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tué un chevreuil dans le parc de Seymour, et Marguerite seule pourrait obtenir sa grâce. Il ne sait à quoi se résoudre, quand la nièce de Seymour arrive sous des habits d’homme. Elle s’adresse à George pour demander le chemin du château. Afin de calmer ses inquiétudes, elle s’ofTre a prendre les vêtements de Marguerite et à se rendre à sa place chez Seymour. George trouve plaisant de jouer ce tour à l’infidèle suzerain. De là une série de uiproquos occasionnés par le travestissement e la nièce, dont Clarendou devient sérieuse^. ment amoureux sans la connaître. Tout s’ex Ïilique enfin ; le projet de Seymour réussit, et e fermier n a pas d’affront à craindre. Cette pièce fournissait à l’inimitable comédien Odry un de ses plus beaux triomphes. C’est lui qui remplissait le rôle de George, et, aujourdliui encore, on se rappelle avec quel art infini et quel esprit il s’acquittait de ce rôle du niais des niais.

CHEVREUIL (Jacques), et non DUCIIE VREUII., comme l’écrivent quelques biograf’hes, en latin Caprcoiim, et non À Capreolo, itlérateur français, né à Coutances vers 1505, mort à Paris en 1G49. Il se rendit célèbre comme professeur à l’Université de Paris, dont il était syndic. Les ouvrages laissés par Chevreuil, tous écrits en latin, sont les suivants : trois harangues contre les jésuites, sous les titres : Jesuitica prima, Jesuitica secundo, Je.suitica tertia ; De sphœra (Paris, 1623-1G29 et 1640, in-8») ; Tractatus de syllogismo (1645, petit in-12) ; Disceptatio de anima hominis, le plus important de ses ouvrages (Paris, 1647, in-8o) : Disserlatio de libero arbitrio (Paris, 1649, in-8o) ; De démonstrations magnitudinis in punito (in-4°). Il a publié, avec Pierre Radet, son compatriote et son ami, les Déclinaisons grecques arrangées avec le latin pour la commodité des enfants (Paris, 1649, in-S°).


CHEVREUL (Michel), médecin français, né à Angers en 1754, mort en 1845. Il fut reçu docteur à Reims en 1777, et maître en chirurgie à Angers en 1778, et se livra surtout à la pratique des accouchements. Ce fut sous son inspiration que la généralité de Tours institua, en 1779, des maisons et des écoles d’accouchement, dont le jeune praticien fut successivement nommé professeur et inspecteur. Il décida beaucoup de villageoises à y entrer comme élèves, et forma ainsi les premières sages-femmes régulières dans l’Anjou et la Touraine. À cette occasion, il écrivit même un petit précis d’accouchements qui est assez bien ordonné. Sa réputation augmenta bientôt, et le comte de Provence, depuis Louis XVIII, lui fit délivrer, en 1784, le brevet de chirurgien ordinaire de Monsieur. À cette époque, il envoya à l’Académie de chirurgie plusieurs observations et mémoires sur des cas anormaux des organes de la génération chez des femmes, et sur la section de la symphyse, question alors à l’ordre du jour. Nommé médecin de l’hôpital d’Angers, professeur à l’École d’accouchement de la même ville, il fut, en 1786, choisi par la Société royale de Paris pour membre correspondant. En 1825, l’Académie de médecine se l’attacha. L’année suivante, il fit remettre au rapporteur Baudelocque un remarquable mémoire sur l’emploi de l’ergot de seigle en thérapeutique. On y trouve des observations et des expériences que les nouveaux travaux n’ont pas encore démenties. Chevreul mourut à l’âge de quatre-vingt-onze ans ; il avait été professeur à Angers pendant soixante ans.


CHEVREUL (Michel-Eugène), chimiste, membre de l’Institut, né à Angers le 31 août 1786, fils du précédent. Après avoir achevé son cours d’études à l’École centrale d’Angers, il vint à Paris à l’âge de dix-sept ans et eut le bonheur d’être admis aussitôt par Vauquelin dans sa fabrique de produits chimiques, dont il dirigea bientôt après le laboratoire. Vauquelin l’avait choisi en 1810 comme préparateur de son cours de chimie appliquée du Muséum d’histoire naturelle. L’estime que lui témoignait son illustre maître lui valut, en 1813, le titre d’officier de l’Université et la chaire de chimie au lycée Charlemagne. Il fut nommé, en 1824, professeur de chimie à la manufacture des Gobelins et directeur des teintureries dépendant de cet établissement. En 1826, il fut admis à l’Académie des sciences en remplacement de Proust, et succéda, en 1830, à son maître Vauquelin dans sa chaire au Muséum. Il a été nommé depuis membre de la Société royale de Londres et président de la Société d'agriculture. Chargé à plusieurs reprises par ses collègues de l’administration du Jardin des Plantes, il eut à défendre les anciennes prérogatives du corps indépendant qu’il représentait contre les tentatives de l’administration. Il a été nommé directeur du Muséum en 1864.

