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tifications, a me faire naître en Suisse, je suis né à Paris ie 22 juin 1806. Ma inèro, Mme Dupuy, née Fagnan, serait-elle donc la seule femme du premier Empire qui ait eu le tort d’avoir mis au monde un enfant qui ne fût pas de son mari ? Ne suis-je pas né ainsi en très-haute compagnie ? De quoi donc me plaindrais-je ? J’avais le choix entre trois noms : lé’nom d’Emile Dupuy, qui m’appartenait légalement ; le nom d’Emile de Girardin, qui m’avait appartenu de 1806 à 1815 par les tendresses et les soins dont m’avait comblé mon père, et le nom d’Emile sans y rien ajouter. Malheureusement, en 1827, je ne possédais pas l’expérience que j’ai acquise et je n’avais pas, sur beaucoup de points, les idées qui mS sont venues trop tard ; autrement, j’eusse mis mon orgueil à m appeler simpfement : Emile. » Son enfance s’écoula chez de braves gens nommés Cboisel, qui demeuraient boulevard des Invalides, et qui vivaient en élevant quelques enfants, parmi lesquels ceux de Mme Tallien, devenue princesse de Chimay. En 1814, il fut remis aux soins de M. Darel, ancien officier, employé alors dans la vénerie. Son père, M. de Girardin, récemment marié, cessa bientôt de s’occuper de lui, mais assura toutefois son existence matérielle par un petit revenu. L’enfant grandit dans cette, situation, sous la nom supposé d’Emile Delnmothe, ne recevant aucune éducation sérieuse, privé des caresses maternelles ; il fut tontine ensuite quelques années en Normandie, chez le père de M. Darel, palefrenier au haras du Pin, où du moins il se développa physiquement au milieu des libertés de ta nature et de la vie rustique, et enfin il vint à Paris en 1823. Quoique abandonné à peu près à ses seules forces. -, avec un pécule fort mince, il put, à l’aide de quelques recommandations, entrer dans les bureaux de M. de Senonnes, secrétaire général de la maison du , roi. Mais il ne resta que quelques mois dans cette situation, entra chez un agent do change, et bientôt, entraîné par les exemples qu’il avait sous les yeux aussi bien que par 1 effervescence d’une ambition naissante, il voulut tenter pour son propre compte les coups de fortune aléatoires et lès aventures de la Bourse. Il risqua une partie du capital de son mince revenu ; mais la fortune, qui devait plus tard le combler si largement, lui fut rigoureuse à ses débuts. Aux jeux bizarres et capricieux de la spéculation, il perdit le plus gros de son pécule, et voulut alors s’enfager comme soldat dans un régiment de ussards, mais ne put se faire admettre, a cause de la faiblesse apparente de sa coinplexion. C’est alors que, ne pouvant Saisir une épée, il prit pour la première fois une plume, c’est-à-dire, en définitive, l’arme par excellence de notre siècle, celle qui convenait le mieux à cettenature active, inquiète, avide de bruit et de renommée, plus encore certainement que de richesse ; mais comme Voltaire et Beaumarchais, il savait que la fortune seule donne l’indépendance. Confiné dans une petite chambre des ChampsÉlysées, au lieu même où plus tard, dans une somptueuse demeure, il devait déployer les élégances d’un luxe patricien, écrasé du poids de son isolement, il se recueillit dans une sombre mélancolie qui était l’effet de sa situation plus que de son tempérament, et il écrivit ce roman intime, cette autobiographie à’Emile, plaidoyer sentimental de 1 enfant adultérin contre la société, puis un recueil de fragmenta qu’il intitula : Au hasard. Le premier de ces opuscules, imprimé en 1827, fit du bruit. Cette sorte d’élégie fut la seule plainte de ce paria et de ce déclassé, qui n’était pas fait pour les énervements de la rêverie, mais pour l’action et pour le combat. Il sécha rapidement ses larmes et se prépara virilement à la lutte. On a dit assez spirituellement de lui qu’il s’était, dès ses débuts, posé en face de la société comme un duelliste sur le terrain. On a raconté maintes fois aussi qu’étant tout enfant il demandait avec insistance des éperons, et qu’interrogé sur ce qu’il en voulait faire, il aurait répondu. > Pour’faire du bruit. » On a voulu voir dans ce désir naïf (d’ailleurs commun à tous les enfants) l’indice d’une vocation bien décidée. Sans attacher aucune importance à cette historiette, on peut reconnaître qu’en effet le bruit, l’éclat ont toujours été une des préoccupations impérieuses de l’imagination de M. Emile de Girardin.

