Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 8, part. 4, Gile-Gyz.djvu/17

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nements. On en jugera par quelques lignes extraites do l’un de ses articles :

COURT DIALOGUE.

— Il faut que cela aille plus mal encore !

— Pourquoi donc ?

— Parce que nous n’avons plus qu’un moyen de garder le pouvoir qui nous échappe.

— Quel moyen ?

— C’est de rendre nécessaire la dictature du général Cavaignac.

Quelques jours plus tard, en effetj le général Cavaignac était investi d’une véritable dictature pour écraser l’insurrection. Au milieu de sa sanglante, mis’sion, il n’oublia pas de se venger du clairvoyant publiciste. Sur un ordre signé de sa main, M. de Girardin fut arrêté le 25 juin et emprisonné à la Conciergerie. En même temps la Presse était suspendue. Son rédacteur resta onze jours au secret, puis fut rendu à la liberté. Comparé aux fusillades, aux milliers d’arrestatio ns arbitraires, aux transportations sans jugement, cet emprisonnement sans doute est peu de chose, mais il n’en était pas moins illégal. Le journaliste le fit durement expier au soldat triomphant, d’abord en publiant après sa sortie le Journal d’un journaliste au secret, puis en reprenant, dans la Presse, qui put reparaître le 7 août, une guerre meurtrière qu’il poursuivit avec une opiniâtreté où les ressentiments personnels étaient plus apparents que les dissentiments politiques. Accoutumé de longue date à faire à peu près flèche de tout bois, il appuya la candidature de Louis-Napoléon à la présidence, probablement sans une profonde conviction, mais avec une ardeur avivée de toute la haine qu’il portait à Cavaignac. Après l’élection du 10. décembre, on lui proposa la direction des postes, la, préfecture de policé, l’ambassade de Naples ; mais il refusa successivement toutes ces positions, déclarant qu’il n’accepterait jamais qu’une fonction où il pourrait appliquer ses idées en matière de gouvernement : en d’autres ternies, il voulait être ministre ; et mémo il avait, très-certainement dans cette vue, dans cet espoir, présenté à Louis-Napoléon, dès le 14 décembre, une Note sur une nouvelle organisation des ministères. Ecarté, redouté peut-être à cause de son indisciplinable personnalité, il retomba dans son isolement et ne tarda pas à se jeter dans l’opposition, dans le grand courant de l’époque, et, peu de temps après, on le vit faire adhésion au socialisme. Bientôt il publia une feuille popufaire, le Bien-être universel, et se présenta dé nouveau au suffrage des électeurs de Paris ; mais, s’étant refusé à placer la république au-dessus du droit des majorités, au-dessus du suffrage universel, il fut repoussé par le conclave socialiste, chargé de-préparer les élections.

Toutefois, dans une élection partielle, il fut élu dans le Bas-Rhin, siégea à la Montagne et prit part aux débats orageux des derniers temps de la République.

Après le 2 décembre, il fut compris dans une des listes des représentants expulsés du’ territoire français, se rendit à Bruxelles, où il publia un volume intitulé la Politique universelle, et obtint de rentrer, deux mois après son bannissement, à l’occasion de la mort de sa belle-mère, Mme Sophie Gay. Il reprit alors la direction de la Presse ; mais, avec ses habitudes de libre discussion, il était présumable qu’il s’accommoderait difficilement du régime imposé aux journaux. Il s’attira en effet plusieurs avertissements, se retira de la rédaction et finit par vendre au banquier Millaud, moyennant 800,000 fr., les quarante actions qu’il possédait dans la propriété du journal.

Lors de la suspension de la Presse, en décembre 1857, M. de Girardin, qui n’avait cessé de porter intérêt k cette feuille qu’il avait créée, aussi bien qu’au personnel, eut l’idée, pour occuper les compositeurs pendant les deux mois que devait durer l’interruption du journal, de réimprimer en volumes ses principaux articles, sous le titre de Questions de mon temps. Déjà, au commencement de 1848, il avait associé dans les bénéfices les travailleurs de la Presse, qui firent à cette occasion frapper une médaille en son honneur, cornme marque de reconnaissance pour une aussi noble et intelligente initiative.

En 1855, M. de Girardin était devenu veuf ; dix-huit mois plus tard, il se remaria avec Mlle Mina de Tieffenbach, dont il eut une fille, qu’il.eut le malheur de perdre à Biarritz en 1805. Cette union ne fut pas heureuse et aboutit, en 1872, à une séparation de corps prononcée par les tribunaux.

