mirer l’influence du génie du christianisme sur le génie de l’histoire. Politique comme Thucydide, moral comme Xénophon, éloquent comme Tite-Live, aussi profond et aussi grand peintre que Tacite, l’évêque de Meaux a de plus une parole grave et un ton sublime, dont on ne trouve ailleurs aucun exemple, hors dans le début du livre des Macchabées,
« Bossuet est plus qu’un historien, c’est un Père de l’Église, c’est un prêtre inspiré, qui souvent a le rayon de feu sur le front, comme le législateur des Hébreux. Quelle revue il fait de la terre ! Il est en mille lieux à la fois ! Patriarche sous le palmier de Tophel, ministre à la cour de Babylone, prêtre à Memphis, législateur à Sparte, citoyen à Athènes et à Rome, il change de temps et de place à son gré ; il passe avec la rapidité et la majesté des siècles. La verge de la loi à la main, avec une autorité incroyable, il chasse pêle-mêle devant lui et juifs et gentils au tombeau ; il vient enfin lui-même à la suite du convoi de tant de générations et, marchant appuyé sur Isaïe et sur Jérémie, il élève ses lamentations prophétiques à travers la poudre et les débris du genre humain.
« La première partie du Discours sur l’Histoire universelle est admirable par la narration ; la seconde, par la sublimité du style et la haute métaphysique des idées ; la troisième, par la profondeur des vues morales et politiques. »
Nous pourrions multiplier ces citations, mais sans apprendre rien de nouveau à nos lecteurs. Qui n’a lu mille fois de magnifiques éloges de cet ouvrage, devenu véritablement classique, et dans lequel, tous, nous avons pour ainsi dire appris à lire ? Sous le rapport littéraire, ces éloges, peut-être excessifs, sont cependant en grande partie mérités. Nous retrouvons ici les grandes qualités, les qualités de génie de Bossuet, son éloquence biblique et magistrale, rapide comme les images elliptiques d’Isaïe, éclatante et fortement nourrie, capable de condenser tous les tons, tous les mouvements dans une seule phrase, sans rien perdre de sa majestueuse simplicité ; nous retrouvons aussi ce style merveilleux, à larges images synthétiques, qui dogmatise et émeut toujours, qui s’impose et qui entraîne, alors même qu’il ne convainc pas.
Mais si l’on veut juger cette étonnante production au point de vue de l’histoire et de la philosophie historique, on redescend forcément alors des hauteurs où vous avait emporté l’orateur et l’écrivain.
Dans la biographie de Bossuet, nous avons déjà résumé, sur ce sujet, l’opinion qui nous paraît assez générale aujourd’hui. Nous y renvoyons le lecteur. Disons seulement ici que le cercle d’idées dans lequel se trouvait enfermé le prélat l’a conduit à donner à son monument les formes mesquines de l’histoire d’un peuple et d’une secte, au lieu d’en faire le récit général des actes de l’humanité. Subordonner l’histoire de l’univers à celle du peuple juif et du christianisme est un point de vue qui paraîtra désormais misérable. Mais ceci n’est qu’un défaut de proportion, inévitable dans la situation que le hasard des temps avait faite à Bossuet ; un reproche plus grave, parce qu’il s’adresse à son caractère hautain et impérieux, c’est d’avoir fait de l’histoire universelle un enseignement de despotisme pour les rois, d’aveugle obéissance pour les peuples.
On sait que c’est au Discours sur l’Histoire universelle que songeait Voltaire en écrivant son admirable Essai sur les mœurs. C’est cet ouvrage célèbre qu’il voulait, non pas seulement réfuter, mais remplacer. Nous avons donné plus haut des opinions tout à fait favorables ; terminons par une citation d’une autre nature empruntée à l’édition de Voltaire donnée par M. Georges Avenel, qui oppose ici son auteur à l’aigle de Meaux :
« Bossuet, prêtre et homme d’État, avait osé, dans son Discours sur l’Histoire universelle, fabriquer une histoire selon son Église, selon sa politique, et toute à l’usage ne la cour où il vivait et des princes qu’il éduquait ; il avait confisqué l’humanité entière à son profit et au leur ; il l’avait concentrée, emprisonnée dans Israël, dans Rome, puis dans la France, en même temps que Louis XIV centralisait toute la vie de cette nation même dans son Versailles ; et cette histoire, qui, loin d’être une universalité, était, au contraire de son titre, déterminée, spéciale, particulière, pesait sur les esprits de tout le poids de l’autorité sacerdotale et intellectuelle de son auteur. » Nous ne savons ce qu’il faut penser de la conclusion de l’auteur de ce passage, qui met l’Essai sur les mœurs au-dessus du Discours sur l’Histoire universelle ; mais nous ne pouvions donner sans restriction l’éloge d’un livre dont l’unité, tant admirée, se résume en ces deux mots : despotisme et superstition.
