Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 6, part. 1, D-Deli.djvu/346

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gine de la tapisserie de Bayeux (Caen, 1824, în-8° et in-4o) ; l’autre Sur un tableau qu’on dit représenter la bataille de Formigny.


DÉLAVAGE s. m. (dé-la-va-je — rad. délaver). Action de délaver, résultat de cette action:Le délavage d’un dessin.


DELAVAL (Pierre-Louis), peintre d’histoire, né à Paris en 1790, mort dans la même ville vers 1868. Élève de Girodet, il essaya de continuer la tradition de ce maître ; mais n’ayant ni la puissance de l’auteur d’Endymion, ni sa science de la forme, ni son goût d’arrangement, il ne pouvait que s’user dans une imitation stérile. S’il eût possédé des instincts plus vigoureux, une personnalité, en un mot, elle se fut aisément développée ; car il était né dans un milieu très-favorable à l’essor de son talent. Son père, magistrat sous Louis XVI, avait de grandes relations qu’il sut conserver malgré les orages de 1793 et après le 18 brumaire. C’est grâce à son influence personnelle et à celle de Girodet, son ami, que le jeune Delavai fut exonéré du service militaire. On avait mis en avant, pour justifier cette faveur si précieuse alors, ses rares dispositions pour la peinture. Ses premières productions ne répondirent point à l’assertion de ses protecteurs, et les deux ou trois grandes toiles qu’il exposa de 1812 à 1817 passèrent complètement inaperçues. Au Salon de cette dernière année cependant, on pouvait constater un progrès réel. Sa Sainte Clotilde exhortant Clovis à embrasser la religion chrétienne n’est plus une statue habillée, elle a du sang dans les veines ; elle vit bien timidement encore, mais enfin elle existe. Cette toile est encore à l’église Saint-Louis de Versailles. Minerve protégeant les arts, de la galerie du Grand-Trianon, est une allégorie un peu fade, dont l’exécution accuse une grande habileté. Cette composition fut exposée en 1819. Nous lui préférons de beaucoup Psyché abandonnée par l’Amour, du musée de Grenoble. Une Vierge (1827), Sainte Cécile (cathédrale de Meaux) et un Saint Louis portant l’oriflamme sont à peu près les seules productions que l’on puisse citer encore, et elles suffisent amplement pour prouver que Delavai n’était qu’un peintre ordinaire. Il reçut toutefois une deuxième médaille en 1817.


DELAVAU (Guy), magistrat et homme politique français, né dans le département de Maine-et-Loire en 1788. Il acheva ses études de droit en 1810, puis devint successivement juge auditeur (1815) et conseiller à la cour royale (1816). En 1821, M. Delavau, qui s’était signalé par ses opinions ultra-catholiques et royalistes, succéda au comte d’Anglès comme préfet de police. Il marqua son passage à ce poste par des mesures vexatoires prises à l’égard des libéraux et qui suscitèrent les plus vives réclamations. En quittant la préfecture de police, il devint membre du conseil d’État ; mais après la révolution de Juillet il fut éliminé de ce corps, et il a vécu depuis dans la plus profonde obscurité.


DELAVAU (François-Charles), homme politique français, né à La Châtre (Indre) en 1799. Il embrassa la carrière médicale, se rangea dans le parti des libéraux vers la fin de la Restauration, devint membre du conseil général de son département en 1833, et fut élu, en 1846, membre de la Chambre des députés. Il y votait avec l’opposition lorsque éclata la révolution de 1848, ce qui lui valut d’être nommé par le gouvernement provisoire commissaire général dans l’Indre. Élu représentant du peuple à la Constituante, il se rangea d’abord parmi les républicains modérés; mais, après l’élection du 10 décembre, il appuya la politique de Louis-Napoléon et suivit la même ligne de conduite à l’Assemblée législative. Après le coup d’État du 2 décembre, M. Delavau fit partie de la commission consultative, devint maire de La Châtre, et entra, en 1852, avec l’appui du gouvernement, au Corps législatif, où il a été réélu en 1857 et en 1863. M. Delavau a été réélu, en 1869, député au Corps législatif par 21, 000 voix contre 6, 000 données à son concurrent, M. Cachet. Cet ancien commissaire de la république de 1848 s’est constamment associé à toutes les mesures proposées par le gouvernement. Il a voté la loi de sûreté générale, l’expédition du Mexique, la seconde expédition de Rome, la nouvelle loi sur l’armée, etc.