A vingt-deux ans, il entra dans la société par un acte de révolte contre les conventions légales ei prit le violent et audacieux parti de s’emparer d’autorité du nom qu’il savait lui appartenir de par la nature. Il prit publiquement, en effet, le nom d’Emile de Girardin, résolu, dit-on, à plaider devant la justice, si on l’y obligeait, la cause des enfants abandonnés, et de la plaider avec l’éclat et l’énergie du désespoir.

Mais le général de Girardin s’abstint.de toute revendication, admirant sans doute l’acte hardi de ce jeune homme qu’il ne pouvait reconnaître légalement pour son fils. Par son influence, Emile de Girardin fut nommé inspecteur adjoint des beaux-arts (1828). C’était une sinécure, mais c’était en même temps une situation. Peu de temps après, M. de Girardin conçut l’idée du Voleur, journal de reproduction littéraire auquel son titre original et le choix intelligent des matériaux donnèrent une vogue considérable. Il renfermait d’ailleurs aussi des articles inédits dus la plu G1M

part a la plume de son jeune directeur, qui fonda l’année suivante la Mode, inaugurant ainsi par deux succès sa brillante carrière de journaliste, et montrant à ses coups d’essai cette vive intelligence des opérations de presse, qui a contribué au moins autant que ses écrits à son universelle et juste célébrité.

Après la révolution de 1830, comprenant que l’effervescence des esprits allait offrir au journalisme, même en ne l’envisageant que comme industrie, des ressources plus considérables, il conçut la première idée de la pressa à bon marché, sinon avec toutes les conséquences politiques et morales qui en découlent, du moins avec une certaine largeur de vue-qui ouvrait carrière à tous les Îirogrês. Il esquissa son projet de réforme et e soumit à Casimir Périer, en offrant de l’appliquer au Moniteur, dont il proposait de réduire le prix à un sou le numéro. Mais le ministre ne répondit a cette offre que par un refus dédaigneux. Le novateur se décida alors a tenter a ses risques et périls, d’abord dans des proportions modestes, la réalisation do son projet. Il fonda le Journal des connaissances utiles, à 4 francs par an, qui compta jusqu’à 130,000 abonnés. On n’avait pas alors en France idée d’une telle publicité. Esprit toujours en travail, M. de Girardin voulut rattacher aussi à ses opérations des œuvres philanthropiques. C’est ainsi que, de 1833 à 1835, il fit des dons assez considérables aux cuisses d’épargne, afin d’en activer la propagation, et qu’au moyen d’une cotisation de 1 franc obtenue de ses abonnés, il fonda Yinstitut agricole de Coétbo, école rurale où cent jeunes gens étaient élevés, instruits et entretenus gratuitement.

En 1831, il avait épousé une jeune fille célèbre par son talent poétique et sa beauté, Mlle Delphine Gay (v. l’article ci-dessous). Ce fut lui également qui créa le Musée des familles, dont la vogue balança un moment le succès du Magasin pittoresque, puis l’Almanach de France, qui s’est tiré jusqu’à 1,200,000 exemplaires, succès unique peut-être dans l’histoire de la librairie, un Atlas universel, à un sou la carte, le Journal des instituteurs primaires, à 36 sous par an, enfin le Panthéon littéraire, vaste entreprise qui ne réussit qu’à demi, malgré une assez forte subvention du ministère. En même temps, poursuivant la fortune dans toutes les voies, il s’engageait dans plusieurs spéculations industrielles et financières, dont quelques-unes, particulièrement l’affaire des mines de Saint-Bérain, lui attirèrent -de nombreuses attaques et même jusqu’à des accusations d’improbité. Sans entrer dans le détail de ces graves questions, d’ailleurs fort com Ïiliquées, nous dirons que ce qui nous paraît e plus probable, c’est qu’avec sa hardiesse de conception, sa fièvre d’entreprises, son tempérament impétueux, M. de Girardin, dans sa vie de combat, a dû ou du moins a pu s’engager imprudemment dans des combinaisons.aventureuses, sans que sa bonne foi et sa

probité puissent être soupçonnées. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’à l’époque où il était le plus violemment attaqué, les attestations

Îiubliques de ceux avec qui il avait été en reatioos d’affaires mirent en évidence son honorabilité.

