Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 3, part. 2, Caq-Cel.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

456

CARR

pas rester au-dessous de l’ambassadeur d’Espagne. D’ailleurs, si les carrosses nous sont venus d’Italie, c est dans ce pays qu’ils ont conservé toute leur popularité, et qu’ils restent comme l’expression dernière de 1 élégance et la marque la plus certaine de la richesse. À Rome, à Naples, nombre de princes, de seigneurs qui habitent les combles de leurs palais, à l’entretien desquels ils ne sauraient suffire, s’imposent les privations les plus rigoureuses pour pouvoir se montrer chaque jour au Corso dans une voiture attelée de beaux chevaux. Enfantillage, dira-t-on ; mais enfantillage facile à comprendre et dont Pascal a donné une explication autrefois parfaite chez nous, naguère encore excellente en Italie : < Cela est admirable : on ne veut pas que j’honore un homme vêtu de brocatelle et suivi de sept ou huit laquais ! Eh quoil il me fera donner les étrivières si je ne le salue. Cet habit est une force ; il n’en est pas de même d’un cheval bien enharnaché à l’égard d’un autre. Montaigne est plaisant de ne pas voir quelle différence il y a, et d’admirer qu’on y en trouve, et d’en demander la raison. •

— Hist. Carrosses du roi. Nul n’était jadis admis à monter dans les carrosses du roi s’il | n’était présenté, et il fallait, pour cela, obtenir l’agrément du roi, ce qui était impossible à moins d’occuper une position élevée par sa haute naissance, par ses fonctions ou par ses services. Monter dans e.carrosse du roi était même une sorte de preuve de noblesse dont on se targuait, en citant complaisamment parmi ses ancêtres celui qui avait eu cet honneur. Nulle règle, en cela, ne limita d’abord le choix des admissions, qui dépendaient uniquement du bon plaisir du roi ; niais, à partir de la minorité de Louis XV, la présentation fut sou- i mise à une forme plus régulière : il fallait ’ occuper un rang parmi la noblesse titrée et faire un simulacre de preuves ; on tenait un registre exact des personnes qui avaient joui de l’honneur de monter dans les carrosses, et les requêtes en présentation devinrent si nombreuses, qu’un règlement parut en 1760, qui exigeait que les personnes sollicitant la faveur de monter dans les carrosses du roi fournissent les preuves d’une noblesse remontant à 1400. Cette date de 1400 fut choisie parce que c’était celle de l’époque à laquelle les anoblissements avaient commencé à être en usage, et que tous ceux qui remontaient au delà devaient être considérés comme nobles d’origine. Ces preuves devaient être faites par la production de trois titres originaux par chaque degré de filiation, et l’on n’admettait ni les jugements de maintenue ni les arrêts du conseil d’État et des autres cours supérieures. La présentation, pour les seigneurs, était la cérémonie la plus simple : le premier gentilhomme de service nommait au roi la personne, en lui donnant la qualité que l’impétrant avait choisie, car il fallait, si l’impétrant n’avait pas de titre, qu’il en prit un parmi ceux de marquis, comte ou baron, celui de duc excepté, la concession n’en appartenant qu’au roi. Le roi répondait au présenté par une inclination de tête ou par quelques mots aimables, et celui-ci avait alors le droit de le suivre à la chasse ; c’était ce qu’on appelait alors monter dans les carrosses du roi. Quelquefois cependant des circonstances particulières faisaient déroger à cet usage de la présentation, même sous Louis XIV, si méticuleux pour tout ce qui regardait l’étiquette. Mme Colbert estla première femme de secrétaire d’État qui ait monté dans les carrosses du roi ; voici à quelle occasion. Louis XIV avait confié à M«>° Colbert Mlle de Blois, fille de Ml’e de La Vallière, depuis sa naissance jusqu’à, son mariage avec M. le prince de Conti, en 1680 ; la reine, k qui Mlle de La Vallière avait toujours témoigné les respects les plus humbles, prit en amitié MH« de Blois ; elle la menait souvent promener avec elle. Mme Colbert ne pouvait accompagner son élève ni aux promenades ni aux collations qui se faisaient ensuite à Saint-Germain, avec les dames de la suite de la reine. Cependant Wie de Blois devenait grande, et la reine, ne trouvant pas décent qu elle fût sans gouvernante dans les parties où elle ne pouvait I pas toujours être sous ses yeux, demanda au roi que Mffle Colbert ne quittât plus son élève. Cet honneur, accordé par décence, subsista par une sorte de prescription après la mort de MH« de Blois. Il n’y avait, parmi les ecclésiastiques, que les cardinaux, les prélats pairs, ou ceux qui avaient le rang de princes étrangers, qui pussent monter dans les carrosses du roi et manger avec lui. L’évêque de Fréjus, Fleury, qui n’était pas encore cardinal, fut le premier en faveur de qui on dérogea à cet usage ; le Régent lui accorda cela comme une grande faveur. Mais, à part ces circonstances exceptionnelles, les prescriptions de l’étiquette étaient rigoureusement observées, témoin le passage suivant du duc de Saint-Simon. « Il arriva depuis son mariage que Monseigneur, revenant de courre le loup, qui l’avait mené fort loin, manqua son carrosse et s’en revenait avec Sainte-Maure et d’Urfé. Il trouva en chemin un carrosse de M. le Duc, dans lequel était Saintrailles, qui était à lui, et le chevalier de Sillery, qui était à M. le prince de Conti, et frère de Puysieux, qui fut depuis chevalier de l’ordre. Ils s’étaient mis dans ce carrosse qu’ils avaient rencontré, et y attendaient si M. le Duc ou M. le Prince ne viendraient point. Monseigneur monta dans ce

