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on les porte dans la pile, afin de leur faire subir l’effilochage. Cette opération a pour but de’ diviser les chiffons de manière à les réduire • en fibrilles comme de la charpie, mais en les brisant le moins possible.

Après cette opération, qui constitue la fabrication de la pâte, se succèdent celles du pressage, du cardage au loup, du blanchiment, de ! l’affinage et du collage de la pâte. V. papier. :

— Agric. Nous avons dit que les chiffons de laine peuvent servir à fabriquer de gros papier gris-, mais une chose qu on ignore assez’ généralement, c’est qu’on peut en faire un emploi très-avantageux en agriculture. Ces chiffons constituent en effet un engrais d’une efficacité remarquable et d’une grande durée, et, sous ce double rapport, ils peuvent être éminemment utiles pour les terres éloignées de la ferme ou d’un accès difficile. On les emploie le plus souvent en composts, c’est-kdire mélangés avec de la terre végétale ou du fumier. Le mélange s’opère quelques mois

à l’avance, dans la proportion de 1, 200 kilogr. de chiffons par 4 ou 5 voitures de fumier. Cette quantité suffit pour fumer un hectare de terre de fertilité moyenne. Ce compost doit être remué plusieurs fois avant l’emploi, afin

que la fermentation s’opère régulièrement. 11 aut veiller aussi à ce qu’il ne se dessèche pas. L’eau qui s’en échappe forme un purin très-riche, que l’on doit recueillir avec soin.

CHIFFONNABLE adj. (chi-fo-na-ble —rad. chiffon). Qui peut être chirfonné, froissé : Papier chiffonnable.

CHIFFONNADE s. f. (chi-fo-na-de). Art culin. Sorte de potage.


CHIFFONNAGE s. m. (chi-fo-na-je — rad. chiffonne}’). Action de chiffonner, état des étoffes chiffonnées ; amas d’étoffes chiffonnées ; Sainte Thérèse, dans un chiffonnagk de draperies encore plus outré, n’a pas plus l’air d’une sainte que d’une sibylle. (Dupaty.)

— Par ext. Action de remuer, de placer et de déplacer des chiffons : Jamais on n’a mieux saisi les commérages, tes talillonnages, les chiffonnages d’un intérieur. (Ste-Beuve.)

CHIFFONNANT (chi-fo-nan) part. prés, du v. Chiffonner : Je me suis brûlée en chiffonnant autour de cette bougie. (Beaumarch.)

CHIFFONNE s. f. (chi-fo-ne-rad. chiffon). Arboric. Branche grêle, contournée, surchargée de bourgeons à. son extrémité ou dans un point de son étendue, et qui ne porte jamais de fruits.

—Adjectiv. : Une branche chiffonne. Il faut ôter les branches petites et chiffonnes. (La Quintinie.)


CHIFFONNÉ, ÉE (chi-fo-né) part, passé du v. Chiffonner. Froissé, marqué de plis irréguliers et faits au hasard : Linge chiffonné. Etoffe chiffonnée. Papier chiffonné.

— Pam. Se dit d’un visage dont les traits sont plus fins et plus gracieux que réguliers : Cette demoiselle n’est pas une beauté, mais elle a une petite mine chiffonnée qui me revient assez. (E. Sue.) Est-ce qu’elle est jolie ? Mais comme cela… une certaine mine chiffonnée ; dont la mobilité fait tout le charme. (Balz.)

—Fig. Inquiété, tourmenté, ennuyé : Il ne répond pas à ma lettre : j’en suis chiffonné.

— Bot. Se dit des parties des végétaux qui sont plissées irrégulièrement : Feuilles chiffonnées. Pétales chiffonnés. Cotylédons chiffonnés. Bien de gracieux comme les pétales chiffonnés du coquelicot, au moment où ils déchirent le calice.


CHIFFONNER v. a. ou tr. {chi-fo-né-rad. chiffon). Froisser comme un chiffon : Chiffonner du linge, des étoffes, du papier. Vénus, flambeau divin ! astre cher aux pirates, Astre cher aux amants ! tu sais que de cravates, Un jour de rendaz-vûus, chiffonne un amoureux. A. pe Musset.

— Froisser ; déranger la toilette de : On va nous chiffonner dans cette foule.

— Confectionner les chiffons, les différents objets qui servent à la toilette des femmes : Je sais que quelques-unes de mes lectrices ont le don d’être fées, et qu’elles chiffonnent leurs robes, leurs bonnets et leurs chapeaux elles-mêmes. (Journ.)