En 1836, il fonda le journal la Presse. Jusqu’alors ses publications n’avaient été en quelque sorte qu’un acheminement vers la grande réforme ayant pour but le développement de la presse politique ; la nouvelle feuille fut enfin la réalisation de ses plans, basés sur cette idée économique : « Le produit des annonces étant en raison du nombre des abonnés, réduire le prix d’abonnement à sa plus extrême limite, pour élever le chiffre des abonnés à sa plus haute puissance. »

C’était une entreprise hardie que l’organisation d’une feuille politique quotidienne au prix de 40 francs par an, au lieu de 80, prix Consacré. On sait qu’elle eut un plein succès, et que cette réforme économique fut imitée successivement par la plupart des journaux, à qui toute concurrence était devenue impossible. La Presse parut le ter juillet 1836, le même jour que le Siècle, qui se fondait dans les mêmes conditions. Mais l’idée première appartient incontestablement à M. de Girardin. À l’article presse, on trouvera quelques détails, qui naturellement ne peuvent trouver place dans une notice purement biographique.

L’inauguration de la presse à bon marché fit une véritable révolution dans le journalisme. Si le nouveau régime développa le mercantilisme, il augmenta le nombre des lecteurs s’intéressant aux affaires du pays ; en somme, il accomplit un véritable progrès. Mais il augmenta aussi les animosités contre M. de Girardin, qui fut poursuivi des attaques les plus acrimonieuses, et, ajoutons-le, les plus injustes ; car en supposant même, et ici cette supposition est toute gratuite, en supposant qu’il n’ait été mû que par une pensée de spéculation, la création de la presse à bon marché n’en restait pas moins une oeuvre jitile à la diffusion des idées et à l’instruction populaire. La presse démocratique eut le tort de prendre part à ces querelles d’in. térét. Comme le nouveau journal soutenait, avec indépendance, mais enfin soutenait la monarchie de Juillet, on alla jusqu’à insinuer que des subventions secrètes avaient pu seules le mettre à même de réduire ses prix d’abonnement. Au milieu de ces tristes débats, Armand Carrel fut amené incidemment à iu CtÎRA

tervenir ; il le fit avec la dignité un peu hautaine qui était dans son caractère ; M. do Girardin répondit avec la vivacité du sien ; il s’ensuivit des demandes d’explications, des pourparlers qui ne purent aboutir : un duel fut résolu.

Le fondateur de la Presse avait eu déjà trois duels : un en 1825, qui n’eut aucune suite fâcheuse ; un deuxième en 182S, dans lequel il fut légèrement blessé à l’épaule ; enfin un autre en 1835, contre M. Degouve-Denunques, dans lequel il essuya le feu de son adversaire et déchargea ensuite son arme en l’air.

Sa rencontre avec Carrel eut des suites plus funestes, on ne l’ignore point, et ce malheureux combat eut toute l’importance d’un événement public. Le 22 juillet 1S3G, les deux adversaires se battirent au pistolet dans une allée du bois de Vincennes. Carrel fut blessé mortellement au bas-ventre ; M. de Girardin, qui tira le dernier, eut la cuisse gauche traversée d’une balle. Après l’issue tragique de ce combat, il prit l’irrévocable détermination de ne plus se battre, et depuis lors, en effet, aucune attaque, quelque violente qu’elle fût, n’a pu l’ébranler dans sa digne et courageuse résolution.

Malgré la gravité de sa blessure, malgré la sincérité de ses regrets, il vit s’ajouter les haines de parti aux animosités intéressées dont il était l’objet, et il subit les plus cruelles attaques ; récriminations injustes, après tout, car si le combat avait eu un résultat à jamais déplorable, la plus grande loyauté, est-il besoin de le dire, y avait présidé.

À cette époque, M. de Girardin était député ; il avait été nommé en 1834, par le collège de Bourganeuf (Creuse), qu’il représenta à la Chambre jusqu en 1848. Son admission n’eut pas lieu sans de nombreuses difficultés ; on allait même jusqu’à lui contester ridiculement sa qualité de Français. Déjà, à l’époque de son mariage, il avait dû se présenter accompagné de sept témoins le connaissant de-Fuis un certain nombre d’années, et- dont attestation constitua un acte de notoriété destiné à tenir lieu d’acte de naissance. Plus tard, devant une commission de la Chambre des députés, son père, par une déclaration verbale, le reconnut pour son fils.