Histoire universelle (An Universal history),
par une société de savants, vulgairement appelée
Histoire des Anglais (Londres, 1736-1765,
26 vol. in-fol. ; 1747-1765, 67 vol. in-8o ;
1779-1784, 60 vol. in-8o). Cette immense compilation
est la mise en œuvre d’une foule de
matériaux précieux à consulter. Adoptée et
complétée de bonne heure par les Allemands,
elle donna une impulsion décisive aux études
historiques, tant par les nouveaux horizons
qu’elle ouvrit aux historiens que par les défauts
mêmes que les traducteurs allemands y
remarquèrent tout d’abord, et qu’ils s’efforcèrent
de faire disparaître. La première édition
allemande de cet important ouvrage est due
à Baumgarten et à Semler (60 vol. in-8o). Il
en existe aussi deux traductions françaises,
l’une par une société de gens de lettres (Amsterdam,
1742-1798, et Paris, 1802, 46 vol. in-4o), et l’autre par Letourneur, Dussieux, etc. (Paris, 1770-1791, 126 vol. in-8o).
Histoire universelle (abrégé de l’), par le comte Louis-Philippe de Ségur (Paris, 1817, 44 vol.). Sans appartenir à l’ordre scientifique, cette histoire est instructive et d’une lecture
agréable ; c’est un des meilleurs ouvrages de
ce genre qu’on puisse mettre entre les mains
de la jeunesse. On y trouve des détails neufs
et piquants, des pensées ingénieuses, des
portraits finement tracés, dans une langue
claire, élégante, aisée, agréable. La narration
est morale, intéressante, exempte de
toute affectation. Elle instruit en attachant,
et, sans fatiguer le lecteur, lui donne d’utiles
leçons.
L’auteur raconte à tour de rôle l’histoire complète et non interrompue de chaque peuple. Il est sobre d’appréciations politiques. Néanmoins, il n’a pas su toujours demeurer impartial. Malgré lui, à son insu, ses sentiments royalistes ont quelque peu fait dévier son jugement.
Histoire universelle de l’ancien monde et de sa civilisation (coup d’œil général sur l’), par Schlosser (Heidelberg, 1826-1834, 9 tomes en 3 vol.), traduit en français par A. de Golbéry, sous le titre d’Histoire universelle de
l’antiquité (Paris, 1828, 3 vol. in-8o). Dans
cet ouvrage, l’historien, un des plus distingués
de l’Allemagne, s’est attaché à présenter
le tableau de la marche intellectuelle
de l’humanité depuis l’origine du monde.
Divisant l’histoire ancienne en époques, il
expose, dans chaque époque, tout ce que l’esprit
humain peut présenter de remarquable
chez les diverses nations, et fait suivre les
aperçus des faits de considérations sur les
institutions politiques, les progrès des sciences
et des arts. Schlosser a fait preuve dans
ce livre de la plus vaste érudition et d’une
rare sagacité. Il n’a pas craint de dépasser
les limites de l’histoire et de remonter avec
les savants jusqu’aux premières révolutions
du globe. En un mot, c’est un ouvrage historique
rempli de recherches profondes et d’une
grande valeur.
Histoire universelle (introduction à l’), par M. Michelet, publiée en 1831. Ce livre
pourrait, comme le dit l’auteur dans son éloquente
préface, être intitulé : Introduction à
l’histoire de France ; en effet, M. Michelet est
arrivé par la logique et par l’histoire à cette
conclusion unique, que « notre glorieuse
patrie est désormais le pilote du vaisseau de
l’humanité ; » mais, ajoute-t-il, « ce vaisseau
est emporté par la tourmente, » tourmente
éminemment progressive et dont notre révolution
est certainement la phase la plus importante.
C’est ce mouvement, bien digne à
coup sûr de l’attention d’un esprit élevé et
d’un grand écrivain, que l’auteur a voulu
comprendre et expliquer dans son Introduction à l’histoire universelle, la première en
date de ses œuvres historiques. Il commence
par poser en principe que depuis la naissance
du monde il s’est établi une lutte entre l’homme
et la nature, l’esprit et la matière, la liberté
et la fatalité. La liberté a toujours réclamé
dans la société ; il est temps qu’elle réclame
dans la science, que cette dernière vienne lui
donner sa plus légitime consécration et que
les temps modernes apprennent à respecter
cette force restée toujours vivace dans les
sociétés antiques, si décriées aujourd’hui. Si
l’œuvre de M. Michelet atteint son but, l’histoire
apparaîtra comme l’éternelle protestation,
comme le triomphe lent, mais progressif,
de la liberté.
