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mois, et itait stipulé, ou bien à tant pour cent, ou bien moyennant un huitième, un sixième, un quart du capital prêté : le taux n’était pas réglé par la loi. Les prêts à la grosse aventure (vomucal wfïf « ?«0 étaient aussi fort en usage à Athènes, ijut’re ces deux sortes de prêts, il y avait le commodal, et, de plus, un autre contrat appelé tçavos, qui se rapproche beaucoup de ce dernier. Autant qu on peut le conjecturer, ce contrat consistait dans la remise d’une somme d’argent ou d’autres choses fongibles à une personne dans le besoin, sans stipulation d intérêt ; le remboursement ne devait se faire que lorsque le débiteur se trouverait dans des circonstances plus heureuses. L’ïçavoî était donc une sorte de contrat de bienfaisance : il parait n’avoir engendré, de la part du débiteur, qu’une obligation naturelle à la charge du débiteur, et le remboursement de la dette ne pouvait être réclamé en justice. Mais si l’obligation du débiteur n’avait pas de sanction dans la loi, elle en trouvait une très-eflicace dans l’opinion publique, qui considérait la dette de l’içavo ; comme dette de religion, ’et flétrissait celui qui tentait de se soustraire à l’obligation qu elle lui imposait. Quant aux sûretés accordées aux créanciers, le droit attique était aussi complet que possible : on y rencontre non-seulement les deux plus anciens contrats de cette nature, le gage (tvtpfov) et le cautionnement (l-fYi>ii»t<), mais aussi des conventions nouvelles et d’origine hellénique, l’antichrèse (àvrfjpijm ;) et l’hypothèque (iraoOiJxi)). Cette dernière est originaire de l’Attique : elle s’annonçait au public par de petites colonnes plantées sur les immeubles grevés. Ce mode de publicité était imparfait, puisqu’il dépendait du débiteur de la taire cesser, en brisant ou en supprimant ces petites colonnes. Quoi qu’il en soit de cette imperfection, il n’en est pas moins vrai que la loi athénienne comprit immédiatement que la publicité était essentielle à l’hypothèque, ce qui a été méconnu longtemps par les autres législations. En général, les contrats devaient être rédigés par écrit, en présence de témoins qui les signaient ou y apposaient leur cachet : les parties s’engageaient par serment à les exécuter ; et, en outre, pour plus de sûreté, les actes étaient déposés chez les prêtres ou chez les banquiers ou changeurs. Du reste, le consentement seul des parties suffisait pour

créer le lien de droit : le droit attique, en matière de convention, ne connaissait pas de formes sacramentelles ou symboliques. Nonseulement les conventions, les contrats étaient des sources d’obligations, mais aussi les quasicontrats, de même que les délits et les quasidélits. Enfin, la loi athénienne ne méconnaissait pas les vrais principes en matière de prescription. Tel était, dans ses traits princif>aux, le droit privé des Athéniens. Quant à eur droit pénal, nous n’avons pas à nous en occuper ici,

Législation athénienne. Lais. Décrets. Résumé. La législation athénienne comprenait, outre les lois de Dracon, de Solon et de Clisthène, celles que la démocratie s’était donnée elle-même : parmi ces dernières, les unes appartiennent à l’époque très-brillante qui aboutit si malheureusement à la conquête étrangère et à la tyrannie oligarchique ; les autres sont postérieures au rétablissement de la démocratie. Après le rétablissement de la démocratie, un travail de révision et de condensation des lois, proposé par un citoyen du nom de Tisamène, fut exécuté par un greffier du nom de. Nicomaque. Celui-ci avait d’abord été nommé pour quatre mois, mais il allégua que ce temps était insuffisant, et il se fit continuer pendant quatre ans dans ses fonctions, malgré les réclamations des magistrats. La révision de Nicomaque fut attaquée : on prétendit qu’il avait tronqué la loi. Ce sont, du reste, les lois admises dans la révision de Nicomaque qui constituent l’ensemble de la législation athénienne, ce que l’on peut appeler le corps du droit attique. A Athènes, la