À la Chambre et dans son journal, il soutenait le gouvernement, mais souvent de la manière dont les gouvernements n’aiment pas être défendus, c’est-à-dire en ie conseillant librement, en le gourmandant quelquefois même assez rudement. Aussitôt après la validation laborieuse de son élection, iL avait essayé de former un groupe dont naturellement il eût été le chef, un parti de conservateurs progressistes : ce n’est pas la seule chimère que cet homme pratique ait poursuivie dans son existence active et tourmentée. À la Chambre, il ne joua pas un rôle fort importai’., et resta même dans une sorte d’isolement. La mobilité et le tour original de ses idées, son indépendance personnelle, son dogmatisme un peu impérieux n’étaient guère propres à en faire un chef parlementaire.-Ou il eût fallu de l’habileté, il n’avait que de l’audace.

Mais, dans son journal, il obtint de haute lutte les succès les plus brillants. Sa personnalité très-accentuée, son tempérament spécial, sa physionomie intellectuelle se" reflétaient avec exactitude dans la Presse, qui devint, sous sa direction, une de ces puissances avec lesquelles les puissants eux-mêmes doivent compter. Il y appelait, d’ailleurs, l’élite des écrivains de l’époque, surtout pour la partie littéraire. Quant à la marche politique qu’il lui imprima, elle fut assez capricieuse, ou du moins fort indépendante. Dans son scepticisme d’homme d’affaires, M. de Girardin est indifférent à quelque forme de gouvernement que ce soit, et se classe lui-même parmi les hommes politiques qui acceptent tout gouvernement comme un fait et se donnent pour but d’améliorer en conservant. Nous ne discutons pas cette théorie, qui peut avoir, qui a certainement sa valeur, mais qui, lans la pratique, conduit souvent à bien des léceptions. M. de Girardin en a fait lui-même l’expérience. Après avoir soutenu le ministère Mole, puis celui de M. Guizot, il fut conduit par la force des choses à faire une opposition redoutable. Sa devise, améliorer le gouvernement établi, est sans doute excellente, mais à la condition que ce gouvernement voudra bien se laisser améliorer, ou qu’on trouvera dans la constitution les moyens de faire cette opération sans lui, et même, au besoin, malgré lui. La forme des gouvernements et le mécanisme de leur organisation ne sont donc pas choses indifférentes, même et surtout pour les hommes pratiques. Son autre axiome, la Révolution par en haut, c’est-à-dire les réformes, l’œuvre de progrès par l’initiative du pouvoir, se vérifie bien rarement, on pourrait même dire presque jamais ; généralement, quand les gouvernements fout des réformes, c est à leur profit particulier, nullement pour augmenter la liberté et le bien-être des citoyens ; le plus souvent même, c’est pour les restreindre. Noua ne pousserons pas plus loin cette analyse sommaire des idées de M. de Girardin. Il en a beaucoup émis, dans le feu de ses improvisations ; mais il ne serait pas extrêmement difficile, croyonsnous, de démontrer que beaucoup sont purement chimériques ; chose assez piquante pour

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un homme qui se croit essentiellement pratique et simplificateur, et qui, sous certains rapports, n’est peut-être qu’un artiste politique. Toutefois, une justice à lui rendre, c’est qu’au milieu de ses soubresauts, de ses caprices, de son cliquetis de mots, de doctrines et d’antithèses, de ses revirements, de ses audaces suivies d’évanouissements subits, de ses témérités suivies de défaillances, de ses manœuvres agiles trop souvent décevantes, il est resté constamment fidèle à certaines idées primordiales et capitales ; par exemple, il a toujours défendu la liberté, la liberté entière, absolue, sous tous les régimes et dans toutes les situations, avec une persévérance et un courage bien remarquables à notre époque d’affaissement politique et moral. Cette foi à une idée, cette constance peuvent faire oublier bien des inconséquences et des erreurs.