— Fam. Produire, faire avec prestesse et avec une certaine élégance légère : Alexandre Dumas dessine une scène aussi vite que Scribe chiffonne une pièce. (Mme e. de Gir.)

— Fig. Préoccuper, tracasser, chagriner : Cela le chiffonne. Cette nouvelle l’& beaucoup chiffonné. Ce départ-là me chiffonne. (Vadé.) M’interrompre a touteoup, c’est me chiffonner l’ame.

Poisson.

Chiffonner une femme, Se permettre avec elle des attouchements un peu libres :

Jamais garçon ne me chiffonnera.

***

Et sans nuire à sa toilette,

Je la chiffonne a mon gré.

Béiunger.

— v. n. ou intr. Ramasser des chiffons dans les rues : Le travail des chiffonniers commence à sept heures du soir : ils chiffonnent jusqu’à minuit. (E. Lassuilly.)

— Fam. Remuer, manier, placer, déplacer, confectionner, réparer des chiffons ou menus objets d’ajustement pour les dames : S’amuser à chiffonner. Les femmes aiment à chiffonnhr, ne fût-ce que pour avoir une contenance.

Se chiffonner v. pron. Être chiffonné, froissé : Prenez garde que votre robe ne se chiffonne. J’étais resté appuyé sur le vieux livre entr’ouvert dont les pages se chiffonnaient sous mon coude. (V. Hugo.)


CHIFFONNERIE s. f. (ehi-fo-ne-rî — rad. chiffon). Corps des chiffonniers : Des toasts ont été portés à la prospérité de la chiffonnerie et à l’union de tous ses membres. (Journ.)

— Fam. Petit tracas, souci de peu d’importance : Chiffonneries de ménage. Il Habitude ou action de chiffonner ; petites occupations des dames élégantes ; petites affaires de toilette et de boudoir : L’abbé — ministre n’était pas entièrement brouillé, on l’entrevoit, avec les chiffonneries galantes. (Ste-Beuve.)

CHIFFONNIER, IÈRE s. (chi-fo-nié, iè-rerad. chiffon). Personne qui ramasse des chiffons ou autres objets abandonnés dans les rues, ou qui achète des chiffons pour les revendre : La hotte, le crochet d’un chiffonnier. Les chiffonniers cherchent leur vie dans les ordures. (A. Karr.) Des chiffonniers ramassent dans l’Europe entière les chiffons, les vieux linges, et achètent les débris de toutes espèces de tissus. (Balz.)

— Fam. Personne qui recueille de tout côté des nouvelles vraies ou fausses, et les répète sans discernement. Il Celui à qui tout est bon, qui ramasse sans chois tout ce qu’il rencontre : Le porc est le grand chiffonnier de la nature ; tout lui est bon pour s’engraisser. (Toussenel.)

— Poétiq. Chiffonnier du Parnasse, Poète plagiaire, qui pille ses vers dans les œuvres d’autrui :

Comment nommer la rampante vermine Des chiffonniers de ta double colline ?

"Voltaire.

Chiffonnier ou chiffonnière, Petit meuble à tiroirs dans lequel les femmes renferment leurs chiffons et les petits objets qui servent à leurs ouvrages.

—Techn. Ouvrière qui est chargée du triage des chiffons, dans les fabriques de papier.

— Encycl. Chaque soir, vers huit heures en été, et un peu plus tôt en hiver, les rues de Paris sont sillonnées par une classe d’individus des deux sexes, vêtus de sordides haillons, portant sur le dos une hotte d’osier et les mains armées, la gauche d’une lanterne, la droite d’un bâton terminé par un crochet de fer. Un étranger ou un campagnard qui rencontrerait un de ces industriels se demanderait sans doute quelle fonction sociale va accomplir ce personnage ; mais tous les Parisiens le connaissent de longue date :ils savent que ce Diogène n’est autre qu’un chiffonnier. Suivez-le ; vous le verrez s’arrêter à tous les tas d’ordures déposés sur la voie publique en attendant que les boueurs viennent les enlever. Le chiffonnier tourne et retourne ces détritus et les fouille en tous sens : à l’aide de son crochet, il pique tous les objets qui peuvent avoir encore quelque utilité et les jette dans sa hotte. Il ne se contente pas de ramasser seulement les chiffons, comme le nom qu’on lui a donné semble l’indiquer : il cueille aussi les vieux papiers, les bouchons, les os, les rognures de carton, les clous, le verre cassé, les chats et les chiens morts jetés sur la voie publique, en violation des ordonnances, les cheveux, en un mot tout ce qui pourra être vendu. Ce sont encore les chiffonniers qui débarrassent, bien que cela soit défendu, les murailles des affiches que la publicité y appose chaque jour. Il arrive aussi que des objets précieux, des cuillers d’argent, des bijoux, des billets de banque même, sont jetés par mégarde aux ordures : les chiffonniers qui font de pareilles trouvailles sont obligés, s ils ne veulent s’exposer à des peines rigoureuses, de déposer ces valeurs au commissariat de police le plus rapproché. Les vieux papiers et les chiffons sont employés pour la fabrication du carton et du papier ; les os sont plus tard transformés en noir animal ; le verre

