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choses merveilleuses. Ces événements ne sont d’abord pas si petits qu’ils paraissent au premier coup d’œil. C’est pendant cette comte période que les fidèles sortent de Jérusalem pour aller s’établir à Antioche, dont ils font la seconde capitale du mouvement chrétien. C’est à Antioche que le christianisme divorce avec le judaïsme et reçoit un nom ; c’est là aussi que naît l’idée féconde pour lui des missions lointaines ; c’est encore de là que partent Paul, Barnabe, et Jean-Marc, pour accomplir le projet conçu. Le volume de M. Renan s’arrête au moment où commencent les prédications de saint Paul. L’auteur l’a intitulé : les Apôtres, parce uu’il retrace l’histoire des quelques années durant lesquelles la petite famille des disciples de Jésus-Christ agit de concert, est groupée autour d’un point unique, Jérusalem. Dans une introduction étendue, M. Renan, après avoir discuté les monuments sur lesquels il s’appuie, a senti le besoin de s’expliquer à propos de certaines animosités que lui a valu le tome 1er de ses Origines du christianisme. On vit heureusement dans un siècle où les moeurs sont douces. Au xvie siècle, Luther et Calvin ont fait Loyola et Philippe II. Aujourd’hui, l’apaisement des passions religieuses empêche les esprits de s’aigrir à ce point. On l’a excommunié un peu à Rome ; il n’en est pas surpris : ■ Consolons-nous, dit-il, en songeant à cette Église invisible qui renferme les saints excommuniés, les meilleures âmes de chaque siècle. Les bannis d’une Église en sont toujours l’élite ; ils devancent le temps ; l’hérétique d’aujourd’hui est l’orthodoxe de l’avenir. Qu’est-ce, d’ailleurs, que l’excommunication des hommes ? Le Père céleste n’excommunie que les esprits secs et les coeurs étroits. » Il réclame ajuste titre la liberté de penser, sans se croire cependant moins bon chrétien qu’un autre, au contraire. Il est loin d’estimer que l’absence de préjugés soit un progrès ; car, suivant lui, un homme sans préjugé d’aucune sorte serait tout à fait impuissant. Donc, dit-il, ■ jouissons de la liberté des fils de Dieu, mais prenons garde d’être complices de la diminution de vertu qui menacerait nos sociétés si le christianisme venait à s’affaiblir. Que serions-nous sans lui ?... Comment n’être pas effrayé de la sécheresse de cœur et de la petitesse qui envahissent le monde. Notre dissidence avec les personnes qui croient aux religions positives est après tout uniquement scientifique ; par le cœur, nous sommes avec elles ; nous n’avons qu’un ennemi, et c’est aussi le leur : je veux dire le matérialisme vulgaire, la bassesse de l’homme intéressé. » Il faut aue tout le monde apprenne à vivre Comme il 1 entend, et à laisser vivre son voisin de même. Les contrastes sont nécessaires, surtout dans la société, où ils se font contrepoids. L’art n’est pas mauvais en lui-même. Néanmoins « l’intérêt de l’art porté aux plus

frandes délicatesses, mais sans honnêteté, fit e l’Italie de la Renaissance un coupe-gorge, un mauvais lieu. L’ennui, la sottise, la médiocrité, sont la punition de certains pays protestants où, sous prétexte de bon sens et d’esprit chrétien, on a supprimé l’art et réduit la science à quelque chose de mesquin. Lucrèce et sainte Thérèse, Aristophane et Socrate, Voltaire et François d’Assise, Raphaël et Vincent de Paul, ont également raison d’être, et l’humanité serait moindre si un seul des éléments qui la composent lui manquait. » Le corps même de l’ouvrage se compose de dix-neuf chapitres, dont les titres feront apprécier l’importance : Formation des croyances relatives à la résurrection de Jésus-Christ ; les apparitions de Jérusalem. — Départ des disciples de Jérusalem ; seconde vie galiléenne de Jésus. — Retour à Jérusalem ; fin des apparitions.