La science doit à M. Chevreul une infinité de découvertes de détail qu’il nous serait impossible d’énumérer. Nous nous bornerons à une analyse rapide de ses grands travaux sur les corps gras, les matières colorantes et l’art d’harmoniser les couleurs. Les Recherches chimiques sur les corps gras d’origine animale, qui ont fondé la gloire de M. Chevreul, ont paru en 1823. L’auteur y développait ses idées neuves sur l’assimilation des corps gras aux éthers. Il donnait la première théorie exacte de la saponification, indifféremment produite par les acides ou par les bases, en démontrant que les uns comme les autres tendent à activer la décomposition des substances grasses en acides et en glycérine, par l’absorption d’un certain nombre d’équivalents d’eau. Cette décomposition s’opère d’elle-même lentement à l’air libre ; c’est elle qui produit le rancissement des graisses ; l’eau absorbée dans cette transformation concourt à la formation de l’acide gras qui en résulte, et la glycérine reste isolée. Lorsqu’on soumet une substance grasse à l’action d’un acide énergique, la décomposition se produit instantanément, parce que l’acide intervenant sépare la glycérine pour s’unir avec elle ; si c’est, au contraire, une base énergique que l’on fait agir, elle détermine la formation de l’acide gras, se combine avec lui, et la glycérine se trouve isolée. La glycérine avait été découverte en 1779 par Scheele, mais elle n’avait été considérée jusqu’à M. Chevreul que comme accidentellement existante dans certaines huiles. C’est à l’illustre chimiste français qu’on doit de savoir qu’elle se sépare toujours dans la saponification de toute matière graisseuse, et c’est d’après lui qu’on a pu considérer ces matières comme de véritables sels formés de glycérine, base fixe, et d’un acide variable. Cette belle théorie a, comme on sait, conduit plus tard M. Chevreul à la découverte des bougies stéariques. La génération présente, habituée à y voir clair, ne peut pas savoir ce qu’elle doit à M. Chevreul. Il faut avoir vu sur la table de la veillée la pauvre chandelle pâle et malpropre, les mouchettes toujours pleines et sans cesse en fonctions, pour apprécier convenablement le service rendu par l’illustre académicien. Cette belle découverte a valu à l’auteur, en 1852, le grand prix de 12,000 fr. fondé par le marquis d’Argenteuil. La Société d’encouragement pour l’industrie nationale en lui décernant ce prix proclamait justement qu’elle ne faisait que consacrer l’opinion de l’Europe sur des travaux propres à servir de modèle à tous les chimistes. Ajoutons, à l’honneur de M. Chevreul, que jamais l’idée ne lui vint de songer à faire tourner ses découvertes à son profit personnel, qu’il a généreusement enrichi la société et n’a voulu être que savant.

Les recherches dont M. Chevreul eut à s’occuper comme directeur des Gobelins ont donné lieu à la publication de ses Leçons de chimie appliquée à la teinture (1828-1831) ; d’un mémoire sur la Loi du contraste simultané des couleurs et sur l’assortiment des objets coloriés, considéré d’après cette loi dans ses rapports avec la peinture (1829) ; enfin, d’un autre mémoire sur les Couleurs et leurs applications aux arts industriels, à l’aide des cercles chromatiques (1864). Ces ouvrages ont popularisé dans nos manufactures et nos ateliers des idées neuves et justes dont l’application a eu les meilleurs résultats.

Outre un grand nombre de mémoires insérés dans les recueils scientifiques et de communications faites à l’Académie et recueillies par le Compte rendu des séances, on doit encore à M. Chevreul d’importantes études sur l’Histoire de la chimie, publiées par le Journal des savants ; les Considérations générales sur la chimie organique et ses applications (1824) ; les articles de chimie du Dictionnaire des sciences naturelles, etc., etc.

M. Chevreul est commandeur de la Légion d’honneur depuis le 24 septembre 1844 ; il a été membre des jurys internationaux pour les expositions universelles de Londres et de Paris.