"cassé est refondu ; les clous vont où va la vieille ferraille ; les chiens et les chats sont dépouillés et leur peau est utilisée ; les cheveux, après avoir subi diverses préparations que nous avons décrites à l’article consacré au mot cheveu, reparaissent, proh pudor ! sur les têtes des élégantes, sous forme de tresses ondoyantes ou de chignons rebondis. Mais ce porteur de hotte, que nous voyons chaque nuit travailler au coin des bornes, n’est que l’émissaire d’un chiffonnier plus huppé. Celui-là ne se dérange pas ; c’est le grand seigneur du crochet :il achète la récolte quotidienne ou plutôt nocturne, la fait trier, classer, et la revend aux diverses professions qui peuvent en tirer parti. Rien de ce qui se ramasse au coin des bornes n’est perdu pour l’industrie ; les vils débris retirés delà fange sont comme autant de chrysalides auxquelles la science donnera des formes élégantes et des ailes diaphanes. Ainsi les fabricants de carton et de papier achètent pour leur usage ; les carons, vieux papiers sales, 8 fr. les 100 kilogr. ; le gros de Paris, toiles d’emballage, restes de sacs, 8 ; le gros de campagne, chiffons de couleur, cotonnades, 18 ; le gros bulle, toiles en fil grossières et sales, 20 ; le bulle, même qualité, mais plus propre, 2G ; le blanc sale, chiffons, ordinairement de cotonnade, 34 ; le blanc fin, chiffons propres et de toile de fil, —14.

Les chiffons d’une dimension raisonnable passent entre les mains des revendeuses à la toilette du marché du Temple. Les fabricants de produits chimiques tirent du sel ammoniac

des lambeaux de laine ou de drap. On fait de nouvelles vitres avec les morceaux de verre cassé, et de nouvelles ferrures avec les anciennes. Les vieilles savates sont amplement utilisées par les cordonniers ; ils en font ce que l’on nomme Y âme des souliers, et il est —tel morceau de cuir qui, sous des formes différentes, entre dix ou douze fois dans la confection de chaussures neuves. Le cuir s’utilise jusqu’à disparition absolue par l’usure. Tout se recueille, avons-nous dit : jusqu’aux bottes à, sardines vidées et défoncées, qui, livrées à. des mains habiles, se transforment en jouets d’enfants : petites trompettes, soldats découpés, ménages lilliputiens, etc.

Notre coureur de nuit, plus éclectique encore que M. Cousin, ramasse indistinctement les choux et les raves de la grande ville sans trop s’inquiéter de séparer le bon grain de l’ivraie. C’est le trieur que cela regarde ; le trieur, encore un intéressant petit industriel à qui le chiffon prête vie, le trieur, ainsi que son nom l’indique, est charge du classement de la récolte. Il met de l’ordre dans ce chaos d’ordures que le chiffonnier en gros, le patron, le singe, saura bien convertir en écus dépourvus d odeur. À ce métier de trieur, on ne brille pas longtemps. Les miasmes qui s’exhalent de toutes ces horreurs amassées sont autant de poisons violents. Les lampes elles-mêmes s’éteignent dans ce cloaque.

Le chiffonnier qui porte la hotte est toujours misérable ; le maître chiffonnier, qui en achète le contenu, est souvent riche à millions et éclabousse, en revenant du théâtre, les pauvres hères qui, le lendemain, viendront lui vendre ce que la grande ville a laissé traîner dans ses ruisseaux.