carrosse pour achever la retraite, qui était encore longue jusqu’à Versailles, y fit monter

CARR

avec lui Sainte-Maure et d’Urfé, laissa Saintrailles et Sillery à terre, quoiqu’il y eût place de reste encore pour eux, et ne leur offrit point de monter. Cela ne laissa pas que de faire quelque peine à Monseigneur, par bonté, et le soir, pour sonder ce que le roi penserait, il lui conta son aventure et ajouta qu’il n’avait osé faire monter ces messieurs avec lui : ■ Je le crois bien, lui dit le roi en prenant un ton un peu élevé, un carrosse où vous êtes devient le vôtre, et ce n’est pas à des domestiques de prince du sang à y entrer, » Mme de Lacgeron en a été un exemple singulier : elle fut d’abord à Mœe la Princesse, et tant qu’elle y fut, elle n’entra point dans les carrosses ni ne mangea à table. Elle passa à M"’8 de Guise, petite-bile de France, et dès ce moment elle mangea avec le roi, la dauphine et Madame, car la reine était morte avec qui elle aurait mangé aussi, et entra dans les carrosses sans aucune difficulté. La même Mme de Langeron quitta

Mme de Guise et rentra à Mme la Princesse, et dès lors il ne fut plus question pour elle de plus entrer dans les carrosses, ni de manger. Cette exclusion dura le reste de sa longue vie, et elle mourut chez Mffl« la Princesse. •

Il arrivait parfois que, après avoir produit toutes les justifications nécessaires à l’effet d’obtenir la précieuse faveur, le roi la refusait par une boutade. Un cahier original annoté de la main de Louis XVI contient la liste exacte de ceux qui avaient fait leurs preuves sans cependant monter dans les carrosses ; voici cette liste où les mots en italiques sont ceux que le roi avait écrits de sa main :