oi {vonoç), expression de la volonté souveraine du peuple, est l’unique source du droit. À côté de la loi, qui dispose d’une façon générale, se trouve le décret (■Sj^a^a), décision rendue par le peuple ou le sénat, et qui a trait à des mesures particulières prises, en vue de telle ou telle circonstance, et qui n’a qu’une valeur temporaire. Le décret, comme on le voit, n’est autre chose que les ordonnances, arrêtés, décrets, règlements édictés, chez nous, par le pouvoir exécutif, en vue de l’exécution des lois et de l’administration de l’État. Le décret se trouve ainsi à l’égard de la loi dans une position subordonnée. Aucun décret du peuple ou du sénat ne peut prévaloir contre elle. Du reste, toutes les précautions avaient été prises (v. plus haut) pour prévenir la confusion et les incohérences législatives, pour maintenir l’unité dans la législation et pour empêcher aussi que le caprice d’un orateur vînt porter atteinte^ cette unité. Il ne faut pas écouter le poète comique Platon, qui dit que, lorsqu’on a été absent d’Athènes trois mois durant, on ne peut, au retour, reconnaître cette cité. En outre, la loi devait être claire, précise, spéciale, et les Athéniens n’admettaient pas qu’elle pût être interprétée. Ils considéraient l’interprétation de la loi, Démosthène le dit formellement, comme une atteinte à la souveraineté du peuple et à l’égalité des citoyens. De là leur horreur des corporations judiciaires, des juges de profession. C’est pourquoi la iuris-

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prudence fait défaut dans le droit attique, et pourquoi, par conséquent, ce droit ne s’est pas formulé en un corps rationnel de doctrines. En réalité, l’Athénien avait le plus grand dédain pour la pratique judiciaire, qu’il considérait comme une laide besogne, dont on pouvait, à l’occasion, se servir, mais sans y mettre la main soi-même. A Athènes, on ne rencontre rien de pareil au jurisconsulte romain ; il n’y avait que d’obscurs praticiens, qui fissent métier de donner les conseils demandés, de fournir des textes et des arguments aux plaideurs, et qui paraissent

avoir été passés maîtres dans la fourberie et la chicane. C’est ce qui explique pourquoi le génie hellénique, qui a été l’initiateur dans toutes les branches du savoir, a laissé de côté la science juridique. On peut se demander s’il en aurait été ainsi si Athènes n’avait pas prématurément succombé sous l’épée des rois de Macédoine, si elle était devenue ce que fut Rome, la souveraine du> monde. On verra, en effet, que ce n’est qu’af>rès la chute de la cité antique à Rome que e droit y revêtit définitivement un caractère scientifique. Quoi qu’il en soit, à Athènes, toutes les parties de la législation attestent l’esprit remarquable de cette cité célèbre, sa finesse pleine d’invention et son sens profondément pratique.

Rien de plus remarquable que le droit attique dans toutes les parties, droit public, droit privé, droit maritime commercial, droit pénal, et si sa valeur a été parfois méconnue, si on en a parlé avec dédain, c’est par suite de l’ignorance où l’on se trouvait à son égard. Aussi ne doit-on pas accepter ce qu’en dit Cicéron, qui s’exprime ainsi : Incredibile est emm quant sit omnejus civile prœter hoc nostrum inconditum ac pœne ridieulum ; de quo multa soleo in sermonibus quotidianis, quum hominum nostrorum prudentiam cœteris omnibus et maxime Grœcis antepono, (Cicero, Orator, l, 42.) 11 est évident qu’ici, comme, du reste, cela lui arrive souvent, Cicéron est aveuglé par son patriotisme. De toutes les parties du droit attique, celle qui est la plus remarquable est le droit public. Athènes fut l’expression la plus partaite de la cité antique. L’esprit de cette cité célèbre se trouve parfaitement exprimé dans ces paroles de Périclès, lorsqu’il dit que l’on doit aimer Athènes, « parce qu’elle donne aux hommes la liberté et ouvre à tous la voie des honneurs, parce qu’elle maintient l’ordre public, assure aux magistrats l’autorité, protège les faibles, donne à tous des spectacles et des fêtes qui sont l’éducation de l’âme. Voilà pourquoi, ajoute Périclès, nos guerriers sont morts héroïquement plutôt que de se laisser ravir cette patrie ; voilà pourquoi ceux qui sont survivants sont tout prêts à souffrir et à se dévouer pour elle. » Si Athènes n’avait pas été digne de cet éloge, Thucydide, qui n’est nullement un flatteur de la démocratie, ne l’aurait pas mis dans la bouche du grand homme d’État athénien. Au regard de cet admirable éloge d’Athènes, les plaisanteries que les comiques ne cessent de diriger contre 3e peuple athénien qu’ils représentent, sous les traits du bonhomme Démos, comme un vieillard crédule, borné, capricieux et méchant, pèsent dans la balance d’un poids bien léger. Les Athéniens, gens d’esprit, furent les premiers à en rire, et les modernes qui les ont f>rises à la lettre se sont trompés de la façon a plus grossière. Donc, avant que la liberté eût reparu dans nos sociétés modernes, il était impossible de se faire une idée exacte de la démocratie athénienne. De là toutes les erreurs débitées à son égard et les accusations absurdes auxquelles elle a été en butte. Maintenant elle ne compte plus parmi -ses détracteurs que les malheureux qui, ayant horreur de la liberté, la calomnient dans le passé comme dans le présent.