L’administration, comme bien on pense, s’est occupée de MM. les chiffonniers ; elle a rendu à diverses époques des ordonnances réglementant la profession. Les plus anciennes leur enjoignaient de ne vaguer dans les rues de Paris que le jour, afin qu’ils ne pussent être soupçonnés d’avoir pris part aux vols et effractions nocturnes. Actuellement, pour exercer le chiffonnage, il faut être muni d’une plaque numérotée, ostensiblement attachée à la hotte indispensable. Les arrêtés municipaux interdisent aux industriels en question de circuler dans les rues de minuit à cinq heures du matin. Comme la récolte commence dès huit heures du soir et que les tombereaux des boueurs ne passent que de sept à neuf heures du matin, les chiffonniers, que leurs pérégrinations à la recherche de l’inconnu ont trop éloignés de leur domicile, se voient forcés de passer les heures qui leur sont interdites dans des bouges infects qu’on laisse ouverts pour eux. La célèbre maison de Paul Niquet, auprès des Halles, était autrefois leur refuge de prédilection. La place Maubert, la rue Mouffetard, les hideuses ruelles avoisinantes ont longtemps été et sont encore le centre où s’agglomèrent et d’où partent chaque soir les chiffonniers et les chiffonnières de Paris. La rue Sainte-Marguerite, dans le faubourg Saint-Antoine, semble devoir hériter des habitants du faubourg Saint-Marceau, chassés de leurs gîtes par les démolitions. Outre ces cantonnements plus ou moins malpropres, le chiffonnier a sa cité à part, sa villa, son camp des Tartares, où il campe avec ses petits. Cela a nom la cité Doré, non par antiphrase, mais parce que M. Doré, chimiste distingué, est ou était propriétaire du terrain. Cela s’étale à deux pas de la gare du chemin de fer d’Orléans, à dix minutes du Jardin des Plantes, a la barrière des Deux-Moulins, et s’appelle aussi la villa des chiffonniers. Villa ! c’est une ville à côté d’une autre ville, l’antithèse de la Babylone moderne ; la capitale de la misère en face de la capitale du luxe ; la bohème crottée en regard de la bohème fardée, un Ghetto moins infect que ceux de Rome et de "Venise, mais plus triste, plus pauvre et plus honnête. Vue de haut, la cité Doré est une réunion de cabanes à lapins où logent des citoyens ; vue de près, c’est une colonie de philosophes ayant horreur des garnis sans nom où l’on couche k la corde.

Nous disons philosophes, car tout chiffonnier porte en soi’l’étoffe d’un Diogène. Comme ce dernier, il se complaît dans la vie nomade, dans ses promenades sans fin, dans son indépendance de lazzarone. Il regarde avec un profond mépris les esclaves qui s’enferment du matin au soir dans un atelier, derrière un établi ou un comptoir. Que d’autres, mécaniques vivantes, règlent l’emploi de leurs heures sur la marche des horloges, lui, le chiffonnier philosophe, travaille quand il veut, se repose quand il veut, sans souvenirs de la veille, sans soucis du lendemain. Si la bise le glace, il se réchauffe à l’aide de quelques verres de camphre ou d’une tasse de petit noir ; si la chaleur l’incommode, il ôte ses guenilles, s’allonge à l’ombre de sa hotte et s endort. A-t-il faim, il se hâte de gagner quelques sous, et fait un repas de Lucullus avec du pain et du fromage d’Italie. L’amour ne lui coûte rien, et si quelque noble chiffonnière, effiloeheuse ou marchande d’asticots, lui donne son cœur, ■ c’est à la belle étoile qu’il le reçoit, faisant participer la nature entière à son régal. Est— i il malade, que lui importe ? « L’hôpital, dit-il, n’est pas fait pour les chiens, » Diogène jeta son écuelle ; le chiffonnier n’a pas moins de dédain, pour les biens de ce monde. C’est un chiffonnier, ivre et titubant, qui, décoiffé par son propre roulis, adressait à son feutre bosselé gisant sur le sol cette apostrophe

pleine de logique :« Si je te ramasse, je tombe ; si je tombe, tu ne me ramasseras pas.

— Je te laisse. » Soumis h. toutes les privations, le chiffonnier est fier, parce qu’il se croit libre. Il traite avec hauteur le marchand de chiffons même, à qui il apporte la gerbe du jour et dont il reçoit de temps à autre de légères avances. « Si tu ne veux pas m’aoheter, j’m’en f… pas mal, j’irai ailleurs, » s’écrie-t-il ; et il fait mine de s éloigner. Les trous multipliés de sa défroque laissent apercevoir son orgueil ; il sait dire aux grands de la terre : « Retirez-vous de mon soleil. »

