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< La Bruyère est meilleur moraliste, et surtout bien plus grand écrivain, que La Rochefoucauld : il y a peu de livres en aucune langue où l’on trouve une aussi grande quantité de pensées justes, solidesvet un choix d’expressions aussi heureux et aussi varié. La satire est chez lui bien mieux entendue que dans La Rochefoucauld ; presque toujours elle est particularisée, et remplit le titre du livre : ce sont des caractères ; mais ils sont peints supérieurement. Les portraits sont faits de manière que vous les voyez agir, parler, se mouvoir, tant son style a de vivacité et de mouvement. Dans l’espace de peu de lignes, il met ses personnages en scène de vingt manières différentes ; en une page, il épuise tous les ridicules d’un sot, ou tous les vices d’un méchant, ou toute l’histoire d’une passion, ou tons les traits d’une ressemblance morale... »

Nous venons de nous rendre compte de l’opinion du xvn» siècle sur les Caractères, ainsi que de celle du xvmo. Celle-ci n’a pas toujours été favorable, et les auteurs que nous avons cités, Vauvenargues, Suard et La Harpe, tout en rendant justice à La Bruyère, ne l’ont pas fait sans restriction. Il était réservé aux critiques de notre temps de remettre à son véritable rang et d’éclairer d’une nouvelle lumière l’un des chefs - d’œuvre de l’esprit humain. C’est Chateaubriand qui a ouvert la voie moderne. « La Bruyère, dît-il, est un des plus beaux écrivains du siècle de Louis XIV. Aucun homme n’a su donner plus de variété a son style, plus de formes diverses à sa langue, plus de mouvement à sa pensée. Il descend de la haute éloquence à la familiarité, et passe de la plaisanterie au raisonnement sans jamais blesser le goût ni le lecteur. L’ironie est son arme favorite : aussi philosophe que Théophraste, son coup d’œil embrasse un plus grand nombre d’objets, et ses remarques sont plus originales et plus profondes. Théophraste conjecture, La Rochefoucauld devine, et La Bruyère montre ce qui se passe au fond des coeurs. » (Génie du Christianisme.)

On peut rapprocher de ce passage le chapitre de Mme de Staël (De la littérature) qui traite des romans grecs, et l’Essai sur les romans grecs, de M. Villemain, où les causes de la supériorité des observateurs et analystes modernes sur les anciens moralistes sont déduites en termes excellents et sans réplique. Cette supériorité, les modernes la doivent au rôle nouveau de la femme dans la société et même dans les œuvres d’imagination et de sentiment. Or, on sait quel rôle important ont joué les femmes au xviie siècle.

Parmi ceux qui, de nos jours, ont le plus justement apprécié La Bruyère, nous devons citer encore M. Sainte-Beuve, le maître de la critique moderne. « Le livre de La Bruyère, dit-il, est du petit nombre de ceux qui ne cesseront jamais d’être à l’ordre du jour. C’est un livre fait d’après nature, un des mieux pensés qui existent et des plus fortement écrits. Comme il y a un beau sens enveloppé sous des tours fins, une seconde lecture en fait mieux sentir toute la délicatesse. Il n’est point propre d’ailleurs à être lu de suite, étant pour cela trop plein et trop dense de matière, c’est-à-dire d esprit ; mais, à quelque ’ page qu’on l’ouvre, on est sur d’y trouver le fond et la forme, la réflexion et l’agrément, quelque remarque juste relevée d’imprévu, de ce que Bussy-Rabuttn appelait te tour et que nous appelons l’art. » Dans un autre endroit, le même écrivain s’exprime ainsi : « On a remarqué combien la beauté humaine de son

cœur se déclare énergiquement à travers la science inexorable de son esprit : • Il faut des saisies de terre, des enlèvements de meubles, des prisons et des supplices, je l’avoue ; mais, justice, lois et besoins a part, ce m’est une chose toujours nouvelle de contempler avec n quelle férocité les hommes traitent les autrès hommes. ■ Que de réformes poursuivies depuis lors, et non encore accomplies, contient cette phrase douloureusement ironique ! On y sent palpiter, sous un accent plus contenu, le cœur d un Fônelon. iLa Bruyère, continue le même critique, s’étonne, comme d’une chose toujours nouvelle, de ce que Mm« de Sévigné trouvait tout simple ou seulement un peu drôle : le xvuie siècle, qui s’étonnera de tant de choses, s’avance. Je ne fais que rappeler la page sublime sur les paysans : Certains animaux farouches, etc. (chap. De l’homme). On s’est accordé à reconnaître La Bruyère dans le portrait du philosophe qui, assis dans son cabinet et toujours accessible, malgré ses études profondes, vous dit d’entrer, et que vous lui apportez quelque chose de plus précieux que l’or et l’argent si c’est une occasion de vous obliger, t