CHEVREULIE s. f. (che-vreu-lî — de Chevreul, savant français). Bot. Genre de plantes, de la famille des composées, tribu des mutisiées, comprenant sept espèces, qui croissent dans l’Amérique australe : Les chevreulies sont de petites herbes vivaces. (J. Decaisne.)


CHEVREUSE s. f. (che-vreu-ze). Hortic. Variété de pêche très-estimée.


CHEVREUSE, bourg de France (Seine-et-Oise), ch.-l. de cant., arrond. et à 19 kilom. N.-E. de Rambouillet, sur l’Yvette, dans la belle vallée qui porte son nom ; pop. aggl. 1,681 hab. — pop. tot. 1,989 hab. Tanneries, mégisseries, tuileries, briqueteries, lavages de laines.

Le nom primitif de Chevreuse était Caprosia, et les plus anciens titres qui en fassent mention sont de 975 ; c’était alors une abbaye qui portait le nom de Saint-Saturnin. Chevreuse et son château, qui datent du roi Robert, eurent fort à souffrir des guerres civiles, sous le règne de Charles VI. Charles VII, rentré en possession de son royaume, acheta ce château et la baronnie qui en dépendait. La baronnie de Chevreuse fut érigée en duché en 1545, en faveur de Jean de Brosse, duc d’Étampes, et d’Anne de Pisseleu, sa femme. Cette érection fut confirmée en 1555, en faveur de Charles de Lorraine, cardinal et archevêque de Reims. Le duché resta dans la maison de Lorraine jusqu’à Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, mort sans enfants en 1664. Sa veuve, Marie de Rohan, qui eut le duché de Chevreuse pour ses reprises, donna le domaine à Louis-Charles d’Albert, duc de Luynes, fils né de son premier mariage, lequel le transmit à son fils aîné, Charles-Honoré, marquis d’Albert, qui obtint des lettres de confirmation pour le titre de duché en 1667. Cette branche de la famille d’Albert conserva le titre de duc de Chevreuse, quoiqu’elle eût échangé le duché contre le comté de Montfort-1’Amaury. La baronnie de Chevreuse fut donnée par Louis XIV à la communauté des dames de Saint-Louis, établie près de Saint-Cyr. Elle a été achetée, il y a peu d’années, par le duc de Luynes, désireux d’assurer à ses descendants la conservation de cette ancienne propriété de sa famille.


CHEVREUSE (Charles-Honoré d’ALBERT, duc DE), de la maison de Luynes, mort en 1712. Il embrassa la carrière des armes, fut nommé gouverneur de la Guyenne, et se consacra ensuite entièrement à l’étude. Le dauphin, le duc de Bourgogne, les ministres de Louis XIV le consultaient souvent ; mais, par modestie, il refusa toujours de prendre une part active aux affaires publiques. C’était un des esprits les plus distingués et un des caractères les plus honorables de son temps. Il était ami de Fénelon. En 1667, il avait épousé la fille aînée de Colbert. — Son arrière-petit-fils, Marie-Charles-Louis d’Albert, duc de Chevreuse, joua un rôle brillant dans toutes les guerres du règne de Louis XV. Le duc de Luynes actuel est son petit-fils.


CHEVREUSE {Marie de Rohan-Montbazon, duchesse de), née en décembre 1600, morte en 1679. Elle était fille d'Hercule de Rohan, duc de Montbazon, pair et grand veneur, gouverneur de Paris et de l'Île-de-France sous Henri IV, dont il fut serviteur dévoué, et de Madeleine de Lénoncourt, sœur d’Urbain de Laval, maréchal de Bois-Dauphin. En 1617, Marie de Rohan épousa Charles-Albert, duc de Luynes, cet heureux favori de Louis XIII, cet audacieux courtisan qui fit crouler la fortune du maréchal d'Ancre, s’attaqua aux protestants, aux princes, à Marie de Médicis, à Richelieu lui-même, auquel il montra la voie que devait suivre avec tant de grandeur le cardinal ministre. Mme  de Motteville dit : « La duchesse de Luynes fut très-bien avec son mari. » Ce premier quartier de la vie de Marie de Rohan est, en effet, tout entier consacré à l’amour paisible et pur du foyer domestique. Il dura peu. En 1621, la jeune femme devint veuve. De son mariage étaient nés une fille, morte en religion, et un fils attaché à Port-Royal, qui traduisit en français, sous le nom de Laval, les Méditations de Descartes, et qui a continué l'illustre lignée du favori de Louis XIII.

