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coursiers, à les monter sans prendre d’élan, tantôt sans armes, tantôt une épée à la main ; ils s’y exerçaient également au saut, à la course, à la lutte, à l’escrime et à la palestre ; puis, tout couverts de sueur, d’huile et de poussière, à la suite de ces jeux guerriers auxquels ils se livraient sous un soleil ardent, ils se jetaient dans le Tibre, qu’ils traversaient à la nage, et venaient ensuite recommencer leurs jeux. Ce fut l’habitude quotidienne de ces exercices violents qui aguerrit les Romains, au point que dans leurs expéditions ils pouvaient endurer toutes les fatigues, résister à tous les climats et triompher de leurs ennemis, aussi bien par la force que par la souplesse ou par l’agilité. C’était une honte et une marque d’infamie pour un jeune Romain que de rester étranger à ces jeux, où les guerriers les plus éprouvés sentaient le besoin de venir se retremper eux-mêmes. Plus d’une fois on vit Marius, qui avait été sept fois consul, descendre dans l’arène, malgré son embonpoint excessif, et disputer le prix de la palestre avec les jeunes gens.

À mesure que la cité s’agrandit, que la république prit de l’accroissement, le champ de Mars s’accrut et s’embellit. La culture en disparut peu à peu, des promenades s’y dessinèrent, des monuments magnifiques y furent élevés, et, au commencement de l’empire, le champ de Mars fut un des quartiers les plus beaux de Rome, un de ceux qui donnaient le mieux l’idée de la grandeur et de la puissance romaine. Tout en restant hors de la ville, il en était, pour ainsi dire, un point central. Parmi les principaux monuments qui l’ornaient, il faut citer le théâtre Marcellus, dont les auteurs anciens nous ont laissé de si pompeuses descriptions ; le cirque Flaminien, théâtre essentiellement démocratique et populaire ; la villa Publica, somptueux édifice tout resplendissant de marbres et de dorures, destiné à donner l’hospitalité aux ambassadeurs étrangers ; le mausolée d’Auguste, grosse tour ronde à trois étages concentriques, dont le diamètre allait en décroissant de la base au sommet. Le retrait laissé par chaque étage était rempli de terre et planté d’arbres verts, dont le sombre feuillage contrastait avec le marbre blanc des murailles ; le Diribitorium, immense construction où l’on faisait la paye des soldats ; les septa Julia, portiques en marbre de 5, 000 pieds de long, supportés par des centaines de colonnes, que César avait fait bâtir pour remplacer les septa en bois qui servaient autrefois aux élections. Ces nouvelles septa étaient en marbre ; mais les élections n’existaient plus, ayant disparu avec la liberté. Enfin, un des plus beaux ornements du champ de Mars était le fameux Panthéon, qu’on voit encore à Rome, mais dont on ne peut deviner l’effet, enterré qu’il est au milieu de vieilles et noires masures. Ajoutons à cela des bois sacrés, formant des promenades ; des obélisques en granit oriental, surtout le fameux Gnomon, obélisque d’un seul morceau de granit rouge de 73 pieds de hauteur, sur le sommet duquel se trouvait un cadran solaire. On comprend qu’un endroit semblable soit devenu un lieu de promenade ; on disait : « Allons au champ, comme nous disons : « Allons au bois, » et les Romains de l’empire se promenaient en curieux et en flâneurs, là où leurs pères avaient lutté et combattu en hommes et en citoyens. Le sol du champ de Mars était sacré et il n’était pas permis d’y bâtir. Ce ne fut qu’à l’époque des invasions étrangères que la ville commença à descendre des hauteurs dans la plaine. Les barbares en furent cause ; le jour où ils coupèrent les aqueducs, ils privèrent les Romains de l’eau qu’ils recevaient du dehors, et par là les forcèrent à quitter les hauteurs et à se presser autour du Tibre. Rome moderne occupe juste l’emplacement de l’ancien champ de Mars.