Telle est la véritable philosophie de La Bruyère ; mais ce qu’il faut considérer dans les Caractères, c’est encore plus l’art et l’esprit que la censée et la morale. Ce livre est par excellence un livre littéraire et d’un goût exquis. « Sans système philosophique arrêté, dit M. Demogeûï, sans prétef Mon à la profondeur, La Bruj ^re est un tuteur charmant qu’on de se lasse pas de relire. Quel riche tableau que son livre des Caractères ! Que de finesse dans le dessin 1 que de couleurs brillantes et délicatement nuancées ’ comme tout ce monde cor-ique qu’il a créé s1 jgite dans un pêle-mêle amusant 1 Point de transitions, point de plan régulier. Les personnages sont une foule affairée qui court, qui se remue, toute chamarrée de prétentions, d’originalités, de ridicules ; vous croiriez être dans la grande

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galerie de Versailles, et voir défiler devant vous ducs, marquis, financiers, bourgeoisgentilshommes, pédants, prélats de cour. Tantôt

vous entendez un piquant dialogue qui a tout le sel d’une petite comédie, avec un mot plein de sens pour ledénoûinent ; tantôt, entre deux travers habilement saisis, l’auteur glisse une réflexion morale dont la vérité fait le principal mérite ; ici ; c’est une maxime concise à la manière de La Rochefoucauld, mais sans ses préjugés misanthropiques ; là, une image familière ennoblie à force d’esprit et de nouveauté ; plus loin, une construction maligne qui arme d’un trait inattendu la fin de la phrase la plus inoffensive... »

Les divers jugements que nous venons de reproduire, et qui trouveront leur contre-partie dans un curieux article du Mercure galant que nous citerons tout à l’heure, nous paraissent devoir suppléer, par leur ensemble, à un examen minutieux du livre de La Bruyère, chapitre par chapitre. Il nous paraît également inopportun, pour ne pas dire puéril, de rechercher à la loupe les imperfections d’un chef-d’œuvre. Le soleil lui-même n’a-t-il pas ses taches 1

La petite édition in-12 de 1688 formait un mince volume de 360 pages, sur lesquelles les Caractères de Théophraste et le discours préliminaire en occupaient 149 ; mais tout La

Bruyère était déjà là. La traduction du moraliste grec fut pour lui moins un prétexte qu’une occasion déterminante, qui lui permit de glisser à la suite, et sous le couvert de l’auteur ancien, quelques réflexions sur les modernes. Il était, du reste, convaincu que tout est dit et que l’on vie>t trop lard, après plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qu’ils pensent. Lire et relire les anciens, les traduire, les imiter quelquefois, telle était son ambition, comme ce fut l’étude de Courier : « On ne saurait, en écrivant, rencontrer le parfait, et, s’il se peut, surpasser les anciens, que par leur imitation. » De Théophraste, il emprunta la manière ; il prit à son temps ses matériaux.

Trois éditions parurent dans le cours de la première année, et six autres furent publiées avant la mort de La Bruyère (1696). ■ A partir de la troisième édition, "dit encore M. Sainte-Beuve, ôrudit aussi consommé qu’habile critique, La Bruyère ajouta successivement et beaucoup à chacun de ses seize chapitres. Des pensées qu’il avait peut-être gardées en portefeuille dans sa première circonspection, des ridicules que son livre même fit lever devant lui, des originaux qui d’eux-mêmes se livrèrent, enrichirent et accomplirent de mille façons le chef-d’œuvre. La première édition renferme surtout incomparablement moins de

Fortraits que les suivantes. L’excitation et irritation de la publicité les firent naître sous la plume de l’auteur, qui avait principalement songé d’abord à des réflexions et remarques morales, s’appuyant même à ce sujet du titre de Proverbes donné au livre de Salomon. Les Caractères ont singulièrement gagné aux additions ; mais on voit mieux quel fut le dessein naturel, l’origine simple du livre, et, si j’ose dire, son accident heureux, dans cette première et plus courte forme. •