En 1622, la duchesse de Luynes donne sa main à l’un des fils de Henri de Guise, Claude de Lorraine, le rival de Henri IV près de la marquise de Verneuil, et devient duchesse de Chevreuse. Depuis cette époque jusqu'au milieu du XVIIe siècle, et à chaque page de l'histoire (nous pourrions presque dire de l'histoire de l'Europe), on rencontre Marie de Rohan à côté de Mme  d'Hautefort, de Mme  de Montbazon, sa jeune belle-mère, de Mme  de Longueville, de Richelieu, de Mazarin, de Colbert : nous la trouvons mêlée à tous les événements politiques.

La beauté de Mme  de Chevreuse fut la cause principale de son importance politique ; il nous faut donc parler de cette beauté avant toutes choses. Plusieurs portraits nous restent d'elle : l'un, de grandeur naturelle, que possède M. le duc de Luynes et que Balechou a gravé pour l'Europe artiste, lui donne, dit Victor Cousin, « une taille ravissante, le plus charmant visage, de grands yeux bleus, de fins et abondants cheveux d'un blond châtain, le plus beau sein, et, dans toute sa personne, un piquant mélange de délicatesse et de vivacité, de grâce et de passion. » C'est bien là le caractère de Mme  de Chevreuse. Un autre portrait, dû à Ferdinand Elle, et qui fait aussi partie de la même collection, montre notre héroïne déjà avancée en âge, mais pleine de grâce encore et de distinction toujours. Dans la collection in-4o de Daret, que le graveur reconnaissant avait dédiée à Mme  de Chevreuse elle-même, dans la collection in-folio de Leblond, partout on retrouve la ravissante Marie de Rohan.

Revenons à la date de 1622. Mme  de Motteville avait dit que la duchesse de Luynes était très-bien avec son mari ; elle ne le dira point de la duchesse de Chevreuse. C'est que la première s'était unie à un homme dont elle pouvait être fière,jeune, aventureux et beau gentilhomme, et la seconde à un homme n’ayant de beau qu’un nom qui ne pouvait cacher les turpitudes de la vie de celui qui le portait.

Marie de Rohan avait été nommée surintendante de la maison de la reine ; bientôt elle devint sa favorite, son amie. On se figure aisément ces deux jeunes femmes, on les voit accoudées sur un balcon du Louvre, regardant devant elles de leurs grands yeux humides couler la Seine ; elles se font de mutuelles confidences, et que de choses elles ont à se dire ! et comme le chagrin qui emplit le cœur de l’une doit avoir de l'écho dans le cœur de l’autre ! Toutes deux sont jeunes, elles ont à peine vingt-deux ans ; toutes deux sont belles, et pourtant toutes deux sont délaissées de leur mari ; et pourtant elles sentent le besoin de plaire, le besoin de se faire aimer, d'aimer aussi... Qui se présentera ? À la seconde, ce sera lord Rich ; à la première, Buckingham ; ce dernier à toutes deux, a-t-on prétendu. Mais c'est de Retz qui a dit cela, et la preuve qu’il n’a pas dit la vérité, c'est le silence de La Rochefoucauld, surtout celui de Tallemant des Réaux.

Lord Rich, connu et célèbre sous le titre de comte de Holland, vint à Paris, vers la fin de 1’année 1624, demander pour le prince de Galles, bientôt Charles Ier, la main de la sœur de Louis XIII. Or le comte de Holland était jeune et beau autant que le duc de Luynes ; comme lui, il s'éprit de Marie de Rohan, et, comme lui, il en fut aimé.

La duchesse de Chevreuse a donc mis le pied dans la carrière amoureuse à la fois, et dans la carrière politique ; car, entre deux baisers, son amant lui a parlé de l'Angleterre et l’a mise dans ses intérêts. Nous la verrons aller toujours de l’avant dans l’une et dans l'autre, hardie comme ces deux femmes qui, au siège de La Rochelle, refusèrent de capituler quand elles mouraient de faim, et qui toutes deux s'appelaient aussi du nom de Rohan.