Les chiffonniers ont une histoire ; ils ont joué un certain rôle et ont, à un moment, été investis de fonctions…, tristes fonctions :en 1S26, M. Delavau leur enjoignit d’assommer dans les rues les chiens attelés aux petites charrettes chargées de pain, de légumes ou de fruits. MM. les chiffonniers s’acquittèrent de cette mission avec une férocité peu digne d’éloges. En 1832, lors de l’invasion du choléra, on les rencontra parmi ceux qui massacrèrent les malheureux que l’ignorance et la superstition accusaient d’avoir empoisonné les fontaines. À la même époque, ils brisèrent des tombereaux d’un nouveau modèle, destinés à enlever immédiatement toutes les ordures de la ville, qu’il ne leur était plus permis do fouiller qu’au lieu de dépôt. La victoire resta aux chiffonniers ; l’administration céda devant leurs violences et remit à d’autres temps les réformes qu’elle s’était proposé d’accomplir. Il y a quelques années, il a été question d’enrégimenter les chiffonniers, de les embrigader comme les balayeurs ou les cantonniers ; cette tentative est restée, comme les précédentes, sans résultat. En France, on n’a pas songé à faire monter les chiffonniers au rang de sergents de ville, comme la Hollande l’aurait fait pour ses clopennan, d’après l’affirmation, d’ailleurs inexacte, du Dictionnaire de la Conversation. Cette police serait assurément peu coûteuse, mais serait-elle bien efficace ? On peut en douter.

On ne peut s’attendre à rencontrer dans la classe des chiffonniers un niveau moral élevé : il est naturel que la fonction laisse son empreinte sur l’individu qui la remplit. Les chiffonniers se recrutent d’ordinaire dans les régions les plus infimes, dans les couches sociales placées immédiatement au-dessus des gens que le tribunal correctionnel appelle des gens sans aveu. On a dit et l’on répète que des comtes et des marquis, victimes peu résignées de la rouge et de la noire, du lansquenet et du baccarat, "sont venus se perdre dans ^ette fange ; le cas a pu arriver, mais il a dû être l’exception de l’exception. Les bohèmes et les déclassés n’ont revêtu que bien rarement le paletot d’osier. Ce n’est pas par la tempérance que se font remarquer les chiffonniers : le fil-en-quatre et le sacré-chien tout pur constituent leur breuvage de prédilection ; ce n’est pas non plus par la piété filiale, s’il faut ajouter foi à l’anecdote suivante : deux chiffonmères, la mère et la fille, cheminaient côte b. côte le long de la rue Mouffetard. La mère était exaspérée et accablait sa fille de remontrances. Elle termina par ces mots : « Malheureuse, tu ne veux pas m’écouter ; ne sais-tu pas que je t’ai portée neuf mois dans mon sein. — Monte dans ma hotte ; je te porterai un an, et tu me devras un terme, t répliqua la fille sans s’émouvoir.

La littérature, elle aussi, s’est occupée des chiffonniers. Un drame émouvant de M. Félix Pj’at, un vaudeville de MM. Frédéric de Courcy, Sauvage et Bayard, ont mis en scène leurs faits et gestes. En 1827, M. Viennet, dans une Épître, aux chiffonniers sur les crimes de la presse, — épître qui n’était en aucune manière adressée à cette classe d’individus, — protesta d’une façon aussi hardie que spirituelle contre la législation ridicule et odieuse qui régissait la presse à cette époque. Enfin le crayon des dessinateurs s’est plu à retracer leurs diverses et pittoresques physionomies. C.-J. Traviès s’est efforcé surtout de peindre leurs habitudes et leurs mœurs vagabondes dans une suite de petites scènes intimes. On connaît son Chiffonnier philosophe, étude d’après le fameux Liard, cet enfant des vieux quartiers démolis. Liard, dessiné par Traviès, était un type à part ; quelques écrivains l’ont admis dans les célébrités de la rue, et il méritait bien cet honneur. Il avait été quelque chose et avait eu des malheurs. Il parlait latin à l’occasion. Dédaignant la hotte, il portait un simple bissac sur l’épaule. Après avoir recueilli ses chiffons, il les lisait et les commentait. Ancien professeur ou ancien beau fils, il Sortait avec majesté la fierté et lagueuserie. laumier etGavamiont aussi pourtiaicturé les chiffonniers. Ceux deGavarni sont de profonds raisonneurs, proches parents de son Thomas Vireloque, et qui, comme ce coureur de grandes routes, ne parlent que par sentences.

Chiffonnier de Paris (le), drame en cinq actes et douze tableaux dont un prologue, de M. Félix Pyat, représenté pour la première fois à Paris, sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin, le il mai 1847.

Le prologue nous montre deux chiffonniers se rencontrant le long du quai d’Austerlitz, un soir que le temps est sombre^, le pavé boueux, et que, des lanternes vacillantes, il tombe de ces rouges lueurs qui miroitent sur les flaques d’eau et les font ressembler à des mares de sang. Ces deux hommes sont entrés dans la vie d’une façon bien différentes : l’un