— Descente de l’Esprit saint ; phénomènes extatiques et prophétiques. — Première Église de Jérusalem ; elle est toute cénobitique. — Conversion de Juifs hellénistes est de prosélytes. — L’Église considérée comme une association de pauvres ; institution du diaconat ; les diaconesses et les veuves. — Première persécution ; mort d’Étienne ; destruction de la première Église do Jérusalem.-Premières missions ; le diacre Philippe.-Conversion de saint Paul. — Paix et développement intérieur de l’Église de Judée.-Fondation de l’Église d’Antioche. — Idée d’un apostolat des gentils ; saint Barnabe. — Persécution d’Hérode-Agrippal".— Mouvements

parallèles au christianisme ou imités du christianisme ; Simon de Gitton. — Marche générale des missions chrétiennes. — État du monde vers le milieu du i« siècle. — Législation religieuse de ce temps.— Avenir des missions. Dans la Vie de Jésus, M. Renan avait déjà rendu compte de l’état général du monde au moment de la venue du Messie. Il en avait surtout parlé au point de vue intellectuel, c’est-à-dire des idées et des langues. Le jour où le christianisme sort de Judée pour entrer en lutte directe avec l’empire romain, l’auteur juge à propos de revenir sur l’état politique et moral de la société antique, car c est bien à la société politique et aux mœurs de cette société que les doctrines évangéliques vont s’attaquer. La société n’était pas belle. Il restait trois choses debout, Rome, César et les légions romaines. Ces trois choses dévoraient la terre et avilissaient le genre humain. » L’aristocratie romaine, qui avait conquis le monde et qui en somme resta seule aux affaires sous les césars, se livrait à la saturnale de crimes la plus effrénée dont le monde se souvienne. César et Auguste, en établissant le principat,

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avaient vu avec une parfaite justesse les besoins de leur temps. Le monde était si bas sous le rapport politique, qu’aucun autre gouvernement n’était plus possible. Depuis que Rome avait conquis des provinces sans nombre, l’ancienne constitution fondée sur le privilège des familles patriciennes, espèces de tories obstinés et malveillants, ne pouvait subsister ; mais Auguste avait manqué à tous les devoirs du vrai politique en laissant l’avenir au hasard. Sans hérédité régulière, sans règle fixe d’adoption, sans loi d’élection, sans limites constitutionnelles, îe césarisme était comme un poids colossal sur le pont d’un navire sans lest. Les plus terribles secousses étaient inévitables. Trois fois en un siècle, sous Caligula, sous Néron et sous Domitien, le plus grand pouvoir qui ait jamais existé tomba entre les mains d’hommes exécrables ou extravagants. De là des horreurs qui ont été à peine dépassées par les monstres des dynasties mongoles... Rome devint une école d immoralité et de cruauté. »

Ce n’est pas que les vieilles mœurs fussent entièrement détruites. Elles vivaient toujours dans les classes intermédiaires, qui, de tout temps, ont été les classes honnêtes delà société. On dit que si leurs vices sont rares et leurs vertus communes, cela tient surtout à leur médiocrité, au peu d’intensité de leurs passions. Soit. Mais, à Rome comme ailleurs, la corruption était le privilège de l’aristocratie et de la populace. M. Renan, cherchant un terme de comparaison entre la société romaine sous les premiers césars et une société moderne, ne rencontre que le xvme siècle. Il y avait des sages, dit-il : les portions ignobles de l’humanité prenaient par moments le dessus, comme dans les temps modernes, mais cela durait peu. Le fond de la population était Sain, lui. Les provinces se ressentaient assez peu des révolutions périodiques qui éclataient dans la capitale. Partout, la vie municipale et le travail maintenaient une honnêteté relative supérieure à ce qui avait existé avant l’établissement de l’empire. Enfin la liberté de penser et la liberté commerciale avaient inauguré un régime inouï jusque-là. M. Renan insiste sur le fait nouveau de la liberté de penser. Elle n’avait existé nulle part avant l’empire romain. « Athènes, dit l’auteur, avait bel et bien l’inquisition. L’inquisiteur, c’était l’archonte-roi ; le saint office, c’était le Portique royal, où ressortissaient les accusations à’impiété. Les accusations de cette sorte étaient fort nombreuses ; c’est le genre de causes qu’on trouve le plus fréquemment dans les orateurs attiques. Non-seulement les délits philosophiques, tels que nier Dieu ou la Providence, mais les atteintes les plus légères aux cultes municipaux, la prédication de religions étrangères, les intractions les plus puériles à ki scrupuleuse législation des mystères, étaient des crimes entraînant la mort. Les dieux, qu’Aristophane bafouait sur la scène, tuaient quelquefois. Ils tuèrent Socrate et faillirent tuer Alcibiade. t

L’immensité de l’empire et la variété des cultes professés dans son sein émancipèrent en réalité la pensée. Quand on poursuit un philosophe sous les empereurs, c’est qu’il s’est occupé de politique. Sous le gouvernement des pharisiens, le christianisme eût été étouffé dès sa naissance ; il l’aurait été également par les républiques grecques, si elles avaient encore existé. Un nouveau sentiment, celui de l’humanité, issu des écoles stoïciennes, commençait à poindre : on rêvait d’un état social inconnu, mais qu’on pressentait. Dans ce monde-là, il n’y aurait plus d’esclaves ; déjà Sénèque mangeait avec les siens.