Une foule d’imitateurs vinrent à La Bruyère ; ce furent d’abord les abbés de Villiers et de Bellegarde, puis Brillon et Alléaume. Les éditeurs hollandais demandaient des caractères à la façon des libraires du siècle suivant, qui eussent volontiers pris les auteurs au collet en leur criant : « Des Lettres persanes ou la viel < On lit, dans les Mémoires de Trévoux, à propos des Sentiments critiques sur les Caractères de M. de La Bruyère : « Depuis que les Caractères de M. de La Bruyère ont été donnés au public ; outre les traductions en diverses langues et les éditions qu’on en a faites en douze ans, il a paru plus de trente volumes à peu près dans ce style : Théophraste moderne ou Nouveaux Caractères des mœurs ; Suite des Caractères de Théophraste et des Mœurs de ce siècle ; les Différents Caractères des femmes du siècle ; Caractères tirés de l’Écriture sainte et appliqués aux mœurs du siècle ; Caractères naturels des hommes en forme de dialogue ; Portraits sérieux et critiques ; Caractères des vertus et des vices. Enfin, tout le pays des lettres a été inondé de Caractères... »

Mais si les hommages furent nombreux, les attaques, les outrages même ne firent pas défaut au succès des Caractères. La Bruyère avait osé mettre le Mercure galant immédiatement au-dessous de rien. Le mot était piquant ; le Mercure n’y répondit que par une grossière diatribe datée de juin 1693, et que l’on attribue à Boursault eu à Fontenelle, ou même à ce pauvre Boyer, dont les pièces étaient peu fréquentées, suivant le malin dire , de Furetière ; mais, quel qu’en soit l’auteur, il a bien fait de garder l’anonyme. Qu’on en juge : o M. de La Bruyère a fait une traduction des Caractères de Théophraste, et il a joint un recueil de portraits satiriques, dont la plupart sont faux et les autres tellement outrés, etc., etc. Ceux qui s’attachent à ce genre d’écrire devraient être persuadés que la satire fait souffrir la piété du roi, et faire réflexion

Sue l’on n’a jamais ouï ce monarque rien dire e désobligeant à personne. (Le Mercure se fait dénonciateur.) La satire n’était pas du goût de Mme la Dauphine, et j’avais commencé une réponse aux Caractères du vivant de cette princesse, qu’elle avait fort approu CARA

vée et qu’elle devait prendre sous sa protection, parce qu’elle repoussait la médisance. L’ouvrage de M. de La Bruyère" ne peut être appelé livre que parce qu’il a une couverture et qu’il est relié comme les autres livres. Ce n’est qu’un amas de pièces détachées... Rien n’est plus aisé que de faire trois ou quatre pages d’un portrait qui ne demande point d’ordre... Il n’y a pas lieu de croire qu’un pareil recueil, qui choque les brunes mœurs, ait fait obtenir à M. de La Bruyère la place qu’il a dans l’Académie, Il a peint les autres dans son amas d’invectives, et dans le discours qu’il a prononcé il s’est peint lui-même... Fier de sept éditions que ses portraits satiriques ont fait faire de son merveilleux ouvrage, il exagère son mérite... »

Et le Mercure conclut en disant que tout le monde a jugé du discours, qu’il était immédiatement au-dessous de rien... Pauvre réplique, telum imbelle sine ictu.