Champ de Mars, chez les Francs. Avant d’envahir la Gaule, les Francs de la Germanie avaient l’habitude de se réunir en assemblées générales à certaines époques de l’année, et, comme ils trouvèrent les mêmes usages pratiqués par les Gaulois, chez qui les Romains avaient développé l’esprit municipal, il n’est pas étonnant que de semblables réunions aient eu lieu dès l’origine de la monarchie. On leur donna le nom de champs de Mars, parce qu’elles se tenaient au mois de mars. À l’origine, sous Clovis surtout, elles furent plutôt guerrières que législatives, et eurent tous les caractères d’une véritable revue. Ce fut dans une de ces assemblées que ce prince se vengea du Sicambre qui avait brisé le vase de Soissons. Sous les successeurs de Clovis, elles eurent un cachet plus paisible ; on y promulgua des lois, on y rendit la justice ; c’était là que les hommes libres, accusés d’un crime, venaient se défendre, amenant deux ou trois cents témoins, appelés conjurateurs, pour attester leur innocence. C’étaient véritablement les assemblées générales de la nation, quoiqu’on n’y vit guère que les guerriers et les prélats, qui formaient alors la majeure partie des hommes libres.

Un instant interrompues sous les derniers Mérovingiens, ces assemblées furent rétablies par Pépin, qui les renvoya au mois de mai, ce qui leur fit donner le nom de champs de Mai. Sous son règne, sous celui de son successeur surtout, ces assemblées devinrent éminemment législatives, et ce fut là que le grand empereur édicta la plupart de ses Capitulaires. Comme l’Église avait déjà fait invasion dans l’État, il y avait au moins autant de prélats que de guerriers, ce qui transforma souvent ces réunions en conciles. Continués sous quelques successeurs de Charlemagne, les champs de Mai disparurent bientôt avec cette race. Mais ce premier germe de représentation nationale n’était qu'endormi, et non étouffé ; au XIVe siècle, il se réveilla plus vivace avec les états généraux, Un moment comprimé au XVIIe siècle, il reparut vers la fin du XVIIIe avec la Révolution française. Aujourd’hui, le régime représentatif est une condition vitale des nations modernes ; les réunions du champ de Mars ont été son berceau.


CHAMP-DE-MARS à Paris, vaste emplacement de terrain mesurant 1,028 m. de long et occupant une superficie d’environ 42 hectares 68 centiares, situé dans le quartier de Grenelle, entre la façade septentrionale de l’École militaire et la rive gauche de la Seine. Le Champ-de-Mars, qui vient de servir de campement à l’Exposition universelle, est mêlé par de nombreux épisodes aux pages les plus glorieuses de notre histoire, et la Révolution surtout y a gravé son souvenir d’une manière ineffaçable. Le premier événement marquant dont le champ-de-Mars ou plutôt l’emplacement qui plus tard a porté ce nom, fut le théâtre fut la défaite des Normands par Eudes, fils de Robert le Fort, comte de Paris. Dès 888, les Normands, sous prétexte de venger la trahison de Charles le Gros, étaient venus infester les rives de la Seine de leurs ravages. Le célèbre Rollon les commandait. Paris ne consistait alors que dans la Cité, et tous les historiens rapportent la belle conduite de l’évêque Gozlin, ce prélat homme de guerre, qui, à force de vigilance, de courage et de prudence, parvint à repousser les redoutables hommes du Nord. Quelque temps après, les Normands se retirèrent sur un terrain situé sur la rive gauche de la Seine, jadis couvert de forêts et qui avait été déboisé par Eudes dans l’intention déjà d’en faire un champ de manœuvre. La paix honteuse que fit avec eux Charles le Gros excita contre ce monarque l’indignation générale, et le roi, abandonné des siens, dut se retirer chez Luitpert, archevêque de Mayence, pauvre et manquant presque de pain. Eudes, resté maître du terrain, poursuivit sans relâche la défaite des Normands. Il parvint, en les harcelant, en leur livrant de continuels combats d’escarmouches, à les refouler bien au delà de leurs campements. Les Parisiens, voyant une semaine écoulée sans que les dangereux étrangers eussent reparu, crurent à leur départ définitif ; en conséquence, ils résolurent, avant de rentrer dans Paris, de fêter leur triomphe dans la grande plaine d’où naguère encore les Normands menaçaient la ville. La fête joyeuse avait commencé, quand soudain, au loin, venant de la direction d’un monastère, apparaît une armée innombrable de capucins. Ils approchent, et on reconnaît qu’ils portent un corps enveloppé dans un linceul. Les Parisiens s’écartent sans méfiance ; la procession traverse leurs lignes ; mais tout à coup une clameur s’élève, les moines jettent le froc, le mort se dresse, et les Normands, car c’étaient eux qui jouaient leur va-tout sur ce stratagème, tombent avec furie sur les Parisiens. Ces derniers, désarmés, surpris, fuient jusqu’aux portes de la ville, poursuivis par les Normands. C’en était fait de Paris, quand Eudes fait une sortie furieuse, accable à son tour les étrangers qui se croyaient déjà sûrs du succès, les refoule dans la plaine, les met en déroute et poursuit les fuyards. La place où eut lieu leur défaite fut nommée champ de la Victoire. Tel est le premier grand souvenir du Champ-de-Mars.