Les récits antiques et surtout chrétiens nous trompent à cet égard. Les écrivains ordinaires ne parlent que d’une fraction du monde social, de celle des viveurs ; les autres décrivent une société qu’ils veulent détruire. Certes, les spectacles, qu’on invoque souvent, étaient souillés par l’orgie. « Il est remarquable, dit M. Renan, que même aujourd’hui, dans plusieurs villes d Asie Mineure, les restes des théâtres anciens servent d’asile à la prostitution, ce qui servirait à prouver qu’autrefois ils n’étaient pas estimés des honnêtes gens, et qu’il ne faut pas juger la civilisation classique sur cet échantillon de ses mœurs. •

En définitive, d’après M. Renan, et contrairement à l’opinion accréditée, le monde, sous l’empire romain, accomplit un progrès de moralité et subit une décadence scientifique. Cet avis est le bon, car s’il n’y eût pas eu un mouvement vers une moralité supérieure, le stoïcisme, le néoplatonisme et le christianisme ne se fussent pas emparé de l’opinion au point qu’ils ont fait.

Les missions chrétiennes avaient donc un terrain tout prêt à recevoir la semence qu’elles apportaient. Leur entreprise n’était pas une folie, et leur succès ne fut pas un miracle. Le monde était travaillé de besoins moraux auxquels la religion nouvelle répondait. Les mœurs s’adoucissaient ; les vieux cultes étaient méprisés, et des idées plus pures pointaient à l’horizon. On périssait d’ennui et de tristesse. L’avenir était à quiconque saurait toucher la source vive de la piété populaire. Le libéralisme grec et la vieille gravité romaine n’avaient plus d’empire. Aussi la prédication chrétienne prit comme un incendie. loi, M. Renan fait une remarque digne d’être citée : « L’homme du peuple, au i" siècle de notre ère, surtout dans les pays grecs et orientaux, ne ressemblait nullement

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à ce qu’il est aujourd’hui. L’éducation ne traçait pas alors entre les classes une barrière aussi forte que maintenant. Ces races’de la Méditerranée, si l’on excepte les populations du Latium, lesquelles avaient disparu ou avaient perdu toute importance depuis que l’empire romain, en conquérant le monde, était devenu la chose des peuples vaincus ; ces races, dis-je, étaient moins solides que les nôtres, mais plus légères, plus vives, plus spirituelles, plus idéalistes. Le pesant matérialisme de nos classes déshéritées, ce quelque chose de morne et d’éteint, effet de nos climats et legs fatal du moyen âge, qui donne à nos pauvres une physionomie si navrante, n’était pas le défaut des pauvres dont il s’agit ici (de ceux qui recrutèrent d’abord le christianisme). Bien que fort ignorants et fort crédules, ils ne l’étaient guère plus que les hommes riches et puissants. Il ne faut donc pas se représenter l’établissement du christianisme comme analogue à ce que serait chez nous un mouvement partant des classes populaires, et finissant (chose à nos yeux impossible) par obtenir l’assentiment des hommes instruits. »

Les fondateurs du christianisme étaient des gens du peuple, c’est-à-dire vêtus d’une manière commune, vivant frugalement, parlant mal leur langue, mais non inférieurs par l’intelligence à la plupart de leurs contemporains. Le goût des hautes études, surtout en Occident, n’était qu’un privilège très-rare, et les lettrés proprement dits n’avaient pas d’action sur les foules ; de sorte que les missionnaires chrétiens étaient dans de meilleures conditions qu’eux pour obtenir créance auprès du plus grand nombre.

Le tome II des Origines du christianisme est une sorte de préface à la vie de saint Paul, qui sera particulièrement l’objet du tome III, et la suite non interrompue de la Vie de Jésus, bien qu’il n’ait pas obtenu une si grande notoriété, le clergé, en l’attaquant en chaire, s’étant aperçu qu’il faisait fausse route.