M. Walckenaer a donné, en 1845, une excellente édition des Caractères, où il rappelle les grands changements que le livre subit d’édition en édition, du vivant même de l’auteur : « Il ne se contenta pas de faire à chacune de ses éditions des additions considérables, il fit aussi subir à l’ancien texte des changements, des transpositions ; de sorte que chaque édition est en quelque sorte un nouvel ouvrage, non-seulement parce qu’il est plus considérable que celui qui l’a précédé, mais aussi parce qu’il est tout autre. Il est donc nécessaire de passer en revue chacune des éditions données par La Bruyère, afin d’avoir une idée bien nette de quelle manière le livre a été composé, comment il s’est accru successivement, comment il a été défiguré par les éditeurs subséquents. » Le travail de M. Walckenaer a été amélioré par M. Destailleur en 1855. Citons encore une excellente étude de M. Fabre, et terminons par cette appréciation de M. Challemel-Lacour, extraite du journal le Temps, appréciation remarquable à plus d’un point de vue : ■ Le style de La Bruyère n’aurait pas cette précision, cette crudité, cette hardiesse de touche qui le distingue entre tous ceux de son temps, s il ne se moulait sur des réalités. Il n’y a pas d’écrivain qui ait une plume plus osée ; les seuls dont le style est, comme le sien, plein de muscles et de sang, Mme de Sévigné et Saint-Simon, sont, comme lui, de ceux qui ne puisent pas dans les livres ou dans leurs souvenirs classiques, mais qui peignent sur nature. Concret, matériel, pittoresque et violent, le style de La Bruyère le ferait ranger aujourd’hui parmi les réalistes. Les modes, les usages ont changé, la Cour et la Ville n’existent plus, il n’y a plus de Grands ni d’Esprits forts, la société et le souverain ne sont plus ce qu’ils étaient : La Bruyère n’en est pas moins resté vivant et moderne. Il l’est par la saillie de l’expression, il l’est par le visible effort qu’il fait pour être amusant. Il veut amuser par la matière, comme disait l’abbé d’Olivet, il veut aussi amuser par la forme. Comme s’il avait affaire à une époque rassasiée, dégoûtée, affairée et distraite, à qui le ragoût du scandale et le montant du tour est nécessaire, c’est-à-dire aune époque telle que la nôtre, au lieu de s’adresser à une société oisive, délicate, jeune encore et qui se laisse captiver à peu de frais, il s’impose toutes les tortures de l’écrivain moderne, il se travaille et se disloque comme un clown. Observez son allure étrange, comptez les cadres qu’il imagine, les petites comédies qu’il compose : il a épuisé toutes les fictions, usé tous les moules, dialogues, récits, apostrophes, allégories ; il n’a rien laissé à inventer, et la merveille est qu’avec une recherche si continue, un effort si intense, il soit resté grand écrivain. Il a la subtilité voulue, le tourmenté d’un autre temps que le sien ; aussi, en face de cette singularité, son siècle, accoutumé aux formes directes et franches, s’étonne et ne sait que penser : son admission à l’Académie fait scandale, comme le ferait celle de tel chroniqueur d’aujourd’hui.... II ne s’érige pas en réformateur, il n’est ni révolutionnaire ni utopiste ; il accepte le monde tel qu’il le trouve ; mais la séparation du mérite personnel et des biens de fortune, cette inique et ordinaire séparation, est le fait à la lumière duquel il observe tout. Sa vie est modeste et réglée ; mais, par le sentiment qu’il a de la dignité de la pensée, il se place d’autorité au niveau des plus élevés : condamné à une existence subalterne, froissé bien des fois dans sa fierté par les fils des dieux, pauvre et méconnu, il regimbe au fond de son cœur ; enchaîné par la position, il s’affranchit par l’esprit, il se donne le plaisir de rétablir l’ordre vrai dans les choses, et s’amuse, tout en se promenant à travers la cour, à déshabiller chacun, à écarter tout cet attirail qui lui est étranger et à pénétrer jusqu’à l’homme, qui, la plupart du temps, n’est qu’un sot. »

Caractère* (les), de Mlne de Puisieux, ouvrage qui parut à Londres en 1747, cinquante-neuf ans après celui de La Bruyère. C’était sans doute une grande témérité d’oser aborder un sujet qui avait été traité avec une si haute supériorité par La Bruyère. Ce n’était cependant point un hors-d’œuvre ; car lorsqu’il s’agit des ridicules humains, la matière est inépuisable. Tout en imitant son modèle, M"1» de Puisieux diffère de lui en plusieurs points. La littérature, a-t-on dit, est l’expression de la société, et elles réagissent mutuellement l’une sur l’autre ; rien de plus vrai, et I

la comparaison des deux ouvrages le prouva, La Bruyère, vivant à l’époque magistrale de Louis XIV, sous lequel la littérature semble tirée au cordeau comme les plans de Versailles, reste très-sérieux au fond, malgré la forme piquante et légère qu’il affecte. M">e de Puisieux, au milieu de la société sceptique et mondaine du xvme siècle, est, sous une forme sérieuse, souvent fort légère. La Bruyère a tracé des portraits pleins de finesse, il a dessiné des caractères ; Mme de Puisieux laisse l’homme pour le fait ; elle veut faire connaître ses personnages moins par leur nature quépar leurs actes ; au lieu d’esquisser des caractères, elle raconte des anecdotes, et souvent des anecdotes assez lestes. Le titre de Caractères doit donc s’entendre chez elle de tout autre façon que chez La Bruyère. Ce pamphlétaire de génie, tout en prenant un original pour modèle, peignait, comme Molière, l’homme de tous les siècles ; M’nc do Puisieux ne nous fait connaître que M. A. ; elle trace un portrait ressemblant là où La Bruyère dessinait un type.