Droit à Home. Nous n’avons pas à exposer ici quelles circonstances amenèrent la fondation de Rome. Tout ce que nous dirons, c’est que Rome sortit de la confédération de trois peuplades qui habitaient le territoire coupé de collines où la ville fut établie et qui en furent les tribus primitives. Comme les Grecs, les Latins sont monogames. Ceux qui descendent du père font seuls "partie de la famille ; ils sont agnats entre eux. La femme, en se mariant, entre dans la famille de son mari et cesse de faire partie de la sienne, car on ne peut faire partie de deux familles en même temps. Le pouvoir du chef de la famille, et comme père et comme mari, est absolu. En outre, les diverses familles qui descendent d’un auteur commun constituent une gens. Les membres d’une gens portent tous le nom commun de la race, comme les Fabius, les Claudius ; chacun a, en outre, un surnom qui marque son individualité, comme Coclès, Marius, Titus, etc. Les gentes ont chacune leur dieu, qu’elles honorent par des sacrifices communs, et un lieu particulier de sépulture. La cité est l’association politique et religieuse des génies et des familles qui les composent. Chacune des familles qui forment les gentes a des serviteurs qui lui sont attachés héréditairement et sur lesquels le père (pater) ou patron exerce la triple autorité de maître, de magistrat et de prêtre ; ce sont les clients. Les clients constituent une classe inférieure dans la cité et ne jouissent que d’une demi-liberté. Ce qui établit une différence absolue entre eux et les membres des gentes, c’est que, si haut qu’ils re DROI

montent dans leur généalogie, ils n’arrivent jamais à un de ces ancêtres divins auxquels se rattachent les gentes, en un mot, à un père (pater), tandis que les membres des génies descendent tous d’un père, et, pour ce motif, se nomment patricii, patriciens. Le client n’a rien en propre ; la terre qu’il cultive ne lui appartient pas ; à sa mort, elle fait retour au patron, au chef de famille, qui seul en est propriétaire. L’argent même du client n’est pas à lui ; le patron en est le vrai propriétaire et peut l’en dessaisir pour ses propres besoins. Relativement à la religion, le client se trouve dans une position analogue. Il assiste au culte de la famille, mais il n’y a qu’un rôle passif ; on fait le sacrifice pour lui, mais il ne peut le faire lui-même. Entre lui et la divinité domestique, il y a toujours un intermédiaire. Il ne peut pas même remplacer la famille absente. Que cette famille vienne à s’éteindre, les clients ne continuent pas le culte, ils se dispersent. Enfin, à côté du client, il existe à l’origine de Rome, mais à un rang inférieur, une autre classe qui, infime d’abord, acquit peu à peu assez de force pour briser l’organisation primitive de la cité. Cette classe est celle des plébéiens. Ce qui, dans le principe, distingue profondément le plébéien du client, c’est que le premier est étranger à l’organisation politique et religieuse de la cité, tandis que le client, bien que dans une position inférieure et subordonnée, partage le culte de son patron et fait partie d’une famille, d’une gens. La plèbe, d abord, n’est pas comprise dans le peuple, dont font seuls partie les patriciens et leurs clients ; elle est en dehors ; elle n’a pas de culte et, par conséquent, pas de droit. Ainsi Rome, comme toutes les cités antiques, est double à l’origine. Il y a la ville proprement dite, la ville des patriciens et de leurs clients ; elle est située sur le plateau du Palatin et a été fondée suivant les rites. Puis, sur la pente du mont Capitolin, se trouve une agglomération de maisons bâties sans cérémonies religieuses, sans enceinte sacrée : c’est le domicile de la plèbe, qui ne peut pas habiter dans la ville sainte, c’est l’asile ouvert par Romulus & tous les gens sans feu ni lieu qu’il ne pouvait faire entrer dans la ville. Enfin, il y a les esclaves, qui se composent des prisonniers faits à la guerre et des individus réduits à l’esclavage, soit parce, qu’ils n’ont pas payé leurs dettes, soit pour certains crimes. Du reste, l’esclave n est qu’une chose et son maître a sur lui le droit le plus absolu.

