant les amours de Diane et d’Endymion. Toute l’admiration se porta sur le second véhicule, que traînaient quatre chevaux isabelles, harnachés de velours bleu foncé, rehaussé d’une élégante et somptueuse broderie en or. Le quatrain suivant, œuvre d’un poète qui passait, fut remis respectueusement à la duchesse éclipsée :

Belle Valentinois, laissez sous la remise Ce carrosse fragile, avec raison vanté ; La vertu d’opéra doit, en toute entreprise, L’emporter en fragilité.

Le char de la Beaupré, dont le prince de Montbarrey avait fait les frais, reparut l’année suivante avec un prince du sang, le duc de Chartres, pour écuyer Cavalcaciour : « Ce qui, dit la chronique, n’augmenta pas pour lui la vénération publique. » Le Longchamps de

1781 brilla peu, malgré la présence du comte et de la comtesse d’Artois, du duc et de la duchesse de Bourbon. Il y eut pendant quelques années diminution progressive dans le luxe et le nombre des équipages. Pourtant les modes atteignaient un degré d’extravagance qui aurait du augmenter encore les splendeurs et les folies de leur fête annuelle. Les étoffes opéra-brûlé, entrailles de petit-maître, soupir étouffé, cuisse de nymphe émue, ventre de puce en fièvre de lait, faisaient alors les délices du beau monde ; les hommes se coiffaient a l’oiseau royal, au cabriolet, à la Ramponneau, à l’hérisson ; les femmes se coiffaient à l’enfant, pour plaire à la ruine, qui venait de perdre ses cheveux k la suite d’une couche, et les pouffs disaient leur dernier mot ; on allait voir paraître les gigantesques bonnets à la BelleBoule, k la à’Estaing, au ballon à la Montgolfier, au Port-Mahon, au compte rendu, aux relevailles de la reine, les chapeaux à la caisse d’escompte , chapeaux sans fond, comme leur marraine. Les carrosses massifs avaient été remplacés par les wiskys ou garricks. Il en parut un au Longchamps de 1786, qui fit merveille. Cette année-là, les. demoiselles Adeline et Deschamps, de la Comédie-Italienne, furent acclamées. La première avait reçu de M. Weynnerange, intendant des postes et relais, un présent de mille louis pour son Longchamps. La seconde est nommée par Delille, dans une Épître sur le luxe :

Cette beauté vénale, émule de Deschamps,

Des débris de vingt ducs scandalise Longchamps.

Cette Deschamps, qui se vantait d’avoir, à trente ans, dévoré deux millions, était montée à un degré d’opulence qui lui fit adopter le luxe insolent de border les bourrelets le sa chaise percée de dentelles d’Angleterre, et d’orner de strass les harnais de ses chevaux. Dix années qu’elle passa à Saint-Lazare vengèrent son mari de ses désordres.

Une modification essentielle, introduite au Longchamps de 1787, lui rendit un moment son primitif éclat. On renonça à suivre la route inégale et sablonneuse de l’abbaye, pour adopter 1 allée qui va de la Muette à Madrid. Depuis longtemps on n’avait vu tant de monde tant de voitures aussi belles et aussi

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bizarres ; les wiskys y brillaient surtout ; beaucoup de petits-maîtres, beaucoup de dames avaient fait faire une voiture différente pour chaque jour. Un wisky, plus bizarre et plus galant que les autres, accapara la curiosité ; ce wisky était surmonté d’une Folie avec sa marotte : dedans étaient quatre marionnettes, deux de chaque sexe, saluant à droite et à gauche sans cesse ; tout cela était mené par un ânon joliment harnaché, et un jockey dirigeait l’animal. On lisait sur la voiture : « jD’oil viens-je ? Où vais-je ? Où suis-je ? » Le marquis de Villette passa pour être l’auteur de cette ingénieuse critique, que l’on appela s.Parodie de Longchamps. La Révolution interrompit Longchamps, que les vainqueurs de thermidor devaient ressusciter. Avril 1797 vit la jeunesse dorée prendre ses ébats à Longchamps, le jour du ci-devant mercredi saint. Une foule élégante et badine vint y chercher un parfum d’ancien régime ; mais il y eut encore peu de voitures, et l’on ne distingua qu’un seul équipage à quatre chevaux conduit par des laquais vêtus à l’anglaise. Le jeudi, les équipages se montrèrent plus nombreux, allant et venant sur deux lignes parallèles. La citoyenne Tallien, la citoyenne Récamier ; deux comédiennes, la citoyenne Lange, qui devait épouser un carrossier, et la citoyenne Mézeray, qui devait aller tomber, pour ne plus se relever, à deux pas de l’égout de Montmartre et mourir folle, après avoir captivé un instant le maître de l’Europe, bien d’autres sirènes et bien d’autres nymphes eurent les honneurs de la journée. Le vendredi, on compta deux mille voitures, et les mêmes héroïnes reparurent avec des toilettes différentes. Franconi avait réuni ses musiciens dans une vaste gondole, qu’escortaient une foule d’écuyers ; il donna un concert ambulant aux promeneurs, depuis la place