Pendant la période où il était rentré dans la vie privée, le célèbre publiciste, dont l’esprit s’éparpille dans toutes les directions, écrivit une comédie, la Fille du millionnaire, qui est une glorification de l’homme de bourse. Plus tard il composa d’autres pièces, le Supplice d’une femme, les Deux sœurs (1865). Ces œuvres ont été représentées avec fracas. Elles sont analysées dans le Grand Dictionnaire.

Rappelé, à la fin de 1862, à la direction de la Presse, il en sortit en 1866, à la suite de dissentiments qu’on n’a pas oubliés. Le journal avait reçu, coup sur coup, deux avertissements ; les principaux propriétaires s’émurent ; M. de Girardin, dont les intérêts étaient

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également engagés, se refusa cependant à sacrifier le collaborateur qui avait fait éclater l’ouragan administratif. De là des dissensions qui amenèrent sa- retraite, ainsi que celle da ses principaux collaborateurs, du journal la Presse, qui a continué depuis à paraître, mais qui, privée du vaillant travailleur qui en avait fait le succès, est restée comme une carapace desséchée, comme un cadavre d’où s’est enfuie la vie.

En se retirant, M. de Girardin ne songeait nullement à quitter le terrain de la politique militante. Bien au contraire, surexcité encore par les contrariétés qu’il venait de subi», il ne songeait qu’à fonder rapidement un autre journal. Il (allait alors 1 autorisation préalable du gouvernement. Pressé d’agir, l’impétueux publiciste, au lieu de se soumettre à ces longueurs, acheta la propriété d’une feuille languissante et obscure, la Liberté, qu’il transforma complètement.

Vendu à 10 centimes le numéro, prix inférieur au prix de revient, ce journal eut un brillant succès. Son tirage s’éleva rapidement à 60,000, ce qui constitua bientôt pour son propriétaire une perte considérable et le força à le vendre, au bout de quelques mois, 15 centimes. M. de Girardin continua à attirer sur lui l’attention publique, en’ traitant dans son journal les questions les plus diverseâ avec sa vivacité habituelle. Quoiqu’il fût bien en cour, il ne ménageait pas ses critiques à la politique de M. Rouher. Dans la séance du 28 février 1867, le ministre d’État ayant prononcé ces paroles : « Nous avons conduit le pays, graduellement et chaque année, à des destinées meilleures, » M. de Girardin écrivit deux jours après, dans la Liberté, suus ce titre : les Destinées meilleures, un article qui eut un grand retentissement et qui lui valut d’être traduit en police correctionnelle. Condamné, le 6 mars, à 5,000 fr. d’amende, — comme ayant excité à la haine et au mépris du gouvernement, l’ardent publiciste en conçut une vive irritation, déclara, publiquement dans son journal qu’il rompait toute relation avec la famille impériale, et ne s’appela plus, pendant quelque temps, que « le condamné du 6 mars. » Peu après, la vente de la Liberté fut inte’rdite sur la voie publique, et une nouvelle condamnation venait frapper son rédacteur en chef.

Après avoir fait le rêve de la paix perpétuelle du bon abbé de Saint-Pierre et écrit de nombreux articles contre la guerre, M.’de Girardin, brillamment aidé ’ par son jeune collaborateur, M. Duvernois, ht, en 1868, une longue campagne pour que la France déclarât la guerre k 1 Allemagne et conquît la Belgique. Peu après, bien qu’il n’eût cessé de critiquer vivement l’administration, il se déclara contre la souscription Baudin, que venaient d’ouvrir plusieurs journaux démocratiques. En 1869, lorsque le gouvernement, poussé par la voix de l’opinion publique, annonça le retour à la responsabilité des ministres et des réformes constitutionnelles, M. de Girardin demanda au pouvoir de ne pas s’arrêter aux demi-mesures, mais de donner sans restriction toutes les libertés confisquées lors du 2 décembre 1851. Satisfait de la démission de M. Rouher comme ministre dirigeant (juillet 1869), il cessa aussitôt de poursuivre le système de ses critiques acerbes.. Bien plus, l’administration de M. Haussmann étant devenue l’objet des attaques les plus ardentes, non-seulement il défendit ce dernier avec chaleur, mais il demanda qu’on lui donnât le ministère des travaux publics. Ami de M. Emile Ollivier, il contribua à son avènement au pouvoir (2 janvier 1870) en le présentant comme l’homme de la situation,