DÉLAVÉ, ÉE (dé-la-vé) part, passé du v. Délaver. Lavé, affaibli par l’eau, en parlant des couleurs : Dessin délavé. Couleur délavée.

— Par anal. Pâle, pâli : Son teint livide et délavé avait contracté la pâleur des prisons. (Lamart.)

— Par ext. Où l’on a mis trop d’eau, en parlant des boissons et des mets : La mystification des potages réchauffés ou multipliés, des entrées recuites et délavées, n’a pas encore pénétré dans la cuisine italienne. (Mme  L. Colet.)

— Agric. Foin délavé, Foin qui a été exposé à la pluie ou à d’abondantes rosées pendant la récolte.

— Techn. Pierre délavée, Pierre dont la couleur est faible, pâle.


DÉLAVER v. a. ou tr. (dé-la-vé — du privat. , et de laver.) Dessin. Enlever ou affaiblir avec de l’eau une couleur étendue sur du papier : Délaver un dessin. Délaver une couleur.

— Mouiller, détremper : Cette falaise, fort sablonneuse, perd un peu à chaque hiver ; ce n’est pas la mer qui la ronge, mais les grandes pluies la délavent. (Michelet.)

— Fig. Amollir : Vous autres Français, vous ne comprenez pas la vertu d’un cœur du Tibre ; l’eau de votre pays délave le cœur. (Lamart.)

— Agric. Délaver le foin. L’exposer, pendant la fenaison, à la pluie ou à de fortes rosées.

Se délaver v. pr. Être délavé, devenir plus pâle, en parlant d’une couleur. || Être exposé à la pluie et mouillé, détrempé.


DELAVIGNE (Germain), vaudevilliste français, né à Giverny (Eure), en 1790, mort en 1868. C’était un homme de beaucoup de mérite et d’esprit, et dont on eût assurément parlé davantage si la gloire de son frère ne l’avait rejeté dans l’ombre. Hâtons-nous de dire, pour éloigner toute idée d’envie, que Germain et Casimir étaient unis l’un à l’autre par la plus vive affection, dans laquelle Eugène Scribe, leur condisciple commun, était en tiers. Tandis que Casimir abordait hardiment les hautes régions de la poésie et du drame, Germain Delavigne et Scribe brillaient dans le vaudeville et donnaient à ce genre modeste un caractère de fine raillerie et d’observation délicate qui lui était inconnu auparavant. Le vaudeville devenait, grâce à eux et à quelques autres, une comédie en raccourci, mais une comédie véritable. Sous Louis-Philippe, Germain Delavigne devint garde du mobilier de la couronne, emploi qui lui permettait de se livrer à l’aise à son goût pour le théâtre, et qu’il perdit en 1848. Parmi les œuvres que Germain Delavigne a données au théâtre, soit seul, soit en collaboration, nous citerons : l’Auberge des Pyrénées (1812) ; Thibault, comte de Champagne (1813), vaudeville historique en un acte ; le Bachelier de Salamanque (1815), comédie-vaudeville en deux actes ; la Somnambule (1821), comédie-vaudeville en deux actes ; le Colonel (1821), comédie-vaudeville en un acte ; le Vieux garçon et la petite fille (1822), comédie-vaudeville en un acte ; l’Avare en jaquette (1823), comédie-vaudeville en un acte ; la Neige (1823), opéra-comique en quatre actes ; l’Héritière (1824), comédie-vaudeville en un acte ; le Maçon (1825), opéra-comique en trois actes ; la Vieille (1826), opéra-comique en un acte ; le Diplomate (1827), comédie-vaudeville en deux actes ; le Baron de Trenck (1828), comédie-vaudeville en deux actes ; la Muette de Portici (1828), opéra en cinq actes ; Robert le Diable (1831), opéra en cinq actes ; Charles VI (1843), opéra en cinq actes ; les Mystères d’Udolphe (1852), opéra ; la Nonne sanglante (1854), opéra, etc. On lui doit aussi quelques comédies : le Valet de son rival (1816), en un acte, jouée à l’Odéon ; Henriette et Raymond (1833), un acte, représentée aux Français, etc.