Telle est la constitution sociale de Rome à son origine. Quant à son organisation politique, elle en découle, comme dans toutes les sociétés antiques. La souveraineté réside dans le peuple, exclusivement composé des membres des gentes, des patriciens. La conduite des affaires publiques appartient au roi et au sénat. Le roi, à Rome, est, comme dans toutes les cités antiques, revêtu d’un caractère religieux. C’est le prêtre du foyer public ; car la cité, constituée à l’image de la famille, a aussi son foyer. Ce roi-prêtre était intronisé avec un cérémonial religieux. Le nouveau roi, ’conduit sur la cime du mont Capitolin, s’asseyait sur un siège de pierre, le visage tourné vers le midi. À sa gauche était assis un augure, la tête couverte de bandelettes sacrées et tenant à la main le bâton augurai. Celui-ci, figurant dans le ciel certaines lignes, en prononçant une prière, et posant la main sur la tète du roi, suppliait les dieux de marquer, par un signe visible, que ce chef leur était agréable. Puis, dès quun éclair ou le vol des oiseaux avait manifesté l’assentiment des dieux, le nouveau prince prenait possession du pouvoir. Cette cérémonie avait sa raison d’être : le roi étant le chef de la religion, il était naturel de s’informer d’abord si le roi nouvellement élu était agréable aux dieux. Le roi avait donc des fonctions sacerdotales. Tite-Live nous dit de Numa qu’il remplissait la plupart des fonctions sacerdotales. « Mais, ajoute-t-il, il prévit que ses successeurs, devant avoir souvent des guerres, à soutenir, ne pourraient toujours vaquer au soin des sacrifices, et il institua les pontifes pour remplacer les rois, quand ceux-ci seraient absents de Rome. » Ce qui donne au roi son caractère politique, c’est Vimperium, dont l’investit la loi curiate qui sanctionne son élection. Cet imperium est le droit de commander au nom du peuple, et il confère ce pouvoir absolu que la cité a sur ses membres quand il s’agit de l’intérêt général, pouvoir semblable à celui du père de famille. Jamais les Romains ne le diminuèrent, et il demeura aux mains des magistrats de la république ce qu’il avait été chez les rois. Nulle part cette conception du pouvoir ne se manifesta avec autant d’énergie qu’à Rome : c’est là le trait caractéristique de cette puissante cité, et c’est parce que les Romains ont su se commander qu’ils ont fini par commander au monde entier. Son pouvoir illimité, le roi l’exerçait en sa triple qualité de chef de l’État, de général et de juge. Quant au sénat, il se composa d’abord des chefs de famille, qui donnaient leur avis dans toutes les circonstances importantes : les projets de loi, de guerre ou de paix lui sont soumis avant d’être déférés au peuple ; c’est lui qui donne force exécutoire aux décisions des comices en les revêtant de son auctoritas, c’est-à-dire de son approbation, qui les complète. Le sénat rend des décrets nommés sénatus-consultes. Enfin, le peuple est divisé, comme cela a été

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dit, en trois tribus, et chaque tribu en dix curies. Chaque curie, comprenant un certain nombre de gentes, a dans Rome son quartier, son temple, ses sacrifices et son prêtre ou eurion (magister curiœ).

