Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 3, part. 3, Cem-Chan.djvu/194

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— Hortic. Champ-riche, Variété de poire.

— Anat. Champ olfactif, Partie de La base du cerveau dans laquelle naissent les nerfs olfactifs.

— Loc. adv. En plein champ, En plein air, sans abri, au milieu des champs : Les Tartares, accoutumés à dormir en plein champ, doivent avoir l’avantage sur un peuple élevé dans une vie moins dure. (Volt.) || À travers champs, Dans la campagne et hors des chemins battus : Courir à travers champs. || Sans règles ou en dehors des lois communes, des chemins battus :

Il n’est pas de bonheur loin des routes communes ;
Qui vit à travers champs ne trouve qu’infortunes.
              E. AUGIER.

Se sauver à travers champs, Essayer d’échapper, par des détours, à une question pressante.

Sur-le-champ, Immédiatement, sans délai : Ne faites point attendre le bienfait ; c’est donner deux fois que de donner sur-le-champ. (Alciat.) Une résolution forte change sur-le-champ le plus extrême malheur en un état supportable. (H. Beyle.) Dans les premiers temps du mariage, la plupart des époux montrent tant d’ardeur, qu’ils semblent vouloir en finir sur-le-champ avec l’amour. (Laténa.) || Sans préparation : Prêcher, haranguer, parler sur le-champ.

À tout bout de champ, À chaque instant, à tout propos : Il retombe dans la même faute à tout bout de champ. || On disait autrefois À CHAQUE BOUT DE CHAMP :

À chaque bout de champ vous mentez comme un diable.
               Corneille.

Épithètes. Riche, fécond, fertile, inépuisable, nourricier, gras, engraissé, fertilisé, tranquille, paisible, fleuri, fortuné, délicieux, émaillé, cultivé, désaltéré, abreuvé, défriché, moissonné, pauvre, aride, nu, dépouillé, sec, desséché, altéré, stérile, inculte, pierreux, argileux, désolé, ravagé, défleuri, héréditaire, paternel, spacieux, vaste, immense, étroit, resserré, limité, borné, modeste, paresseux.

— Syn. Champs, campagne. V. CAMPAGNE,

— Homonyme. Chant.

— Prov. littér. : Et les champs où fut Troie, Mots qui servent à rendre l’émotion douloureuse que l’on éprouve en face de ruines, de débris rappelant une splendeur passée. V. Et campos ubi Troja fuit.

— Encycl. Hist. Champs d’armes. L’institution des champs d’armes remonte au temps de la féodalité. De même que la joute et le tournoi, ces exercices étaient en grande faveur parmi les grands feudataires de la couronne, et c’était ordinairement soit un titulaire d’un duché ou d’un comté, soit quelque personnage de haute lignée, qui le présidait. De nombreux champs d’armes furent tenus en Artois et en Flandre, pendant la domination de la maison de Bourgogne, et les chroniqueurs des temps passés se sont complaisamment étendus sur la magnificence de ces fêtes militaires qui constituaient un des divertissements les plus goûtés des gentilshommes ; car, faisant des combats leur principale occupation, ils ne négligeaient aucune occasion de prendre part à des jeux qui constituaient une sorte de guerre, factice, il est vrai, mais non complètement exempte de dangers.

L’un des champs d’armes les plus importants qui eurent lieu fut celui qui se tint à Arras en 1423, et dans lequel Pothon de Xaintrailles et Lionnel de Vandonne, ainsi que plusieurs autres chevaliers, coururent des lances et combattirent à la hache, en présence de Philippe le Bon. On avait dépavé dans la ville un espace de 120 pas de long sur 20 de large, pour former le parc ou champ de bataille, qui fut sablé et entouré de lices. On publia à Arras, la veille du champ, une défense à toutes personnes qui n’auraient aucune fonction à remplir d’entrer dans le parc, sous peine d’avoir la tête tranchée, et l’on menaça de la perte d’une oreille ceux qui entreraient dans les lices. Il avait été élevé, auprès de l’hôtellerie des Rosettes, un échafaud sur lequel se plaça le duc de Bourgogne, qui partit de son palais escorté d’environ 600 chevaliers et écuyers. Les lices étaient gardées par 80 bourgeois armés de toutes pièces, et par 40 arbalétriers.

Les champs d’armes étaient en tel honneur, dans l’Artois, que l’on vit le maïeur, deux échevins, le conseiller pensionnaire, l’argentier, le contrôleur de la ville et cent notables se rendre à Lille, pour assister à celui qui y fut tenu la même année. Tous ceux qui furent du voyage reçurent une casaque blanche et verte, sur laquelle était peint un rat, armes de la cité.