comme le ministre qui devait asseoir définitivement l’empire en le régénérant par la liberté. Ses illusions à cet égard furent promptement déçues. Toutefois, s il reprocha, à plusieurs reprises, à M. Ollivier sa politique de tâtonnement, il ne lui fit point la guerre, se rallia de plus en plus à l’empire et fut un des plus chauds promoteurs dû plébiscite. Lorsque la candidature du prince de Hohenzollern au trône d’Espagne vint provoquer entre la France et la Prusse un conflit à jamais regrettable, le rédacteur en chef de la Liberté demanda la guerre à grands cris, se signala entre tous par son ardeur belliqueuse et contribua de tout son pouvoir à nous lancer dans la plus désastreuse dés aventures. Sur ces entrefaites, il vendit la Liberté à M. Léonce Détroyat et reçut, en récompense de l’ardeur avec laquelle il venait d’exalter la politique gouvernementale, un siège au Sénat ; mais le décret de sa nomination, daté du 27 juillet, ne fut point inséré au Moniteur, et, par suite des événements, il resta lettre morte. Après la révolution qui balaya l’empire, M. de Girardin quitta Paris (10 septembre), et il alla se fixer k Tours, qui était devenu le second centre politique de la France. La délégation gouvernementale, à laquelle il offrit ses services, ne jugea pas à propos de les accepter ; il continua alors k , écrire dans la Liberté, qui parut successivement à Tours et à Bordeaux, tant que dura la guerre. Après la capitulation de Paris, M. de Girardin retourna dans cette ville et saisit toutes les occasions pour attaquer, dans son ancien journal, le gouvernement de la défense nationale. Pendant la Commune, M. de Girardin fit paraître, le 5 mai, une feuille intitulée l’Union française, journal de la république fédérale, dans laquelle il impu GIRA

tait à la division do la France en 86 départements tous les malheurs de notre pays et recommandait comme remède le partage du sol national en 15 États indépendants, avec des chambres et sénats spéciaux. L’Union française n’eut qu’une courte existence. Elle fut supprimée, le 15 mai, par la Commune.

M. de Girardin, avec son tempérament d’homme et de publiciste, avec sa physionomie accentuée, est véritablement un des types de notre temps. Il y a en lui, comme on l’a déjà dit, croyons-nous, du Beaumarchais et de l’Américain. Spéculateur, publiciste, homme politique, industriel, économiste, auteur dramatique, il a touché à tout, hâtivement et sans laisser une empreinte bien profonde, il faut l’avouer, mais avec une verve, une furie française qu’il a portéo jusque dans les affaires. Telles de ses entreprises ont en effet la même hardiesse, la même crânerie d’allures, s’il est permis de s’exprimer ainsi, que ses articles les plus vigoureusement frappés. Sans doute, ses idées, ses systèmes, ses solutions sont improvisés plutôt que médités, et il a plus souvent cherché l’éclat que la profondeur ; il est même souvent paradoxal, comme les hommes qui veulent, a toute heui-e, dire leur mot sur toutes les questions et forcer l’attention en poursuivant l’imprévu ; on pourrait même le considérer, sous certains rapports, comme un virtuose plutôt qu’un penseur ; les contradictions’abondent dans ses écrits, précisément