En 1847, il était en plein dans l’opposition, sans être enrégimenté, d’ailleurs, dans aucun groupe ; car, soi toriginalité, soit orgueil ou conscience de sa valeur propre, il a toujours mis son honneur à marcher seul, du moins à ne marcher derrière personne, à ne relever que de lui-même. Il attaquait, avec tous les honnêtes gens, la corruption qui s’étendait, comme une lèpre, du gouvernement au pays. Le 3 juin de cette année, une demande en autorisation de poursuites est déposée contre lui, à l’occasion d’un article indigné relatif à uné promesse de pairie moyennant argent. L’autorisation est accordée par la majorité de la Chambre. Traduit à la barïe de la Chambre des pairs, M. do Girardin y comparait le 22 juin, sans défenseur, prononce une défense énergique et brève et, contre toute attente, est renvoyé des fins de la citation.

Le 14 février 1848, impuissant à arrêter le ministère sur la pente de l’abîme, il donne en ces termes sa démission de député :

« Entre la majorité intolérante et la minorité inconséquente, il n’y a pas de place pour qui ne comprend pas : "

Le pouvoir sans l’initiative et le progrès ; l’opposition sans la vigueur et la logique. Je donne ma démission. J attendrai les élections générales. »

Le 24 février au matin, à l’aspect de Pans armé et barricadé, il jugea d’un coupd’œil la gravité de la situation, se rendit aux Tuileries, et, le premier, conseilla au roi l’abdication, comme seul moyen de conjurer la crise. Il courut ensuite à travers les barricades pour annoncer partout cet acte ; mais déjà il était trop tard.

A.u lendemain de la révolution, avec sa décision habituelle, il avait pris son parti de la chute de la dynastie, et, par son fameux article intitulé Confiance.’ confiance ! il contribua à faire accepter la république parmi cette portion du public sur laquelle il avait influence, les grands industriels, spéculateurs et financiers.

Bientôt cependant, il fit une opposition véhémente au gouvernement provisoire, et souleva tant de colères par l’ardeur de ses attaques, qu’une troupe de patriotes égarés se rassembla le 30 mars devant les bureaux de la Presse, menaçant de saccager l’imprimerie, afin d’empêcher la publication du journal ; mais Ledru-Rollin accourut et "contribua à empêcher que le parti révolutionnaire ne se déshonorât par quelque violence. M. de Girardin, dans cette bourrasque qui se renouvela deux ou trois soirées de suite, montra beaucoup de courage et de sang-froid, attitude qui produit toujours un effet décisif dans notre pays, et qui ne contribua pas peu à ramener la foule au respect de la liberté de la presse et de la pensée. Toutefois, tout en reconnaissant son droit de parler librement, on n’en doit pas moins rappeler que ses articles, par leur ton agressif et tranchant, pouvaient facilement passer pour des œuvreâ de réaction.

Un fait assez remarquable, c’est que, malgré son immense notoriété, malgré la puissance que lui donnait son journal, malgré la réaction qui commençait à dominer et qui le regardait comme un de ses auxiliaires, il ne fut pas élu représentant à la Constituante, bien qu’il eût posé sa candidature. Cela tient sans doute aux dispositions particulières du public français pour le célèbre publiciste. 11 est de ces hommes dont on estime les talents supérieurs, qui peuvent conquérir le succès, l’engouement, soulever même à do certains moments l’enthousiasme, mais qui, au fond, n’inspirent que peu do confiance comme hommes politiques : la théorie, si attrayante qu’elle soit, n’a jamais satisfait qu’imparfaitement le caractère français. Cette disposition fâcheuse est bien réelle à son égard, il a pu souvent s’en convaincre. Peut-être cela tient-il aussi à l’instabilité, à la nature fugace, à la tactique capricieuse, qui forment les principaux traits de Sa physionomie du publiciste. Toujours est-il que, se sentant appelé à accomplir de grandes et utiles réformes, M. de Girardin a vivement désiré le pouvoir, et qu’il n’est parvenu à se faire accepter ni par la monarchie constitufionnelle, ni par la république, ni par l’empire, bien que, dans l’intérêt da ses idées il ait fait des avances à tous les régimes.

À la veille de l’insurrection de juin, son opposition était devenue d’une véhémence extrême. D’ailleurs, il combattait surtout alors ce qu’on nommait le parti du National, et l’on ne peut lui refuser d’avoir eu des pressentiments singulièrenteiit justes des ôvé-