La bourgeoisie du moyen âge eut aussi ses champs d’armes, et les habitants de la Flandre et des Pays-Bas se distinguèrent par l’éclat de ceux qu’ils avaient institués. Chaque ville eut les siens, qu’on désignait tantôt sous le nom de champ, tantôt sous ceux de pas d’armes ou de tournois. À ces différentes fêtes accouraient non-seulement des curieux des villes voisines, mais encore beaucoup de personnes des pays éloignés. Vers la fin du xvie siècle, ce genre de divertissement fut abandonné.

— Art milit. Champ de bataille. Le lendemain de la victoire de Fontenoy, le maréchal de Saxe, parcourant le champ de bataille avec Louis XV, et le voyant ému au spectacle lugubre de cette plaine couverte de cadavres et de débris, lui dit : « Sire, que cette vue vous apprenne à ménager le sang de vos sujets. » Il n’est personne, même parmi les conquérants, qui n’ait été impressionné en présence d’un pareil spectacle. « Le lendemain de la bataille d’Eylau, raconte Thiers dans l’Histoire du Consulat et de l’Empire, Napoléon, parcourant le champ de bataille, fut ému au point de le laisser apercevoir dans le bulletin qu’il publia. » Sur cette plaine glacée, des milliers de morts, de mourants, de blessés cruellement mutilés ; une multitude de chevaux abattus ; une innombrable quantité de canons démontés, de voitures brisées, de projectiles épars ; des hameaux en flamme, le tout se détachant sur un fond de neige, présentait un spectacle saisissant et terrible. « Ce spectacle, s’écria le vainqueur, est fait pour inspirer aux princes l’amour de la paix et l’horreur de la guerre. » Il n’y avait que Vitellius pour trouver que le corps d’un ennemi mort sentait toujours bon. Xerxès lui-même, l’égoïste despote, ne pouvait retenir ses larmes, en pensant que la plupart de ces beaux soldats qui défilaient sous ses yeux seraient bientôt couchés dans la poussière. Et pourtant, au point de vue de l’humanité, les champs de bataille antiques offraient au regard un aspect moins lamentable que ceux de nos jours. Sans doute les combats étaient plus meurtriers, plus de soldats périssaient dans cette lutte corps à corps ; mais il y avait moins de ces blessés, de ces mutilés surtout, qui restent étendus de longues heures sur le sol et qui périssent souvent faute de soins, après une longue et douloureuse agonie. Le chevalier de Feuquerolle, tombé sur le champ de bataille de Ramillies, nous a laissé la relation des souffrances de tout genre par lesquelles il dut passer, avant d’avoir pu être secouru ; son histoire est celle de bien d’autres, dont une majeure partie n’a pas eu tant de chance que lui. Voici quelques extraits de son récit : « J’étais hors de combat, dit-il, et, suivant toute apparence, je devais bientôt perdre tout sentiment ; j’étais étendu sur le champ de bataille et baigné dans le sang qui coulait de mes blessures ; je sentais mes forces s’affaiblir de moment en moment, et si je conservais encore un reste de connaissance, elle ne servait qu’à aigrir mes douleurs. J’entendais de tous côtés les plaintes et les cris des uns, les paroles que le désespoir et l’emportement mettaient dans la bouche des autres, les soupirs des mourants et les mouvements de ceux qui, surmontant leur mal, tâchaient de se sortir de ce cimetière animé. L’horreur de tant d’objets funèbres endormit pour ainsi dire mes maux ; j’étouffai mes douleurs, et, ranimant un reste de vigueur, je me levai pour aller chercher du secours ; mais chaque pas était une chute pour moi ; mes pieds heurtaient à chaque moment contre le corps de quelque mort ou de quelque mourant, qui me faisait trébucher. Je compris que je devais passer la nuit dans cette solitude funèbre ; car, sans les grenouilles qui commencèrent à crier dans un marais voisin, je ne me serais point encore aperçu qu’elle fût venue. Il vint je ne sais combien de paysans que je reconnus pour tels à leur langage ; je les appelai tous, je les priai, je les conjurai de me donner du secours ; mes prières furent longtemps inutiles. Il en vint cependant à la fin quelques-uns ; je leur exposai mon état, je les suppliai de m’en retirer ; je leur assurai qu’ils auraient tout lieu de se louer de ma reconnaissance, et que mes libéralités dépendraient absolument de leur choix. Ils m’écoutèrent assez tranquillement, et pour toute réponse ils achevèrent de me dépouiller, en me disant qu’ils étaient fort touchés de ma situation, mais qu’enfin je n’en reviendrais pas ; et ils eurent la cruauté de m’arracher jusqu’à ma chemise, toute trempée qu’elle était de mon sang. Après m’avoir ainsi dépouillé, ils allèrent exercer les mêmes cruautés sur d’autres, après quoi ils revinrent encore autour de moi, apparemment pour voir s’ils ne pourraient pas grossir leur butin. Quoiqu’ils eussent déjà si mal reçu mes prières, je leur en fis de nouvelles ; je les suppliai derechef de ne pas m’abandonner, d’avoir pitié de l’extrémité où j’étais, et de me donner du moins quelque chose pour me couvrir ; j’avais déjà fait quelque pas vers eux, en mettant mes mains à terre, pour m’épargner les chutes qui étaient inévitables, quand je sentis jeter sur moi un de ces sacs dont les cavaliers se servent pour porter l’avoine ; ce fut tout le secours qu’ils me donnèrent. Dès qu’ils furent contents des dépouilles qu’ils avaient amassées, ils revinrent vers moi, et me dirent que si j’étais en état de les suivre, ils me mèneraient à leur village, qui n’était qu’à une lieue de là. Cette offre ranima mon courage ; je me levai aussitôt, pris mon sac et me mis à les suivre ; il me semblait qu’ils étaient à demi attendris, mais ils ne se gênaient pas beaucoup pour cela dans leur marche. J’avais tant de peur de les perdre, que je me surmontai moi-même pour leur tenir pied, et marchai sans cesse sur leurs talons ou au milieu d’eux. Il est vrai qu’ils étaient obligés quelquefois de se reposer, et que je profitais de ce temps pour reprendre haleine ; mais ces poses me furent à la fin funestes ; à la dernière que nous fîmes, les forces me manquèrent tout à coup et me laissèrent sans mouvement, sans connaissance. Ils crurent que je venais de finir pour toujours mes peines, et, au lieu de me donner du secours, ils prirent le parti de me quitter et de continuer leur route. Je repris quelques instants après connaissance ; mais quelle fut ma surprise de me retrouver seul ! Je les appelai, mais en vain, et je passai le reste de la nuit en des douleurs et des faiblesses, qui seules auraient pu terminer ma vie. C’est ainsi que j’attendis l’arrivée du jour ; les oiseaux me l’annoncèrent par leurs chants ; j’entendis les cloches qui sonnaient le pardon, et la voix de quelques passants. Je me levai aussitôt, je les appelai de toutes mes forces, et je restai quelque temps debout pour me faire voir et pour tâcher de leur donner de la compassion. Ils s’avancèrent, et furent saisis d’une si grande frayeur en me voyant, qu’ils restèrent un moment sans parler, après quoi ils me dirent de songer à mon âme, que je n’en avais pas pour longtemps. J’eus beau vouloir leur persuader que je me sentais encore du courage et de la force, qu’ils feraient œuvre de charité en me menant aux premières maisons ; ils s’obstinèrent à me persuader le contraire, et s’en allèrent sans me donner d’autre secours. Je fus donc obligé d’attendre dans la même place d’autres passants plus tendres et plus charitables ; j’en attirai plusieurs successivement qui reçurent mes prières comme avaient fait les premiers. J’étais environné de marécages, sans quoi je me serais hasardé d’aller chercher moi-même du secours. Je passai encore cette nuit, n’ayant d’autre soulagement que celui que je pouvais me procurer avec mon sac, et dans des souffrances plus grandes que celles que j’avais encore endurées. » Ce ne fut que le lendemain, après deux jours de souffrances inouïes, que le malheureux chevalier trouva un passant moins inhumain que les autres, qui le conduisit dans un vieux château délabré, où était établie une sorte d’ambulance. Mais comme elle ne renfermait pour ainsi dire aucun secours, le comte de Saillant envoya de Namur un chariot pour transporter à l’hôpital ceux qui étaient capables de supporter le trajet. « Ceux qui purent se traîner allèrent d’abord s’en emparer, et il fut bientôt plein. J’y aurais été des premiers, si mes jambes seules avaient pu seconder mon impatience ; mais j’avais besoin d’un secours étranger, et chacun ne pensait qu’à soi. J’eus un chagrin mortel de ne pouvoir profiter d’une occasion si pressante. Un père capucin, qui avait accompagné le chariot, eut beau m’exhorter à prendre patience et me promettre qu’il en arriverait quelque autre dans peu de temps, je ne pus me résoudre à attendre, et je lui témoignai tant d’envie de partir sur-le-champ, qu’il alla voir s’il pourrait m’en procurer les moyens, mais il ne put gagner autre chose, sinon qu’on me mit sur le derrière de la charrette, les jambes pendantes. Il me témoigna qu’il était très-fâché que ses soins n’eussent pas mieux réussi, et me dit que, vu les chemins difficiles par lesquels il fallait passer, on me ferait une espèce de rempart avec des cordes et de la paille, pour m’empêcher de tomber. Dès que ceux qui étaient dans le chariot m’aperçurent, ils se mirent à crier, en jurant qu’ils n’étaient déjà que trop, que je n’avais qu’à m’en retourner, et qu’il n’y avait, ne pouvait y avoir de place pour moi. Mon conducteur les apaisa, et leur promit que la manière dont on m’arrangerait ne les incommoderait pas. On partit aussitôt. J’eus grand besoin, pendant la route, de mettre à profit les avis qu’il m’avait donnés ; je souffris excessivement des cahots dont les contre-coups portaient à ma tête et renouvelaient les douleurs de mes plaies. Malgré cela, je n’étais pas le plus à plaindre ; il mourait de temps en temps quelqu’un de mes compagnons, dont on jetait les corps à côté du chemin, et nous nous trouvâmes trois de moins à notre arrivée à Namur. »