Chi-islinnismo {DES PREMIÈRES TRANSFOR-MATIONS historiques du), par M. Athanase Coquerel fils. Cet ouvrage, publié en 1866, traite, en une suite de chapitres, de la loi de transformation considérée dans 1 histoire religieuse en général, des antécédents du christianisme, du christianisme de Jésus-Christ, de la loi de transformation appliquée au christianisme, du christianisme judaïque, du christianisme helléniste, du christianisme de saint Paul, du christianisme de saint Pierre, du christianisme johunnique ou grec, du christianisme romain, du christianisme des premiers Pères et des premiers hérétiques, du christianisme de Constantin. L’auteur commence par définir la religion. ■ La religion, dit-il, est le rapport, ou si l’on veut l’ensemble des rapports réels ou imaginaires de l’âme humaine avec la divinité qu’elle adore ; en d’autres termes, la religion est une relation de l’être fini qui s’appelle homme avec l’être infini qu’il s’appelle Dieuou Jéhovah, Jupiter, Allah ou Brahma. »De cette définition on peut tout d’abord inférer, selon M. Coquerel, qu’une religion ne peut être immuable et absolue ; car, dit-il, « un rapport entre l’infini et lefini, entre l’absolu et le contingent, ne peut être lui-même infini et absolu, puisque alors il ne serait pas accessible à l’être fini. Dieu est absolu sans doute ; mais la notion que nous avons de Dieu est nécessairement imparfaite, parce que nous ne sommes pas absolus. Toute pensée venue de Dieu ne peut être ni conçue par une intelligence humaine, ni traduite en langue humaine, qu’en perdant le caractère de vérité absolue et en devenant vérité relative. « Cette déduction est d’ailleurs confirmée par l’expérience. C’est un fait constant, c’est une loi de l’histoire, que toute religion se transforme toujours et d’elle-même pour répondre aux besoins spirituels de ceux qui la professent. Tant qu’une religion vit, c’est-à-dire tant qu’elle est la croyance des âmes, leur manière de sentir et d’être, elle se transforme, malgré tout ce qu’on peut faire pour la maintenir immuable. Les modifications successives qui s’opèrent dans les religions sont nécessairement conformes ou contraires à ce qu’elles ont de fondé. Une religion peut changer en se développant conformément à son principe et k la réalité des choses ; elle est alors en plein progrès. Elle peut aussi varier en s’écartant de son principe essentiel et de ce qu’elle avait de vrai ; alors elle déchoit et se nuit à elle-même.

Comme toutes les religions, le christianisme s’est transformé. M. Coquerel suit ces transformations. Et d’abord il s’efforce de dégager des développements plus ou moins légitimes qu’il a reçus après coup l’enseignement personnel de Jésus. Quel est cet enseignement ? 11 consiste, selon notre auteur, dans l’idée du règne et de la royauté de Dieu se manifestant au fond des âmes, sans éclat ni appareil extérieur. Ce royaume des deux, cette royauté divine est celle d’un père ; elle exclut tout particularisme, tout monopole religieux. Elle se manifeste par une double action : le pardon et le renouvellement de vie. Et cette double action suppose deux faits dont la certitude n’a pas besoin d’être prouvée, le péché et l’immortalité. Deux rites populaires d’une extrême simplicité sont tout ce qu’institua Jésus. Le premier, signe d’initiation, symbole d’entrée dans le royaume de Dieu, est une ablution. Le second est un repas commun, un

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mémorial du dernier repas que Jésus prit avec ses disciples avant de mourir. Il n a laissé aucun écrit, aucun credo, aucun code, aucune règle de vie, aucune organisation de l’Église, aucun plan de constitution pour l’État, aucune investiture cléricale. « Les divers clergés qui prétendent avoir hérité des pouvoirs des apôtres ont, dit M. Coquerel, oublié trois faits bien simples : le premier que l’apostolat ne fut point un sacerdoce ; le second, que ce titre porté d’abord par les douze, puis par Mathias, par Paul, par Barnabas, n’avait pas, même dans l’Église primitive, le caractère exclusif qu’on veut lui attribuer ; le troisième, que la transmission ininterrompue des prétendus droits apostoliques est de ces choses qu’il faudrait, non pas supposer, mais démontrer. »

M. Coquerel nous montre la première transformation de l’enseignement de Jésus dans

le christianisme judaïsant. Deux des livres du Nouveau Testament sont les monuments très-curieux de ce christianisme. Le premier est l’Apocalypse, le second l’épître de saint Jacques. Le christianisme judaïsant abaissait