à cause de la rapidité de ses conceptions, qui jaillissent au jour le jour de l’esprit le plus impressionnable et le plus librement spontané. Mais il n’en a pas moins semé une infinité d’idées originales et hardies dont beaucoup eussent mérité plus de succès pratique qu’elles n’en ont eu. Il lui est arrivé, en eftet, ce désagrément de voir la plupart de ses idées repoussées ou dédaignées ; cela tient sans doute un peu à l’abondance même avec laquelle il les a prodiguées. En 1848, il avait ouvert une colonne de la Presse k tous les systèmes, en annonçant l’émission d’une idée par jour. C’était trop ; l’esprit public ne peut être ainsi surmené. L’homme d’une seule idée a beaucoup plus de chances de triompher : il persiste, s’acharne, et finit.souvent par enlever le succès. On connaît assez la manière littéraire de M. de Girardin : son style est- négligé, comme celui de tous les improvisateurs ; il procède souvent par axiomes brefs, dogmatiques et tranchants ; en somme, malgré la multiplicité de ses écrits, malgré l’abus de l’alinéa, des répétitions et do l’antithèse, il est lu, discuté, contesté ou approuvé, et, depuis plus de trente ans, il a ce privilège peu commun d’attirer l’attention et d’occuper les esprits aussitôt qu’il prend la plume. Il a publié beaucoup d’écrits, dont plusiéurs sont des collections de ses anciens, articles. Outre ceux que nous avons mentionnés, nous citerons : be la presse périodique au XIXe siècle (1837) ; De l’instruction publique (1838) ; Études politiques (1838) ; De la liberté de la presse et du journalisme (1842) ; les Cinquante-deux, suite d’écrits sur les questions à l’ordre du jour (Î849-1854, 11 vol. in-18) ; Questions administratives et financières (1848) ; l’Abolition de la misère par l’élévalion des salaires (1850) ; Y Abolition de l’autorité par la simplification du gouvernement (1851) ; la Liberté dans le mariage par l’égalité des enfants devant la mère (1857). Il a publié plus récemment (de 1864 à 1872, 10 vol. in-8°), pour faire suite aux 12 volumes qui composent les Questions de mou temps, signalées plus haut : Paix et liberté, questions de l’année 1863 ; Force ou richesse, questions de l’année 1864 ; Pouvoir et impuissance, questions de l’année,1865 ; le Succès, questions de l’année 1S6G ; le Condamné du 6 mars, questions de l’année 1867 ; la Voix dans le désert, questions de l’année 1868 ; l’Ornière, questions de l’année 1869 ; le Gouffre, questions des années 1870 et 1871 ; les Droits de la pensée, questions de presse (1830 à 1864) ; Questions philosophiques (1852 à 1857). Citons encore : Du droit de punir (in-8°) ; Hors Paris (Bordeaux, in-8°) ; l'Union française, extinction de la guerre civile (1871, broch. in-s°) ; l’Homme et la femme, l’homme suzerain, la femme vassale, réponse k Y Homme-femme de M. Dumas fils (1872, in-18).

GIRARDIN (Delphine Gay, Mme Emile de), femme de lettres française, épouse du précédent, néeh Aix-la-Chapelle le 26 janvier 1804, morte à Paris le 29 juin 1855, Elle débuta sous les auspices de sa mère, Mme Sophie Gay, dans la Muse française, et se fit vite remarquer. A quinze ans, elle manifestait un talent précoce, et de plus elle était fort belle, précisément de cette beauté sentimentale et rêveuse, misé k la mode par tous les romans de l’époque. On la comparait tout naturellement à Corinne chantant au cap Misène ses odes inspirées. En 1822, elle obtint un prix académique pour un petit poëme intitulé les Sœurs de SainteCamille, et elle publia successivement quelques-uns de ses meilleurs morceaux poétiques, Magdeleine, Amélie, la Veuve de Naïm, ji/lle déLa Vatlière, Napoline. Elle reçut de Charles X une pension pour sa Vision de Jeanne JJarc, allégorie composée à l’occasion du sacre. Pendant un voyage qu’elle fit vers le même temps en Italie, elle fut rencontrée par Lamartine, qui n’a pas dédaigné de retracer les attitudes, pendant cette entrevue, de celle qu’on appelait alors la dixième Muse.

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La scène avait lieu près de la cascade de Vellino, à Terni : < Elle était assise, nous dit le poète, sur un tronc d’arbre que les enfants des chaumières voisines avaient roulé la poulles étrangers ; son bras, admirable de forme et de blancheur, était accoudé sur le parapet. Il soutenait sa tète pensive ; sa main gauche, comme alanguie par l’excès des sensations, tenait un petit bouquet de pervenche et de fleurs des eaux noué par un fil, que les enfants lui avaient, sans doute, ceuilli et qui traînait, au bout de ses doigts distraits, dans l’herbe humide.

Sa taille élevée et souple se devinait dans la nonchalance de sa pose ; ses cheveux abondants, soyeux, d’un blond sévère, ondoyaient au souffle impétueux des eaux, comme ceux des sibylles, que l’extase dénoue, etc., etc. » Tel était le goût d’alors, et toute sa vie Mme de Girardin fut ainsi traitée en reine par nos plus grands écrivains. Que de portraits semblables k celui-là et inspirés, oe semble, par une véritable extase, nous ont laissés délie Sainte-Beuve, Théophile Gauthier, Paul de Saint-Victor, Jules Janin et bien d’autres !