Le comte de Hay : refusé ; le marquis de Gourjault père, capitaine à la suite des dragons : a cédé les honneurs à son fils ; le chevalier de Pontavis : un de ses cousins du même nom y ayant monté, il peut regarder sa preuve de noblesse faite ; Braehet de Floressac, souslieutenant au régiment de Monsieur, infanterie : il peut se regarder comme ayant monté ; le comte de Charry, sous-lieutenant au régiment de Vexin : un de ses cousins ayant monté, il peut regarder sa preuve de noblesse faite ; de Livron, sous-lieutenant de carabiniers : son père ayant monté, il peut regarder sa preuve de noblesse faite ; le marquis de Cheffontaine : a cédé les honneurs à son fils ; le vicomte de Chateauneuf-Randon (même annotation que pour Livron} ; le comte de Mac-Carthy-Levignac, sous-heutenant aux cuirassiers (même annotation) ; Bougrenet de la Tocnaye, souslieutenant au régiment de Monsieur : différé ; le marquis de Montholon, mestre de camp du régiment de Penthièvre : passé ; le marquis de Rochemore, capitaine à Royal-Cravate : attendre ; le marquis de La Ferronnière, mestre de camp de dragons : refusé ; le comte du Touchet, capitaine de dragons : refusé ; le marquis de Fenouil, sous-lieutenant en second aux

fardes françaises : passé ; le chevalier Théoald de Honelize, capitaine au régiment de Languedoc-Dragons : différé ; le comte de Graveson de Clémens, capitaine au régiment royal de Pologne : refuse" ; le marquis de La Pasture, ancien mousquetaire du roi : refusé ; le marquis de Lastôurs, fourrier-major des gardes du corps du roi : ne se peut pas, n’ayant accordé cette distinction qu’aux lieutenants et souslieutenants des gardes du corps ; Aymar de la Chevalerie : ne se peut pas ; le comte Le Noir de Pas-de-Loup, lieutenant aux carabiniers : refusé ; le comte de Turpin : y renonce pour son frère ; le comte de Mosselman : n’est pas au service, ne se peut pas ; le marquis de Gabriac, sous-lieutenant de remplacement au régiment de Conti-Dragous : attendre ; le chevalier de Gauville, capitaine d’artillerie au régiment de La Fère : son frère y ayant monté, il est inutile qu’il y monte pour ses preuves ; le comte de Puisaye, capitaine au régiment des chasseurs de Franche-Comté : refusé ; le marquis de Bouthilliers, colonel au régiment de Picardie : refusé.

— Eplthètes. Commode, léger, leste, rapide, élégant, brillant, riche, somptueux, fastueux, armorié, superbe, magnifique, suspendu, élastique, moelleux.

Corrocsc* d’Orléon» (les), comédie en un acte et en prose, de Lachapelle, représentée sur le théâtre de la rue Guénégaud, le 9 août 1680. Cléan te, jeune officier, doit épouser Angélique, qu’il aime et dont il est aimé ; mais, sur ces entrefaites, la mère de la jeune personne meurt, et Angélique passe sous la tutelle de M. Cascar, son oncle, qui est brouillé avec la famille de Cléante, et qui veut faire épouser à Angélique un certain Dodinet, fils d’un de ses anciens amis de Bourges. Cléante apprend le projet de Cascar, et part pour s’opposer à ce mariage qui le désespère. Il s’est blessé en courant la poste à franc étrier, et il a été obligé de s’arrêter entre Orléans et Paris pour prendre le carrosse public. Le hasard fait que Cléante passe la nuit dans une hôtellerie où il rencontre Cascar qu’il ne connaît point et dont il n’est pas connu. Le vieillard se rend à Bourges, avec Angélique et Dodinet, pour conclure le mariage de ces deux derniers. La jeune fille, cédant aux prières de Gléanto, se laisse enlever pendant le sommeil de son tuteur. Au dénoûment, Cascar et Dodinet quittent leur voiture de Bourges pour revenir sur leurs pas, et prennent celle qui va à Paris, afin de tâcher d’atteindre les fugitifs. Mais le dieu d’amour a des ailes : on devine bien que les voyageurs arriveront toujours trop tard.