I Église naissante en la rapprochant trop de la Synagogue ; le christianisme helléniste représenté par saint Étienne, le premier martyr, et par saint Paul, le plus grand des apôtres, dégagea l’universalisme chrétien des entraves du judaïsme. Toute la théologie do Paul repose non-seulement sur l’antagonisme du christianisme, qu’il appelle la foi, avec le raosuïsme, qu’il appelle la loi, mais sur l’opposition plus radicale du principe juif et du principe chrétien, de la légalité extérieure et formaliste avec la vie intérieure de l’esprit. Après le christianisme judaïsant de Jacques, le christianisme libéral et humanitaire de Paul, apparaît et triomphe le christianisme juste-milieu de Pierre. Le type de ce christianisme intermédiaire, de ce véritable compromis, est l’épître de saint Pierre. Ce fut à cet apôtre que se rattacha plus tard l’Église de Rome, précisément parce que son point de vue moins prononcé, ses tentatives de rapprochement convenaient au tempérament romain. Le christianisme johannique termine la série des formes du christianisme que le Nouveau Testament lui-même nous a conservées. C’est un christianisme bien plus développé et bien moins pur que celui de Jésus, plus idéal et plus dégagé du passé que celui des judaïsants, plus abstrait que celui d’Étienne, et plus mystique que celui de Paul. M. Coquerel y voit l’alliance delà philosophie du temps avec la religion de Jésus. Paul est le théologien de la rédemption, Jean le théologien de rincarnation. Jean est le point de contact du

christianisme avec le gnosticisme naissant.

II reste l’évangéliste préféré des âmes plutôt rêveuses et aimantes que positives et raisonneuses. Le christianisme théosophique do saint Jean, avec sa doctrine de la parole faite chair, et avec son langage mystique emprunté aux platoniciens d’Alexandrie, demeura la forme orientale de la religion de Jésus et aboutit à l’Église grecque. Rome adopta le christianismejudaïque, la hiérarchie sacerdotale d’Israël, ses mille prescriptions de détail, sa.notion du sacrifice mêlant à la tradition juive la tradition païenne ; elle n’accepta que dans une très-faible mesure la doctrine et l’influence de saint Paul, auquel elle préféra saint Pierre, et son christianisme est beaucoup plus judaïsant que paulinien. Ainsi se forma le catholicisme, qui s’attribue assez légèrement le titre d’apostolique, mais en y ajoutant une autre désignation qui n’a rien de contestable, celle de romain. Aux deux christianismes, johannique ou grec, pétrinien ou romain, correspondent les deux tendances différentes que nous voyons se dessiner chez les premiers Pères et les premiers hérétiques. L’une, occidentale, extérieure, positive, s’exprimant habituellement en latin, s’appuya presque toujours sur Rome, quoique parlois en lui résistant encore, et arriva à des exigences outrées, à des rigueurs ascétiques chez les montanistes et Tertullien. L’autre, orientale, parlant grec, fut plus spéculative et plus libre, accueillit avec plus de largeur le bien et le vrai, même chez les païens, mais alla se perdre avec les gnostiques et les origénistes dans le vague infini de la rêverie asiatique.

Nous arrivons au christianisme de Constantin. C’est par là que se termine l’ouvrage de M. Coquerel. Jusqu’à Constantin avaient régné largement dans 1 Église la variété des types, la liberté des théories, la spontanéité et la confusion. Sous Constantin prévaut l’idée d’orthodoxie, d’uniformité dogmatique de pouvoir spirituel. « Constantin se fait chrétien surtout par politique, mais non sans une sorte de bonne foi obscure et grossière ; l’empire l’imite, l’Église et l’État païen s’absorbent l’un dans 1 autre ; l’empereur reste souverain pontife et devient le premier pape ; c’est lui seul qui réunit, préside et clôt les conciles. Arius essaye eu vain, et d’une manière incohérente, de résister à la fausse piété qui égale Jésus malgré lui à son Père ; il s’efforce de maintenir illogiquement, tout en adorant le Fils, la subordination au Père hautement proclamée par saint Paul. Il lutte sans succès contre le mouvement du siècle et contre Athanase qui soutient avec une obstination héroïque l’erreur contraire. Le dogme trinitaire se constitue : Jésus se perd en Dieu. Déjà le besoin d’un médiateur entre l’âme humaine et l’infini ne trouve plus de satisfaction