Louis XV jusqu’à Bagatelle. Des troupes à pied et à cheval ^ des agents de police s’échelonnaient sur toute la route, car le gouvernement était averti qu’une grande conspiration se préparait et que l’on devait profiter de Longchamps pour prendre le chemin de la Bévolte- Les Parisiens raillaient les nouveaux enrichis, insolents et superbes. Les merveilleux de l’an VIII figurèrent à Longchamps en habit gros bleu, brodé en soie bleu de ciel, à collet triplement juponné, avec cravate nouéésur le côté gauche, gilet à la débâcle, et demi-chemise de batiste. Les couleurs chamois, serin et violet dominaient dans les ajustements des dames. La coiffure en vogue était le fichu en marmotte sur un chapeau de paille. En 1800, Longchamps mêle à sa fête le spectacle d’une revue. « Les promeneurs étaient nombreux, dit M. Alfred Deberle dans Dupuytren, de fringants équipages emportaient les oisifs dans le tourbillon des Champs-Élysées ; des cavaliers lancés à bride abattue fendaient l’air déjà

Earfumé des douces émanations du printemps.es incroyables, en habits carrés et coiffés en caniches, lorgnaient effrontément de tous côtés ; quelques merveilleuses en costume grec essayaient de lutter de grâce contre les caprices de la mode. Des jeunes gens, ayant les cheveux coupés à la Titus ou à la Caracalla, escortaient de jeunes femmes aux perruques blondes, frisottées à la Bérénice ou a la sacrifiée, qui portaient majestueusement sur le bras les plis relevés de leur robe de linon traînante. » Les préoccupations du jour étaient moins à la mode qu’à la guerre, on s’entretenait du premier consul. On l’avait vu le matin même passer en revue les régiments qui traversaient Paris pour se rendre aux frontières. Les noms de Masséna et de Moreau, ceux de Bonaparte et de Cambacérès circulaient de bouche en bouche. Le temps n’était pas loin où les coquettes allaient porter du linon sur la chemise au mois de mars, même au mois de janvier, laissant la robe, collée aux cuisses, dessiner les formes (non pas celles de la taille seulement) drapées dans une simple mousseline bien claire et sans apprêt appliquée comme un linge mouillé sur la peau. Les femmes en vinrent à paraître presque nues à Longchamps ; après avoir accommodé leurs cheveux au sentiment, elles eurent sur le sommet de la tète des houppes appelées tempérament, ce qui fit dire : « Nos femmes ont quitté le sentiment ; elles n’ont plus que du tempérament. » Les élégants brillaient dans les dîners au bois de Boulogne ; la pelouse duRanelagh était en faveur. Luce de Lancival nous a laissé un tableau de Longchamps en l’an X :

Célèbre qui voudra les plaisirs de Longchamps, Pour moi, je choisis mieux le" sujet de mes chants, Mon pinceau se refuse à la caricature. J’abandonne à Callot la grotesque figure Du dédaigneux Mondor, brillant fils du hasard,

Pompeusement assis au mime char

Dont naguère il ouvrait et fermait la portière. Ce fat, tout rayonnant de son luxe éphémère Et qui, pour trois louis s’estime trop heureux De louer un coursier qui sera vendu deux ; Et nos Vénus, sortant de l’écume de l’onde, [monde, Qui prennent le grand ton pour le ton du grand Et pensent anoblir leurs vulgaires appas, En affichant le prix que les paye un Midas. Ce qui déplaît à voir n’est point aimable à peindre, Et Longchamps me déplaît, à parler sans rien feindre. Tout Paris à Longchamps vole. Qu’y trouve-t-on ? Maint badaud à cheval, en fiacre, en phaéton. Maint piéton vomissant mainte injure grossière. Beaucoup de bruit, d’ennui, de rhume et de poussière.

La résurrection de Longchamps, que nous devons au Consulat surtout, que remit en honneur l’Empire, que la Restauration a niai-