Paris s’étendit peu à peu. Nous franchirons plusieurs siècles pendant lesquels le champ de la Victoire, oublié, ne joua aucun rôle, et vit passer successivement les vassaux révoltés contre le roi de France, et plus tard les huguenots qui, on le sait, avaient élu domicile sur la rive gauche de la Seine. La Saint-Barthêlemy les fit traverser, éperdus, le vieux champ de la Victoire. — Nous arrivons d’un bond au règne de Louis XV. En janvier 1751 fut décrétée la fondation d’une école militaire en faveur de cinq cents jeunes gentilshommes, pour y être entretenus et élevés, disent les lettres patentes du roi, « dans toutes les sciences convenables et nécessaires aux officiers. » C’était une conséquence de l’édit qui fermait aux roturiers l’accès des grades militaires. On choisit l’emplacement situé au nord du Champ-de-Mars actuel : cet emplacement avait été longtemps occupé par une garenne appartenant à l’abbaye de Saint-Germain, et qui, par corruption, donna son nom à toute la plaine environnante (garenne, grenelle). L’architecte Gabriel commença les travaux de l’École militaire en 1753, et les élèves, provisoirement placés à Vincennes, l’inaugurèrent en 1756. Mais ce ne fut que plus tard que l’on songea à tirer parti du terrain situé au-devant de la nouvelle école, et dont les maraîchers s’étaient emparés depuis un temps immémorial. Vers 1770, on les expulsa et on traça un parallélogramme de 1,000 m. de long sur 500 m. de large pour servir aux évolutions des élèves. L’ancien champ de la Victoire devint une immense esplanade entourée d’un fossé revêtu de pierre, qui, du côté de la rivière, servait d’avenue à l’école et faisait partie de la plaine de Grenelle ; quatre rangées d’arbres plantés sur les côtés, tant en dedans qu’en dehors des fossés, y formaient de belles allées ; cinq grilles de fer en ouvraient les entrées. Ce champ, destiné surtout, comme nous venons de le dire, aux élèves de l’école, fut affecté également aux exercices du régiment des gardes françaises. Il pouvait contenir 10,000 hommes rangés en bataille. À gauche, du côté de Grenelle, se trouvait le château de Grenelle, dont la Révolution fit une poudrière, et qui sauta en 1793 avec un bruit et un fracas épouvantables. Un grand nombre de citoyens furent victimes de la catastrophe.

Le Champ-de-Mars fut ouvert par une revue des élèves, des gardes françaises et des suisses, passée par le roi, accompagné de Mme de Pompadour ; toutes les troupes étaient en armes. Un événement signala cette revue : un jeune officier, neveu du contrôleur des finances Orry, disgracié par l’influence de la favorite, venait, après un échec subi par nos armes en Allemagne, d’être appelé en France sous l’accusation de trahison et consigné à l’École militaire. Le jour de la revue, il est mandé et interrogé par le roi. Il allait être livré à une commission militaire, quand un exprès, envoyé par le colonel Chevert, son ancien chef, accourt bride abattue et remet à Louis XV un rapport circonstancié constatant que non-seulement Robert Orry n’est pas un traître, mais que l’armée, compromise par une faute grave du maréchal de Maillebois, a dû son salut à sa présence d’esprit et à une vigoureuse charge organisée par lui. Louis XV sut résister à Mme de Pompadour, qui poursuivait d’un regard de haine le neveu du contrôleur, comme elle avait fait de l’oncle ; il fit le jeune homme lieutenant et inaugura ainsi par un acte de justice ce Champ-de-Mars qui devait bientôt être le théâtre de tant de grandes choses.

L’École militaire ayant été supprimée en 1787 et convertie en caserne de cavalerie, le Champ-de-Mars fut dès lors, et il est resté jusqu’à nos jours, l’emplacement où se font les évolutions militaires de toute sorte.