Cotte pièce fut la dernière nouveauté que

CARR

joua le théâtre de la rue Guénégaud avant sa réunion à celui de l’hôtel de Bourgogne. 11 en avait déjà donné six représentations, lorsque l’on joignit les deux troupes ensemble, et les six autres représentations qui eurent lieu ensuite furent données par les deux sociétés réunies.

La comédie des Carrosses d’Orléans est le patron sur lequel on en a taillé tant d’autres, et, s’il y a de la gloire pour les auteurs qui ont ouvert ce qu’on pourrait appeler de grandes routes en littérature, Lachapelle peut en réclamer une part. Le comique de sa pièce est chargé et bouffon ; cependant il est rarement grossier et jamais obscène. Cette farce, si c’en est une, n’est pas dans le goût burlesque de Searron, mais plutôt dans celui de Molière, quoiqu’elle soit loin de rappeler le talent de ce grand maître. Du reste, a y a dans le petit ouvrage de Lachapelle tous les éléments qui constituent une comédie bien caractérisée, c’est-à-dire des situations, des caractères et du sel dans le dialogue, qui est écrit sans affectation et avec rondeur. Le quiproquo du cocher est emprunté, il est vrai, à l’incident de l’auberge des Asturies, dans le roman de Cervantes, mais il n, ’en est pas moins plaisant ; celui de Crispin, qui prend des cuisiniers pour des assassins, est encore plus comique. » Cette pièce a été traduite en anglais sous le titre de la Rencontre des coches, par un certain Forkard, qui la fit représenter avec succès sur un des théâtres de Londres. Au mois d’octobre 1784, la Comédie-Française représenta pour la dernière fois les Carrasses d’Orléans. L’Odéon reprit, il y a une vingtaine d’années, la pièce de Lachapelle, qui obtint encore un certain succès.

CARROSSÉ, ÉE (ka-ro-sé) part. pass. du v. Carrosser : Aimer à être carrosse.

CARROSSÉE s. f. (ka-ro-sé). Plein carrosse de gens ; personnes qui occupent ensemble et remplissent un carrosse ; personnes arrivées dans un même carrosse : Vous savez mes transports de joie quand je vois partir une chienne de carrossée gui m’a contrainte et ennuyée. (Mme de Sév.) Le roi partit de Compiègne et s’en alla avec sa même carrossée à Chantilly. (St-Sim.) Aujourd’hui, on ne rencontre, sur les bateaux à vapeur et dans toutes les carrossées, que des magistrats solliciteurs en familiarité de commis marchands. (Cormen.)

CARROSSER v. a. ou tr. (ka-ro-sé). Voitnrer, transporter en carrosse : II s’est fait carrosser toute la journée.

— Mar. Carrosser de la voile, Avoir beaucoup de voiles dehors par un bon frais.

CARROSSERIE s. f. (ka-ro-se-rl). Profession, industrie du carrossier ; ouvrages du carrossier : Faire fortune dans la carrosserie. La carrosserie occupait une place distinguée à l’Exposition. La carrosserie est en souffrance. On va bourgeoisement de Paris à Saint-Leu en wagon, puis à Saint-Leu on trouve des omnibus, des pataches, des berlingots, une carrosserie antédiluvienne. (Ed, Texier.) il Corps des carrossiers : La carrosserie s est réunie pour pétitionner contre l’impôt sur les voitures.

CARROSSIER, 1ÈRE s. Cka-ro-sié, ië-rerad. carrosse). Celui qui fait, vend, répare ou loue des voitures et des harnais : Commander une voilure à un carrossier. Louer une jardinière chez le carrossier. C’est une ancienne carrossière qui me loue la maison où est établi mon atelier. (Balz.) Il monte avec lenteur dans cette voiture gui devait ramener ta carrossière chez elle. (L. Gozlan.) Il Le féminin est peu usité.