DELAVIGNE (Casimir), célèbre poëte français, membre de l’Académie française, frère du précédent, né au Havre le 4 avril 1793, mort à Lyon le 11 décembre 1843. Il y a pour l’historien, pour le philosophe, pour le critique, dans la vie de certains hommes, une étude intéressante à faire. On les étudie, on les discute, et de ces études, de ces discussions naît presque toujours un antagonisme d’opinion et de sentiment entre la presse et le public. Casimir Delavigne n’a pas échappé à la loi commune. Chaleureusement applaudi au théâtre, il a eu l’honneur de partager avec Béranger le titre glorieux de poète national. Une certaine partie de la presse cependant a résisté à l’enthousiasme qu’excitaient les Messéniennes, Louis XI, le Paria, les Enfants d’Édouard. Sans doute les grands critiques, tels que Dumoulin, Duvicquet, Poitevin, ont été des premiers à louer un des talents les plus complets et les plus variés qui se soient produits au théâtre ; mais, à côté des remarquables études de ces écrivains, il s’est produit surtout de nos jours quelques critiques amères, quelques attaques violentes, dont nous voulons chercher la cause. C’est dans la vie même de Casimir Delavigne, c’est dans le développement progressif et dans les manifestations de son beau talent, que nous la trouverons.

Tout enfant, Casimir Delavigne, dont le père était un des principaux armateurs du Havre, avait été bercé sur les flots de l’Océan ; il avait accoutumé ses yeux à ce grand spectacle de la mer qui laisse des impressions si profondes, il avait admiré dans ce magnifique bassin cette forêt de mâts, cette multitude de navires de toutes sortes qui frappent vivement les jeunes imaginations. Des hauteurs d’Ingouville il avait contemplé l’immensité de cette plaine liquide, cet horizon sans bornes, plein de mystères et d’inconnu ; aussi, toute sa vie, le souvenir du Havre lui fut cher. Trente ans après il disait dans l’École des vieillards :

BONNARD.

Du Havre où tu naquis, constant admirateur.
Tu cesses de l’aimer ?…

DANVILLE.

                 Qui ? Moi ! Charmante ville !
Elle fut mon berceau… Doux climat, sol fertile,
D’aimables habitants !… Un site ! Ah ! quel tableau !
Après Constantinople il n’est rien de plus beau !

On sent dans ces vers un enthousiasme très-franc et très-vif pour cette ville que le poëte aimait tant. Talma, si beau, si grand dans le rôle de Danville, les prononçait avec une chaleur, une conviction qui étaient bien dans l’esprit de l’auteur. Les artistes qui, depuis Talma, ont repris le rôle, ont commis le lourd contre-sens de dire ces vers plaisamment et de mettre une raillerie où le poëte avait mis tout son cœur.

Il avait dix ans quand son père l’envoya à Paris, au lycée Napoléon (alias, collège Henri IV), où son frère aîné, Germain, était déjà depuis plusieurs années. Outre Germain, Casimir y eut pour camarades Dabot et Jubé, qui ont brillé plus tard dans l’enseignement ; Eugène Scribe, qui resta l’ami de toute sa vie ; Léon et Alfred de Wailly, esprits distingués et charmants ; Saint-Arnaud, singulier mélange de bien et de mal. D’autres noms pourraient être cités ; mais ceux-là résument les amitiés et les sympathies du poëte dans sa jeunesse. Les deux premières années que Casimir passa à Paris furent un apprentissage de la vie de collège. Habituée aux câlineries de la maison paternelle, sa santé faillit succomber sous les épreuves assez dures du régime presque militaire du lycée ; mais la nature a d’immenses ressources à cet âge, et peu à peu l’exercice, les jeux donnèrent à l’enfant une vigueur qui dissipa toute crainte. Pendant cette espèce de noviciat, les études avaient été un peu négligées : on avait soigné le corps et ménagé l’esprit ; mais le jour où Casimir se sentit fort et bien vivant, il voulut regagner le temps perdu. En deux années, il rejoignit ses camarades, et à quatorze ans il était l’un des élèves les plus distingués du lycée. Il s’était pris d’un grand amour pour les poëtes grecs et latins, et plus tard il devait chercher à reproduire les beautés de la littérature ancienne. Sa mort a laissé inachevés divers essais de tragédie grecque dont quelques fragments seulement nous sont parvenus. Ce penchant vers la poésie était vivement encouragé par Germain, un peu plus âgé que lui et qu’il prenait pour confident de ses premiers vers. Vivement sollicité par son frère, il écrivit quelques traductions, quelques églogues, quelques idylles qui charmèrent tout d’abord son juge un peu partial. Ce premier succès décida Casimir à continuer. Germain Delavigne s’était déclaré fort content des vers de Casimir et l’engageait à les soumettre au jugement d’un homme dont la compétence était hors de doute, Andrieux. Comme tous les élèves dont les parents habitent la province, Germain et Casimir passaient leurs jours de sortie chez un correspondant qui n’était autre que leur oncle maternel, M. Lambert-Sainte-Croix, avoué près la cour de Paris.