L’heure de la Révolution sonna. On sait quels en furent les débuts : union, concorde, fraternité, voilà les premiers mots qu’elle proclama. Paris, afin de cimenter la paix générale et l’accord de tous, songea à cette grande chose : recevoir la France. Idée sublime qui laisse loin derrière elle la prétendue hospitalité donnée aux nations voisines par la dernière exposition. Un comité de fédération, formé au sein de la municipalité, décida que les districts des départements seraient invités à envoyer à Paris des députés ayant mission de conclure avec les Parisiens le pacte de la fédération nationale. Ces députés étaient ceux de toutes les gardes nationales de la France et des corps de l’armée. Le même comité arrêta que cette fête aurait lieu le 14 juillet 1790, jour anniversaire de la prise de la Bastille, dans le Champ-de-Mars. « Dix mois sont à peine écoulés, disait une adresse aux Français, publiée en même temps au nom des habitants de Paris, depuis l’époque mémorable où, des murs de la Bastille reconquise, s’éleva ce cri : Nous sommes libres ! Qu’au même jour un cri plus touchant se fasse entendre : Nous sommes frères ! » Alors se passa un fait unique dans l’histoire : les travaux à accomplir au Champ-de-Mars étaient considérables ; il fallait de chaque côté relever les terres en talus propres à porter la masse des spectateurs, creuser le sol, le retourner ; de plus, le plan adopté prescrivait l’érection, entre l’amphithéâtre et la rivière, d’un arc de triomphe égal en dimension à celui de la porte Saint-Denis ; enfin, au milieu du Champ-de-Mars, il fallait construire l’autel de la Patrie. L’Assemblée mit en réquisition 15,000 ouvriers ; mais, malgré ce nombre considérable de manœuvres, on reconnut, le 7 juillet 1790, que les travaux ne seraient jamais terminés pour le 14, jour fixé pour la fête de la fédération. Un garde national, nommé Carthui, eut alors une inspiration d’un patriotisme touchant. Il écrivit au journal la Chronique de Paris une lettre dans laquelle il proposait simplement à toute la population parisienne de se transformer en ouvriers pour arriver à temps. L’appel est entendu, et alors on voit cette chose unique, sans précédent : la ville entière, hommes, femmes, enfants, s’élancer vers le Champ-de-Mars. « Qu’on se figure, dit un illustre historien, 300,000 ouvriers volontaires de tout âge, de toute condition, revêtus des costumes les plus divers, et du matin au soir, dans la douce ivresse d’un commun désir, avec cette harmonie qui naît d’elle-même de l’accord des âmes sous la loi d’une cordiale égalité, au bruit des chansons, creusant, roulant, reversant la terre avec autant d’ardeur que des soldats en mettent à ouvrir une tranchée. Courage ! courage ! c’est la fête de la patrie qu’il s’agit de préparer. Que les vieillards se raniment ! que les jeunes garçons accourent ! que les fiancées viennent par leur présence faire de la fatigue un enchantement et sourire aux plus braves ! Ce fut un prodige. » Les étrangers en ce moment à Paris demeuraient pétrifiés d’étonnement : « J’ai vu, écrivait l’un d’eux, attelés au même chariot, un bénédictin, un invalide, un moine, un juge, une courtisane. » Sieyès, en manches de chemise, piochait le terrain à côté du premier venu. Les chartreux, conduits et dirigés par dom Gerle, travaillaient silencieusement. L’abbé Maury ayant protesté par son absence, un ouvrier endossa le rabat et le petit collet, se fit lier et transporter gaiement à travers les lignes des travailleurs, criant : Voilà Maury ! — Oui, un écrivain a eu raison de voir dans cet élan prodigieux un des plus touchants, des plus charmants souvenirs de cet âge d’or de la Révolution, la solution du problème du travail attrayant, cette sublime idée, ou plutôt ce rêve, de Charles Fourier. Écoutez, en effet, ce qui suit, raconté par une actrice dans ses mémoires : « Les théâtres eux-mêmes se signalèrent : chaque cavalier choisissait une dame à laquelle il offrait une bêche bien légère, ornée de rubans ; et, musique en tête, on allait au rendez-vous universel. Il fallut inventer un costume qui résistât à la poussière : une blouse de mousseline grise, des bas de soie et des brodequins de même couleur, une écharpe tricolore, un large chapeau de paille, telle fut la tenue d’artiste. » C’est ainsi que, hommes, femmes, enfante, ouvriers, jeunes gens de la noblesse patriote, militaires, prêtres, moines, artistes, écrivains, etc., tous accoururent manier la pelle et la pioche, et malgré des pluies fréquentes, travaillaient, au chant du Ça ira, avec cette furie et cette jovialité qui caractérisent le génie national. En quelques jours, tout fut achevé. Le résultat fut ce double rang de tertres en pente qu’on voyait encore avant les derniers remaniements sur les côtés de la vaste plaine. Ces amphithéâtres étaient réellement un monument historique qui rappelait le souvenir déjà lointain de notre régénération.