Si de là on passe aux réflexions, il existe une plus grande analogie entre les deux écrivains ; mais où La Bruyère représente le

stoïcien austère, M10e de Puisieux laisse percer l’aimable épicurienne. Ainsi elle dira, ce que La Bruyère n’aurait jamais pensé : ■ La perte du temps est irréparable ; je ne parle pas de celui qu’on a passé dans les plaisirs ; c est le mieux employé : il s’oublie, et on ne le regrette jamais, » Un peu plus loin, elle ajoute : « Je. ne suis pas d’avis qu’il n’y aie qu’un temps pour les passions ; on en a à tout âge. » La Bruyère ne l’aurait dit que pour s’en plaindre. Ailleurs encore, Mme de Puisieux vient au secours des cœurs faibles : « Vouloir éloigner de son esprit ce qui l’affecte vivement, c’est défendre à son ombre de paraître au soleil. L’amour est comme les liqueurs fortes pour ceux qui les aiment ; ils ont beau dire qu’elles les tuent, ils y reviennent. La galanterie est une faiblesse qui n’est point en notre pouvoir. » Une telle philosophie ne peut manquer de faire des adeptes parmi les gens sensibles. Heureusement pour l’auteur, à côté de ces maximes commodes, s’en trouvent d’autres beaucoup plus sévères. Ainsi, .qu’on ne puisse arrêter l’élan de son cœur, c’est chose convenue ; mais au moins qu’on le dirige convenablement : ■ Il est aussi essentiel à un

jeune homme de voir de bonne compagnie en femmes, qu’à une femme d’éviter la mauvaise compagnie en hommes. » Quant aux

relations des femmes entre elles, un seul mot les caractérise : « Les femmes ne sont bonnes que pour une chose, et ce n’est pas pour vivre en société. • Voilà certes une remarque qui sent son libre penseur ; aussi Mme de Puisieux l’est-elle beaucoup plus que croyante, et ne se gêne-t-elle nullement pour exprimer son peu de sympathie à’ l’égard des dévots. • S’il arrivait qu’un jeune homme fût stupide, il y aurait encore de la ressource ; les stupides sont ordinairement fort dévots, et on sait alors quel métier leur est réservé. • Ailleurs, elle écrit malicieusement : « Je ne dirai rien de la société des dévotes ; elleù ne me pardonneraient pas, et je crains la calomnie. • Son idéal se résume dans le portrait suivant : Penser, parler, faire comme on pense, comme on parle, comme on fait, c’est être un homme comme un autre. Il ne faut cependant pas être singulier, car les originaux ne plaisent qu’à peu de monde ; mais penser juste, parler noblement, agir équitablement, c’est avoir un mérite peu commun, sans être un original. • Idée excellente, tout à fait dans le genre de La Bruyère, qui l’aurait cependant un peu moins entortillée.

Les Caractères de Mme d© Puisieux, au point de vue philosophique, ne contiennent guère que des lieux communs finement exprimés, et nous adhérons en partie au jugement de Palissot, qui, en reprochant malignement à l’auteur d’avoir oublié le portrait de la femme bel esprit, l’appréciait ainsi : « Mlne de Puisieux a beaucoup d’esprit, un style correct et des plus faciles, mais elle manque d’imagination et de chaleur ; aussi son ouvrage n’est-il qu’un livre médiocre. » Pas si médiocre, puisqu’on essaya de lui contester la paternité de la première partie, qui parut d’abord seule. MD’e de Puisieux la revendiqua, se -flattant qu’on devait reconnaître ses droits grâce à un peu de légèreté, à quelques sentiments d’honneur et à un tour qui lui appartient. Elle avait raison, car ce sont bien là les qualités dominantes de son livre, plus fin que profond.

Caractère» et récit* de la Tie politique et

militaire en Piémont, recueil d’esquisses politiques, par le romancier piémontais Victor Bersezio, publié à Turin en un volume, sous ce titre : Amor di patria (1856). M. Bersezio est un des rares écrivains italiens qui se soient essayés avec succès à peindre la vie privée, les mœurs intimes de la société italienne. Connu par deux volumes consacrés simplement à l’amour et à la famille, M. Bersezio, dans cette troisième série de nouvelles, a entrepris de décrire, sous la forme de récits romanesques, les mœurs politiques de son pays. Ces récits forment un tout, ils se complètent l’un l’autre. Trois types principaux dominent le livre : l’épicurien égoïste qui, dans l’arène où se débattent les affaires du pays, recherche un terrain favorable à ses propres affaires ; l’orgueilleux qui, pour arriver au