M. Lambert-Sainte-Croix, dont l’esprit et l’érudition étaient célèbres au palais, recevait les écrivains, et les écrivains les plus distingués de cette époque. Il avait lu les vers de Casimir, et, flatté d’avoir un poëte dans sa famille, il les présenta à Andrieux qu’il voyait dans l’intimité. Le célèbre écrivain fut sévère pour le débutant. Il ne trouva dans les pièces qui lui furent soumises qu’une imitation un peu servile des grands modèles, sans cette originalité, sans cette personnalité qui font que l’artiste est lui-même et non la copie d’un autre ; et, avec l’amertume d’un homme qui sait que la carrière des lettres réserve plus de désappointements que de joies et de succès, il répondit à son ami : « Ce n’est pas mal, mais, croyez-moi, il serait bien plus sage de le disposer à faire son droit. » Sans se laisser décourager, le jeune poète comprit qu’Andrieux n’avait pu juger de l’avenir d’un écrivain dans une œuvre qui pouvait aussi bien appartenir à tous les bons élèves de rhétorique. Il se remit au travail, soutenu dans sa résolution par cette conscience de sa propre valeur. Il ne se sentait aucune vocation pour la carrière du droit ; aussi réunit-il toutes ses forces et toute son énergie, et résolut-il de faire revenir Andrieux sur son arrêt.