L’assemblée du peuple, c’est-à-dire le peuple réuni dans ses comices, a d’importantes attributions politiques. Ce sont les comices populaires qui choisissent le roi, acceptent ou rejettent les lois, décident de la paix ou de la guerre, et, enfin, statuent sur le recours en grâce qu un condamné a porté devant eux (provocatio). Rome eut les mêmes révolutions que les autres cités antiques. À l’origine, la ville est moins un lieu d’habitation quele sanctuaire des dieux de la communauté, la forteresse qui les défend, le centre de l’association, la résidence du roi et des prêtres et le lieu où se rend la justice. Les gentes vivent dans la campagne, chacune sur son domaine, où elle a son sanctuaire domestique, et, sous l’autorité de son chef, de son pater, en groupe indivisible. Seulement, à certains jours, les chefs de ces familles se rendent à la ville pour s’y occuper des affaires publiques ou y accomplir certains devoirs religieux. En temps de guerre, les gentes, commandées chacune par son chef, forment l’armée de la cité, qui ’ va combattre sous les ordres du roi. D abord la terre où la gens était établie fut le domaine commun de tous les membres ; ce domaine était cultivé en commun et l’on s’en partageait les fruits. Le droit d’aînesse ne conférait au fils aîné, au descendant direct de l’ancêtre de la gens, que la qualité de chef de famille. En réalité, la propriété du sol appartenait à la gens et n’était pas individuelle. L’appropriation individuelle commença par les troupeaux et par les esclaves. Non-seulement la propriété du sol n’était pas individuelle, mais, par suite de son caractère religieux, elle était incommunicable à d’autres que ceux qui faisaient partie de la gens ; elle était, par conséquent, inaliénable et non sujette à expropriation. Ce ne fut que plus tard que la propriété se partagea entre les membres de la gens et de la famille ; mais ce partage devait être fait par un prêtre (agrimensor) et ne pouvait être accompli que par une cérémonie religieuse. Plus tard encore, on permit de vendre le domaine ; mais il fallait toujours une cérémonie religieuse. Cette vente ne put d’abord avoir lieu qu’en présence d’un prêtre nommé libripens, et avec une formalité religieuse appelée mancipation. Ce partage du domaine de la gens eut nécessairement pour effet de diminuer sa puissance. Les différentes branches se séparèrent : chacune d’elles eut désormais sa part de propriété, son domicile, ses intérêts. Singuhsingulas fa miliasincipiunt habere, dit le jurisconsulte romain. Ce qui contribua encore à amoindrir la puissance des gentes, ce fut que les clients s en séparèrent peu à peu. Tant que les familles vécurent isolées, le client n avait aucun intérêt à quitter la famille où il trouvait secours et protection. D’ailleurs, comment aurait-il eu l’idée de se détacher de cette famille ? elle formait tout son horizon. Mais il n’en fut plus de même quand les cités furent fondées. Les clients purent se voir, s’entendre. Aussi le lien qui les attachait aux familles se relâcha-t-il peu à peu. À l’origine, les clients vécurent au sein de la famille du maître, cultivant avec lui le domaine commun. Plus tard, on assigna à chacun d’eux un lot de terre particulier, mais il travaillait toujours pour le maître, qui pouvait saisir la récolte, a charge de pourvoir à ses besoins. Enfin, il cessa de travailler exclusivement pour son maître. Sous la condition d’une redevance, d’abord variable, fixe ensuite, il jouit de ses récoltes ; mais le champ qu’il cultivait ne lui appartenait pas ; il continuait à porter la borne sacrée posée par le maître et qui rappelait au client que ce champ était la propriété de ce dernier. Le client, dès lors, aspira à être lui-même propriétaire. La séparation devait devenir encore plus grande par suite de la réforme que le roi Servius apporta dans l’organisation de l’armée. Avant lui, l’armée marchait divisée en tribus, en curies, en gentes. Chaque chef de gens était à la tête de ses clients. Servius partagea l’armée, en centuries ; mais il adopta comme base de son classement le chiffre des richesses, et il ne marcha plus à côté du patron et ne l’eut plus pour chef- au combat. Ce changement en amena un autre dans la constitution des comices. L’assemblée se divisa en curies et en gentes, et le client, s’il votait, votait sous l’œil du maître. La division par centuries était établie pour les comices comme pour l’armée ; le client, faisant partie d’une autre centurie, cessa de voter avec le maître et sous ses yeux. En fait, le client était alors à peu près indépendant, et il finit, aidé par les rois d’abord et par les tribuns ensuite, par obtenir son indépendance complète et par faire partie de la plèbe. Ainsi, par suite de l’établissement de la cité, la gens perd de sa puissance. Par contre, à mesure que la gens perd du terrain, la plèbe en gagne. Sans doute, les plébéiens sont en dehors de la cité des gentils : ils n’ont ni foyer, ni famille, ni père, ni religion, et, selon le patricien, ils vivent à la façon des bêtes sauvages, more ferarum ; mais cela n’est vrai qu’au point de vue du patricien. En réalité, les plébéiens, quelque intime que soit la position qu’ils occupent dans la cité, en font partie, et cela à titre d’hommes Libres. Sous ce rap-