Sans doute, les mœurs se sont bien adoucies depuis la bataille de Ramillies ; les peuples sont devenus moins hostiles les uns aux autres et plus secourables aux blessés, quoique les dernières campagnes aient vu encore bien des actes d’inhumanité ou de basse cupidité. Le service des ambulances, surtout, a reçu de nombreux perfectionnements, et une société internationale s’est formée à Genève pour secourir les victimes de la guerre. On a pu voir, à l’Exposition universelle de 1867, ces appareils ingénieux, ces fauteuils, ces cacolets, ces lits, ces voitures destinées à procurer quelque soulagement aux malheureux blessés. Mais ce spectacle lui-même avait quelque chose de navrant, et l’on se demandait s’il ne serait pas plus naturel de ne pas créer de semblables misères, que de chercher à leur porter secours. Et encore, que de douleurs échappent dans la pratique à tous ces perfectionnements ! Nul doute que, de nos jours encore, les cruelles angoisses du champ de bataille, dont le chevalier de Feuquerolle nous a laissé un si triste récit, ne se renouvellent bien des fois. Aussi, en pensant à tant de douleurs ignorées et courageusement supportées, par tant d’hommes qui vont chaque jour se battre pour des intérêts qui le plus souvent ne sont pas les leurs, comprend-on la mot de Mirabeau, qui disait que la plus belle mort est celle du soldat, parce qu’elle est la plus obscure et la plus héroïquement supportée.


CHAMP D’ASILE. À la deuxième rentrée de Louis XVIII, beaucoup de Français, poursuivis par une réaction implacable, se réfugièrent aux États-Unis, où il leur fut accordé 100, 000 acres de terrain sur le golfe du Mexique, entre les rivières del Norte et de la Trinité, pour y fonder une colonie. Ce lieu de refuge, cet établissement de proscrits, reçut le nom de Champ d’asile. Pendant que les frères Lallemand organisaient la petite république, composée surtout d’anciens militaires, les libéraux ouvraient en France des souscriptions, et Béranger excitait l’intérêt public par sa belle chanson du Champ d’asile ; une autre chanson portant le même titre était rimée par Naudet, et suffisait pour illustrer le musicien Romagnesi. Mais l’Espagne ayant revendiqué le terrain sur lequel s’étaient établis les colons, les États-Unis leur donnèrent en échange un emplacement dans le pays d’Alabama, sur les bords du Tombig-Bee. Ils y fondèrent l’État de Marengo, dont la capitale était Aigleville. Mais le manque de ressources ne leur permit pas de consolider la nouvelle colonie, et la plupart rentrèrent en France sous le ministère Decazes.