Il s’appliqua d’abord à perfectionner son style, à l’épurer, à le débarrasser de cette emphase, de ce faux brillant qui sont le cachet de la littérature de la République et de l’Empire. Plus maître de sa forme, il chercha un sujet qui lui permît de tenter une nouvelle épreuve. Les événements devaient se charger de le lui fournir. On était arrivé à 1811. Napoléon, rompant brusquement avec son passé, venait de mettre sur le trône de France une Autrichienne, Marie-Louise. Il avait renvoyé Joséphine, la gracieuse compagne de ses mauvais jours, mais il avait la satisfaction suprême de se répéter en parlant du dernier roi de France : « Mon pauvre oncle, Louis XVI ! » Tout à coup l’Europe apprit qu’il était né un fils à Napoléon, un héritier à cet homme qui, depuis douze ans, jouait avec les trônes et les empires. La joie fut immense de toutes parts. Les partisans de l’empire voyaient dans cette naissance tant désirée la consolidation de Napoléon et le commencement d’une dynastie à laquelle ils se dévouaient d’avance. Les réactionnaires, les partisans de la paix, les industriels, les commerçants, les propriétaires croyaient à un changement de politique. Ils pensaient que Napoléon allait réunir ses efforts pour faire riche et puissante à l’intérieur cette France à qui Marie-Louise venait de donner un futur souverain. Les poëtes ne pouvaient manquer de chanter cet événement. Mais au milieu du déluge de vers qui inonda la France, on remarqua un dithyrambe signé d’un inconnu et qui rappelait par l’élévation des idées, l’élégance et la pureté du style, la facture et le rhythme, la grande poésie du XVIIe siècle. Ce dithyrambe était l’œuvre de Casimir Delavigne. M. Lambert-Sainte-Croix, tout fier du début de son neveu, voulut le présenter à son ami Andrieux. Ce dernier, après avoir lu cette pièce avec un vif intérêt, s’écria : « Voilà qui est bien différent ! Il ne faut plus le tourmenter : amenez-le-moi, il ne fera jamais que des vers, et j’espère qu’il les fera bons. » Les hommes de goût applaudirent à l’œuvre du jeune poète. Ce dithyrambe était loin cependant de la perfection ; mais il y règne une facilité, une pureté de style, un dédain des formules banales, de l’affectation et de l’emphase, qu’on n’est pas habitué à rencontrer chez les écrivains de cette triste période littéraire. Faut-il attribuer une partie du succès à la pénurie extrême de poëtes dont s’affligeait cet empereur qui faisait des maréchaux, des princes et des rois, et ne put avoir un écrivain ? Quel que soit le motif véritable, le succès fut considérable et Andrieux le consacra lui-même en encourageant vivement Casimir à persévérer dans une carrière où l’attendait le plus brillant avenir. Mais tout allait dépendre d’un événement qui pouvait ruiner à jamais ces espérances si justement fondées. L’Empire touchait à cette douloureuse époque, à ces effroyables années 1812 et 1813, à ce dernier chant du poëme impérial si plein de grandes choses. Napoléon, pressé de toutes parts, menacé par ses ennemis, abandonné par ses alliés, voulait sauver le fruit de quinze ans de conquête, et, pour cette lutte suprême, il demandait à la France un dernier sacrifice. La conscription, qui avait dévoré successivement les jeunes gens de vingt et de dix-neuf ans, les prenait alors à dix-huit. Casimir fut soumis comme tous les hommes de son temps à cette loi impitoyable. Il se rendit au Havre. La faiblesse de sa constitution, qui le rendait incapable de supporter les fatigues de la guerre, n’eût cependant pas suffi à le faire exempter du service ; mais une légère atteinte de surdité, qui disparut complètement depuis, fut le motif d’exemption qu’il présenta au conseil de révision. Cette infirmité devait être certifiée par les jeunes conscrits de sa classe. Tous s’empressèrent d’apporter leur affirmation. C’est ainsi que Casimir put rester en France. Quelques biographes ont raconté que Napoléon, enchanté du dithyrambe de Casimir, avait exempté le poète du service militaire. Ce récit est absolument faux ; c’est à la sympathique admiration de ses jeunes compatriotes, à leur fraternel dévouement, que Casimir dut cette faveur. Il en conserva toute sa vie le plus reconnaissant souvenir. Le dithyrambe sur la naissance du roi de Rome avait fait un certain bruit. Nous l’avons dit, on n’était guère habitué, depuis l’avènement de la poésie républicaine, à la belle langue du XVIIe siècle, et les vers de Casimir avaient à la fois étonné et charmé les esprits délicats. Le comte Français (de Nantes) était de ces hommes. Directeur général des droits réunis, il avait établi deux classes parmi les emplois qui relevaient de son autorité : les uns appartenaient aux futurs financiers ou administrateurs, qui, en échange d’un travail modéré et d’appointements raisonnables, y apprenaient la science de l’administration ; les autres étaient réservés aux artistes, aux littérateurs, que le manque de fortune aurait empêchés de travailler et à qui il imposait délicatement l’obligation de ne s’occuper que de leur art. Le comte Français avait lu le dithyrambe de Casimir. Il y reconnut de sérieuses qualités de style, il y applaudit une élévation de pensée, un enthousiasme qui n’empruntaient rien à la flatterie ou à l’ambition. Il se fit présenter le jeune poëte. Casimir se trouvait à ce moment même dans une position fort critique. Ruiné par les longues guerres de la République, le commerce du Havre était dans une situation déplorable. Les plus riches armateurs avaient vu leurs navires saisis par l’ennemi, les plus prudents avaient la triste consolation de les voir stationner inactifs dans la rade. Le père de Casimir avait perdu sa fortune et celui-ci se trouvait dans l’impossibilité de continuer une carrière qui lui promettait les plus brillants succès. Sur les instances du comte Français, Casimir dévoila sa position, ajoutant qu’il regrettait une ruine qui le forçait d’abandonner les lettres. Le directeur général pressentait l’avenir de Casimir ; il voulut lui faciliter les premiers pas : il lui donna le jour même un emploi dans son administration, sous la condition expresse que son protégé ne s’y présenterait qu’une fois par mois pour toucher ses appointements. Casimir accepta avec reconnaissance ; cependant sa fierté souffrait de cette gratification mensuelle que ne justifiait aucun travail. Mais chaque fois que le comte Français le rencontrait dans les bureaux, il le renvoyait : « Allez travailler, lui disait-il, ne venez pas ici perdre votre temps. Si je vous ai donné une place, c’est pour que vous ayez bientôt le moyen de vous en passer. » Au reste, ce protecteur délicat ne perdait pas de vue le jeune poëte. Il l’avait admis dans son cercle intime, et Casimir se trouvait en relations avec ce que Paris avait