— S’est dit autrefois pour Cocher, conducteur de carrosse : Le carrossier de M. Varat me donna du pommeau dans l’estomac. (D’Aubigné.) Elle fit commander à son carrossier de les mener le plus lentement qu’il pourrait. (Pèlerin d’amour.)

— Adjectiv. : Ouvrier carrossier,

CARROSSIER, 1ÈRE adj. (ka-ro-sié, iè-re rad. carrosse). Se dit des chevaux et cavales d’attelage, de forte taille, et propres à traînea les grandes voitures à quatre roues : Cheval carrossier. Cavale carrossiers.

— Substantiv. : Un bon carrossier. Le cocher craignait avant tout de désunir l’allure lente, régulière, admirablement cadencée de ses grands et magnifiques carrossiers. (E, Sue.)

Il Carrossier léger, Cheval d’attelage plus petit et plus fin que le carrossier ordinaire.

CARROSSIN s. m. (ka-ro-sain — rad. carrosse). Mot que quelques écrivains ont employé comme équivalent du vetturino des Italiens : Il nous faudrait un bon carrossin qui pût charger avec nous cinq ou six malles ou caisses. (J.-J. Rouss.) V. voiturin.

CARRÔUGE s. f. (ka-rou-je). Bot. V. caroube.

CARROUGES (Jean, seigneur de), gentilhomme français, devenu célèbre par son duel judiciaire, le dernier qui ait eu lieu par ordre exprès du parlement. Pendant de longs siècles, les habitudes de violence et de barbarie empêchèrent en France le cours de la justice ; des hommes accoutumés à porter l’épée, à s’en servir sans cesse, ne devaient pas reconnaître d’autre droit que la force. Aussi, dans toute accusation, lorsque l’accusé niait, l’instruction se terminait par la voie des armes. Le vainqueur était regardé comme innocent, le vaincu comme coupable, et c’était Dieu qui semblait

CARR

avoir prononcé lui-même. Ceux qui ne pouvaient combattre par eux-mêmes, comme les invalides, les prêtres, les monastères, le faisaient par avoué ou champion. On comprend à quels abus donnaient heu de semblables usages, et combien de fois la force, l’habileté l’emportèrent sur le bon droit. Nos rois essayèrent à plusieurs reprises, mais en vain, de réagir contre ces funestes tendances ; les nobles trouvaient déshonorant de s’en rapporter à l’opinion d’un légiste, quand ils pouvaient en appeler à leur épée. Saint Louis abolit les duels judiciaires, mais Philippe le Bel se vit obligé de les rétablir ; toutefois, il ne les autorisa que lorsque les quatre circonstances suivantes se trouvaient réunies : quand le crime était capital ; qu’il était certain qu’il avait été commis ; que quelqu’un en était accusé ou soupçonné, et qu’enfin il n’y avait pour l’en convaincre ni preuves ni témoins. C’était le parlement lui-même qui ordonnait ces duels.