CHAMPS ÉLYSÉES, paradis chez les païens. Selon Homère, dans les champs Élysées les hommes mènent une vie douce et tranquille ; les pluies, les neiges, les frimas n’y désolent point les campagnes ; en tout temps on y respire un air délicieux, et une fraîche brise vient sans cesse rafraîchir cette heureuse contrée. Virgile, que Fénelon a imité, en fait un éloge bien plus poétique, et signale surtout la douce lumière qui y répand ses rayons. Chaque mortel, dans ce bienheureux séjour, retrouve l’occupation qui lui fut chère sur la terre : Achille poursuit les bêtes féroces ; les héros grecs et troyens s’exercent aux armes, à la lutte ou à dompter les chevaux ; les poètes y débitent des vers ; les amants y retrouvent les objets de leur affection.

Chaque peuple, chaque poète même, différait sur la question de savoir où étaient placés les champs Élysées : les uns les mettaient dans le soleil, d’autres dans la lune ; Platon les reléguait aux antipodes, Homère aux extrémités de la terre, tandis que d’autres les plaçaient dans les îles Fortunées (îles Canaries) ou dans la Bétique (province de Grenade). Virgile et plusieurs autres poètes placent l’Élysée au centre de la terre, dans le royaume de Pluton. C’est dans sa descente aux enfers qu’Énée retrouve son père Anchise au milieu de tous les hommes vertueux qui goûtent dans un séjour de paix et de félicité la récompense de leurs bonnes actions. Fénelon, dans son Télémaque, a imité Virgile, et il l’a surpassé peut-être quand il a décrit le bonheur des justes admis dans l’Élysée, parce qu’il a joint aux idées païennes un reflet des jouissances purement spirituelles que le christianisme a rêvées pour son paradis.

La tradition première des champs Élysées parait venir de l’Égypte, ainsi que presque tous les mythes religieux de la Grèce. Diodore de Sicile raconte que la sépulture ordinaire des Égyptiens était au delà d’un lac appelé Achéron ; que le mort était apporté au bord du lac, au pied d’un tribunal qui jugeait sa vie et ses mœurs : s’il n’avait pas été fidèle aux lois, on jetait le corps dans une fosse commune, sorte de voirie appelée Tartare ; si, au contraire, sa vie avait été sans reproche, on enterrait le corps dans une prairie arrosée de ruisseaux, ornée de bosquets ; ce lieu se nommait Elysoul ou Champs Élysées. De là est venue la tradition des Grecs. Virgile, dans le VIe livre de l’Énéide, nous dit que les âmes des justes restaient là mille ans à boire les eaux du Léthé, à oublier le passé, puis allaient recommencer une autre vie.


CHAMPS-ÉLYSÉES, célèbre promenade, aujourd’hui la première de Paris, et peut-être du monde entier, par son étendue et les heureuses modifications qu’elle a subies depuis son origine. L’emplacement des Champs-Élysées était encore, en 1616, un terrain semé çà et là d’habitations mesquines, irrégulières, et se composait de plantations privées, de jardins et de terres labourables. En 1616, Marie de Médicis fit l’acquisition de ce terrain ; par ses ordres on planta, le long de la Seine, quatre rangées d’arbres, et cette allée, fermée à ses deux extrémités par une grille, devint la promenade réservée de la reine et de la cour, d’où le nom de Cours-la-Reine qu’elle prit bientôt et qu’elle garde encore de nos jours, malgré les transformations qu’elle a subies. Le Cours-la-Reine, comme aujourd’hui d’ailleurs, était séparé de la rivière par la grande route de Versailles ; de l’autre côté, un fossé le séparait de la plaine, où l’on pouvait passer par un pont de pierre. Cette plaine, qui devait un jour devenir les Champs-Élysées, s’étendait jusqu’au Roule. Ce fut en 1670 qu’elle fut plantée d’arbres, que les premières allées furent dessinées, que des tapis de gazon furent ménagés. Mais, bien que la disposition générale (une grande avenue centrale, bordée d’allées latérales) fût à peu près conforme à la disposition actuelle, on était encore loin des Champs-Élysées que nous connaissons. Le nom d’ailleurs n’existait pas alors : c’était le Grand-Cours, par opposition au Cours-la-Reine, dont nous avons parlé plus haut. Peu à peu le Grand-Cours s’agrandit, s’embellit et finit par devenir la promenade favorite des Parisiens ; il prit alors son nom actuel, qui nous paraîtrait aujourd’hui, si ce n’était l’habitude, un peu mythologique et prétentieux. En 1723, c’est le duc d’Antin, surintendant général des bâtiments, qui fait planter cette promenade presque tout entière et y ajoute de nouveaux arbres. M. de Marigny, un des successeurs du duc d’Antin, poursuit ces embellissements (1764). Dès lors les Champs-Élysées prennent une vie extraordinaire ; c’est le rendez-vous de la société brillante, la ga-