Sur le carnet amoureux de notre héroïne, nous rencontrons, après le comte de Holland, le comte de Chalais. Nous ne rappellerons pas la conspiration à laquelle ce nom a été attaché, « conspiration la plus effroyable dont jamais les histoires aient fait mention, » dit Richelieu dans ses Mémoires (t. III, p. 64). Mais quelle part y prit la duchesse de Chevreuse ? Y fit-elle plus de mal que personne, ainsi que l’assure le cardinal (t. III, p. 105) ? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle dut y mettre toute son ardeur, toute son énergie, toute son âme, parce que Chalais en était le chef, que le chef était son amant, et que, dit de Retz, cette fois avec vérité, « jamais personne n’a fait moins d’attention sur les périls ; elle ne connoissoit de devoir que celui de plaire à son amant. »

Chalais, on le sait, perdit la tête, la première que le cardinal faucha ; Anne d’Autriche courba un peu la sienne, Monsieur obéit, et la duchesse de Chevreuse partit pour l'exil, malgré les supplications de son mari. Mais, en partant, elle avait dit : « On ne me connaît point ; on pense que je n’ai d'esprit qu’à des coquetteries, mais je ferai bien voir avec le temps que je suis bonne à autre chose ; qu’il n’y a rien que je ne fasse pour me venger, et que je m'abandonnerai plutôt à un soldat des gardes que de ne point tirer raison de mes ennemis. » Elle tiendra parole. À peine arrivée en Lorraine, elle tourne la tête à l'aventureux Charles IV, qui, lié déjà avec l’Autriche, par elle se lie avec l’Angleterre, avec la Savoie, et forme ainsi une ligue européenne contre la France. Mais lord Montaigu, un des conjurés, est arrêté, et ses papiers dévoilent la conjuration. Lord Buckingham échoue honteusement à l’île de Ré, et l'Angleterre vaincue demande la paix, se soumet, en faisant mention, dans son traité, de la belle exilée, de Mme  de Chevreuse, qui, elle, ne se soumet point. « C’étoit, dit Richelieu en ses Mémoires, une princesse amie de l’Angleterre, à laquelle le roi portoit une particulière affection, et il la voudroit assurément comprendre en la paix, s’il n’avoit honte de faire mention d’une femme ; mais il se sentiroit très-obligé si Sa Majesté ne lui faisoit point de déplaisir. »

Mme  de Chevreuse revint en France, en son château de Dampierre d’abord, puis à la cour de Louis XIII, où elle apparut plus belle que jamais, plus que jamais séduisante. Elle était maintenant une puissance politique, puis elle avait sur sa tête blonde l’auréole du martyre, de l’amour et de l'amitié. Richelieu, dit-on, fut·lui-même subjugué, et fit effort pour s’attacher une si redoutable et si gracieuse alliée ; mais il déploya en vain sa grâce de mauvais aloi ; la maîtresse du comte de Chalais détourne la tête devant le bourreau de son amant ; bien mieux, et par un luxe tout féminin de méchanceté, elle agréa les hommages de l'un des aides de ce bourreau, du marquis de Châteauneuf.

C'était un triste homme que ce marquis de Châteauneuf, qui, en 1630, succédant à Michel de Marillac, avait été nommé garde des sceaux, puis chancelier des ordres du roi, puis gouverneur de la Touraine, et qui n’était ainsi comblé de faveurs que parce qu'il était le serviteur, l’homme lige, l’esclave du cardinal. Un jour, il avait présidé à Toulouse la commission qui jugea Montmorency ; ses mains étaient tachées de sang. Donc, Mme  de Chevreuse toucha cet homme de sa baguette, et en un instant le fit tourner contre son maître et du côté des ennemis du cardinal. Mais la police incomparable de l'éminence éventa cette fois encore la trahison, et l’on saisit chez le garde des sceaux cinquante-deux lettres. Dans cette correspondance, où les noms propres sont désignés par des chiffres, Mme  de Chevreuse figure sous le numéro 28. On y trouva des lettres du chevalier de Jars, du comte de Holland, de Montaigu, de Puylaurens, du comte de Brion, du duc de Vendôme, de la reine d’Angleterre elle-même. Cette correspondance passa à la mort de Richelieu au maréchal de ce nom, et celui-ci la communiqua au P. Griffet, pour son Histoire du règne de Louis XIII.

Mme  de Chevreuse fut encore obligée de renoncer aux fêtes qu’elle aimait tant, au bruit, à l'éclat, et de se retirer à Dampierre. Mais Dampierre est peu éloigné de Paris, et, quand la nuit était venue, la favorite d’Anne d’Autriche sortait déguisée de son château, et un serviteur dévoué l'introduisait au Louvre ou au Val-de-Grâce, près de la reine ; la causerie se prolongeait jusqu'au milieu de la nuit ; puis les deux amies se séparaient, se promettant bien de se revoir le lendemain ; elles comptaient sans le cardinal, qui faisait surveiller sans trêve Mme  de Chevreuse, et