On éleva au centre du Champ-de-Mars ce colossal autel dont nous avoua donné la description à l’article autel de la patrie. C’est autour de cet autel que prêtèrent solennellement le serment civique les députés de toutes les gardes nationales de France et des corps de l’armée, mêlés à la population de Paris et à tous les pouvoirs publics. Louis XVI y jura d’employer le pouvoir que lui avait délégué l’acte constitutionnel de l’État à maintenir la constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par lui. Pour les détails de la fête, v. fédération (fête de la).

Le lieu sacré où la nation entière avait envoyé ses délégués jurer la foi nouvelle à la liberté fut dès lors appelé le Champ de la Fédération.

Qui eût pu prévoir que, quelques mois après {septembre 1790), à l’horrible nouvelle des massacres de Nancy, où le jeune et héroïque Désilles trouva la mort, ce même Louis XVI écrirait à l’Assemblée nationale une lettre où il se félicitait de voir la paix rétablie dans la ville de Nancy, grâce à la fermeté et à la bonne conduite de M. de Bouillé, le chef des massacreurs ? N’oublions pas que l’Assemblée eut la faiblesse de voter des remercîments à cette lettre, et qu’un seul membre s’y opposa, Robespierre. La municipalité de Paris, en l’honneur de ceux qui avaient péri « pour la défense de l’ordre,  » n’en ordonna pas moins qu’une fête funéraire serait célébrée au Champ-de-Mars. L’enceinte en fut tendue de noir et la foule s’y rendit recueillie et en larmes ; ces larmes s’adressaient aux vaincus.

Mais le massacre de Nancy n’est qu’un prélude ; la fête funéraire n’est qu’un prologue ; voici que le Champ-de-Mars va être le théâtre d’un drame bien autrement lugubre, bien autrement sanglant (17 juillet 1791). Après la fuite du roi, une pétition demandant la déchéance du monarque avait été exposée sur l’autel pour recevoir les signatures des citoyens. Chargés d’exécuter la loi martiale (contre les attroupements), La Fayette, Bailly et la municipalité firent marcher la garde nationale et les troupes, et le sang coula sur les marches mêmes de l’autel (v. massacres du Champ-de-Mars). Mais telle était la foi inébranlable des hommes de fer de cette époque, que l’auteur des Révolutions de Paris se borna à écrire : « La pétition reste : elle repose dans une arche sainte, placée au fond d’un temple inaccessible à toutes les baïonnettes. Elle en sortira quelque jour. » N’est-ce pas digne de l’ancienne Rome ?

Or voici qu’elle en est sortie, cette pétition fameuse, et que le retentissement en a été terrible. Le roi a été fait prisonnier et attend son jugement. Mais les puissances voisines se coalisent contre la France, Un souffle d’enthousiasme anime soudain ce peuple affamé de liberté : la Convention l’appelle au secours de la patrie ; c’est le Champ-de-Mars qui sert de siège principal aux enrôlements volontaires ; des amphithéâtres y sont élevés, avec des drapeaux sur lesquels on lit : La patrie est en danger, mots magiques et qui électrisent. Sur une table supportée par deux tambours les officiers municipaux inscrivent les noms de ceux qui viennent s’enrôler. Cet élan, sans précédent dans l’histoire, donne à la France quatorze armées qui, aguerries dès le premier feu, deviendront les premières du monde, et braveront en chantant la faim et le froid au cri de : Vive la France ! vive la république ! vive la liberté !

Pendant toute la Révolution, le Champ de la Fédération fut l’un des points principaux où se célébraient les fêtes nationales. Lors de la Fête à l’Être suprême (20 prairial an III-8 juin 1794), une montagne, symbolisant celle de la Convention (v. montagnes symboliques) avait été élevée au centre, en face de l’autel ; toute la Convention prit place au sommet, pendant que l’immense cortège se rangeait autour. V. Être suprême (fête de l’).

La dernière fête républicaine de cette grande