En 1831, Delphine Gay devint la femme de M. Emile de Girardin, et, sans abandonner la poésie, elle écrivit, d’une plume alerte, des romans et des articles de critique dans les divers journaux que fondait alors, avec son activité remuante, le fécond publiciste. Les romans, le Lorgnon (1831), le Marquis de .Poutanges (1835), la Canne de M. de Balzac (1836), furent très-remarques ; ils ont été réunis sous-le titre de Nouvelles, dans la réiin ? pression de ses Œuvres complètes (1856, 8 vol. in-18) ; mais ce fut surtout dans les Lettres parisiennes, feuilleton hebdomadaire de la Presse, signé du vicomte de Launay, qu’elle sema le plus de pages aimables et spirituelles. On peut cependant remarquer que la sensibilité fait absolument défaut au brillant causeur et qu’on trouve de tout, dans ces Lettres, de la verve, de la malice, des paradoxes amusants, mais jamais un mot qui parte du cœur. Du reste, k examiner de près même ses poésies, où la sentimentalité domine, on s’aperçoit vite que Mme de Girardin n’a voulu que faire du style et que son émotion est maniérée.

Donnons ici, sur ces articles destinés à être lus au jour le jour, et qui, cependant, ont mérité d’être réimprimés en séries, l’opinion de Sainte-Beuve. « Le feuilleton créé par M">e de Girardin, en 1836, sous le titre de Courrier français, dit-il, était piquant, léger, gai, paradoxal et pas toujours faux. En général, il ne faut pas appuyer en le lisant, La société parisienne est observée à fleur de peau ; elle est saisie dans son travers, dans son caprice d’une saison, d’un seul jour, d’une seule classe qui se dit élégante par excellence. Une course de chevaux, une cliusse, une mode nouvelle, une chose frivole prise au sérieux, une sérieuse prise-nu frivole, ce sont lk ses sujets, ses triomphes ordinaires et faciles. Elle arrive, elle entre dans son sujet comme dans un salon, ayant d’avance ses partis pris d’être gaie, aimable, éblouissante, au rebours du lieu commun (je n’ai pas dit du sens commun), et elle tient sa gageure. Des mots heureux, imprévus, tout à fait drôles font oublier l’absence du fond ; elle a du facétieux. On rit, on est déconcerté, on oublie un moment, par la finesse et les saillies de détail, ce qui souvent est une complète moquerie ou mystification de la nature numnina. Le blanc et le noir, le vrai et le faux, elle vous retourne tout cela, et ce serait du vrai pédantisme, auprès d’elle, que de s’en préoccuper. L’auteur écrit ces petits feuilletons si. légers d’un style des plus nets, et les compose avec un art parfait ; l’imagination aussi s’en mêle. «

Mme de Girardin s’essaya aussi au théâtre avec un certain succès ; mais ce sont ses petites pièces, et non ses grandes, qui ont été le plus goûtées. Son premier essai fut l’École des journalistes, satire assez anodine des mecurs du jour, qui fut reçue à la Comédie-Française, mais que la censure arrêta. Nous en avons donné l’analyse. (V. École niiS journalistes.) À cette comédie succéda une ’tragédie, Judith, écrite pour Raohel, puis Cléopâlre (1847) ; Lamartine met cette pièce au-dessus de toutes les autres ; Sainte-Beuve, au contraire, la place au dernier rang. C’est la faute du mari, proverbe en un acte (1851) ; Lady Tartufe, un des triomphes de Rachel dans la comédie (1853) ; la Joie fait peur, comédie en un acte (1854), et le Chapeau d’un horloger (1856) attestèrent la flexibilité du talent de l’auteur, à qui l’on ne peut refuser, malgré le manque de relief de la plupart de ses productions, l’esprit d’observation, l’entente du théâtre et une vivacité de style qui masque la faiblesse des conceptions. « Comme écrivain, dit encore Sainte-Beuve, Mme de Girardin a eu trois manières, s’il vous plaît, trois formes poétiques distinctes : la première forme, régulière, classique, brillante et sonore, qu’on peut rapporter k Soumet ; la seconde forme, qui date de Napoline, plus libre, plus fringante, avec la coupe moderne, et où Musset intervient ; la troisième forme enfin, qu’elle a déployée dans Cléopâtre, et où elle ose au besoin tout ce que se permet en versification le drame moderne. Il est remarquable que les femmes, si habiles et si maitresses qu’elles soient, trouvent rarement leur forme elles-mêmes ; elles en usent bien, mais elles l’ont empruntée à un autre. De ces trois for-