Le duel de Carrouges et de Le Gris est resté célèbre, et par 1 innocence de celui qui succomba, et parce que ce fut le dernier qu’ordonna le parlement. Les rois en uutorisèrent encore plusieurs fois, mais la justice j les baunit pour jamais de son temple. Carrouges et Le Gris étaient deux gentilshommes de Normandie, qui s’étaient liés d’amitié au service du comte d’Alençon. Le Gris avait . même été parrain d’un des enfants de Carj rouges ; mais, depuis, leur amitié s’était changée j en une haine mortelle, Carrouges ayant su ou j cru que Le Gris lui avait nui auprès du duc (d’Alençon. Voici les faits qui donnèrent lieu au procès, tels qu’on les trouve dans les registres du parlement. Carrouges était marié en secondes noces à Marie de Thibauville ; obligé de s’absenter, il avait mené sa femme | chez sa mère, Nicolle de Carrouges, à Capo-1 raénil, village situé à neuf lieues d’Argentan en Normandie. Au mois de janvier 1385, sa mère ayant été ajournée devant le vicomte do Falaise, à Saint-Pierre-sur-Dive, y alla avec ses gens et la demoiselle de compagnie de sa bru, laissant celle-ci toute seule k Capoménil. Durant cette absence, la dame de Carrouges fut déshonorée. Elle cacha ce fait à sa belle-mère et n’en laissa rien paraître. Quand son mari revint, il la trouva accablée de tristesse, et la pressa plusieurs fois de lui eu dire le sujet ; à la fin, elle lui fit le récit suivant, en présence de ses parents et de ses amis. Pendant l’absence de sa belle-mère, un certain Louvet, qui demeurait dans le voisinage, était entré chez elle, sous prétexte de lui demander un délai pour le payement d’une somme de 100 fr. d’or dont il lui était redevable ; en même temps, il lui avait fait part de l’amour que Jacques Le Gris avait conçu pour elle, la suppliantde vouloir bien accorder àcelui-ci une entrevue. La dame Carrouges lui avait imposé silence et avait refusé de voir Le Gris ; niais comme elle se préparait à passer outre, voici Le Gris qui entre subitement, et, après l’avoir saluée lui prend les mains, la conjure de s’asseoir auprès de lui, la cajole et lui offre de l’argent pour payer les dettes de son mari. Celle-ci retire ses mains d’entre celles île Le Gris, et répond à ses discours comme il convenait à une honnête femme ; mais Le Gris, piqué de son procédé, la prend par les bras tin jurant, et, comme elle s’était soustraite à sïs atteintes en gagnant une autre chambre, il l’en arrache par (orce, avec le secours de Louvet, et l’amène jusque sur l’escalier. Là, elle se jette par terre et crie haro à haute voix, menaçant ces misérables de tirer raison de leur violei-vo en justice et par le moyen de ses amis. Us.«o saisissent d’elle, et, malgré ses cris, l’emportent dans la chambre, où Le Gris arriva à ses fins, à l’aide de Louvet. Il lui renouvela ensuite les offres qu’il lui avait déjà faites, et il ne tint qu’à elle qu’il lui laissât un sac d’argent. Le duc d’Alençon, devant qui Carrouges porta plainte, ayant assemblé les prélats, clercs et chevaliers qui formaient son conseil, déclara Le Gris non coupable. Carrouges en appela au parlement, où il présenta les faits tels que nous venons de les raconter. Le Gris allégua ses antécédents, prétendit que l’inimitié bien connue de Carrouges était la cause unique de l’accusation, Il prouva de plus, au moyen des dates alléguées par Carrouges lui-même, qu’il lui avait été matériellement impossible de se trouver à Capoménil, puisqu’il se trouvait à Argentan au coucher et au lever du duc d’Alençon, lequel attestait le même fait. Le parlement n’en décida pas moins que la plainte de Carrouges était bien fondée, qu’il y échéait gage de Bataille, et qu’il fallait le lui accorder. Le parlement, en rendant cette sentence, outre-passait ses droits et violait l’arrêté de Philippe le Bel, qui ordonnait que le crime fût établi d’une manière évidente. Jean Galli, pour défendre ce procédé du parlement, dit que l’arrêt avait sans doute été inspiré par quelque circonstance connue des seuls juges. Entre autres présomptions contre Le Gris, il rapporte la suivante : dès qu’il sut que Carrougesle voulait accuser d’avoir violé sa femme, il alla se confesser ainsi que Louvet, son complice. Par là il semble donner à entendre qu’après s’être confessé d’un crime, on pouvait sans scrupule le nier en justice et sans crainte de faire un faux serment ; que c’était pour cela que Louvet et Le Gris avaient nié si hardiment et avec toute sûreté de conscience. Tietberge, reine de Lorraine, accusée d’adultère par son mari, avait nié sa faute, rassurée par la victoire de son avoué, qui a voi !