Telle est l’idée fondamentale de l’Introduction à l’histoire universelle. On devine ce que doit être le corps de l’ouvrage quand on connaît la base ; ce ne sont que des preuves à l’appui de la thèse que soutient l’auteur, et une revue des histoires des différents peuples au point de vue de la liberté. Dans les temps anciens, la liberté humaine, qui ne meurt pas, poursuit son affranchissement de l’Égypte à la Judée, comme de l’Inde à la Perse. Mais il est un pays où elle rencontre des entraves plus grandes qu’ailleurs, c’est en Asie, le pays de la nature. Ce n’est point ici le lieu de discuter cette opinion de M. Michelet et de rechercher si, bien réellement, l’Asie, plus qu’un autre pays, s’est opposée au mouvement progressif de la liberté et si la cause de cette opposition découle du panthéisme. M. Michelet lui-même soutiendrait-il aujourd’hui cette opinion ? Nous en doutons fort. L’auteur nous montre ensuite l’homme, dans les sociétés modernes, se séparant du monde naturel de l’Asie et se faisant par l’industrie, par l’examen, un monde qui relève de la liberté. Voulez-vous savoir d’où nous vient la liberté, à nous Français ? N’allez pas chercher son origine en Allemagne, cette patrie de la féodalité. Non ; l’Allemagne, trompée par le fini, s’adressa à l’infini. Après s’être immolée à son seigneur, à sa dame, que refusera-t-elle à son Dieu ? Rien ! ni sa moralité, ni sa liberté ; elle jettera tout dans cet abîme ; elle confondra l’homme dans l’univers et l’univers en Dieu. Elle adoptera le panthéisme de Schelling, et l’adultère de la matière et de l’esprit sera de nouveau couronné. L’Allemagne c’est l’Inde en Europe. Chez elle, la liberté dans les actes n’appelle pas celle de la pensée, témoin Luther, qui déclame contre la tyrannie des papes et supprime le libre arbitre. Le pays qui nous a transmis la liberté, c’est l’Italie ; car l’Italie, au contraire de l’Allemagne, fait descendre Dieu à elle, le matérialise, le forme à son gré et ne voit, pour ainsi dire, en lui qu’un objet d’art. Elle ne se donne pas à l’homme ; son poème chevaleresque Orlando Furioso est une violente satire de la chevalerie ; enfin l’Italie a eu une architecture civile avant les autres nations et, pendant que ces dernières bâtissaient des églises, elle construisait des routes. Voilà les principales opinions émises dans cette œuvre, remarquable à plus d’un titre par la hardiesse des idées et quelquefois aussi par leur incohérence. Imagination ardente, M. Michelet ne voit devant lui que la liberté : elle le fascine, l’aveugle ; il l’exalte où il croit la voir, elle le grise, qu’on nous pardonne le mot, et sa plume laisse échapper de ces dithyrambes dont ses adversaires se sont malignement emparés depuis pour les lui opposer. On devine de quel passage nous voulons parler : « J’ai baisé de mon cœur la croix de bois qui s’élève au milieu du Colisée. Vaincue par elle, de quelles étreintes la jeune foi chrétienne dut-elle la serrer, lorsqu’elle apparut dans cette enceinte entre les lions et les léopards ! Aujourd’hui encore, quel que soit l’avenir, cette croix, chaque jour plus solitaire, n’est-elle pas pourtant l’unique asile de l’âme religieuse ? L’autel a perdu ses honneurs ; l’humanité s’en éloigne peu à peu, mais, je vous en prie, oh ! dites-le-moi, si vous le savez : s’est-il élevé un autre autel ? » Voilà qui est certainement fort éloquent en faveur de la foi chrétienne ; il est vrai que M. Michelet n’entonne pas des hymnes moins splendides en l’honneur de la liberté. L’Introduction à l’histoire universelle restera comme un des plus beaux plaidoyers qui aient été écrits en faveur de la liberté, à laquelle M. Michelet a donné ses grandes lettres de naturalisation dans l’histoire universelle.
<section}} begin="Histoire universelle, par César Cantù"/>Histoire universelle, par César Cantù. C’est
le livre d’histoire le plus volumineux que l’Italie
ait vu paraître en ce siècle. L’œuvre de
Cantù parut d’abord en 1837 et années suivantes,
à Turin, en 35 volumes in-8o, et, malgré
son étendue, malgré le tirage considérable
qui en avait été fait, elle se trouva épuisée
en peu de mois. À la fin de 1842, l’éditeur
en annonçait déjà la septième édition. Deux
réimpressions en avaient, en outre, été faites
à Palerme et à Naples, et il en avait paru
des traductions en français (Aroux et Léopardi),
en allemand et en anglais. Cet ouvrage
est le résultat d’immenses lectures et
d’un travail infatigable. L’auteur a su mettre
à profit et ranger dans un ordre simple et
méthodique tout ce qui a été publié de plus
remarquable dans tous les pays par les écrivains
les plus accrédités ; il présente avec
clarté et avec art le résultat de ses savantes
recherches. Son style, à la fois élégant et
précis, est regardé comme un modèle.
Impartial et vrai avant tout, rarement il se laisse égarer dans ses appréciations par ses sentiments religieux, et jamais il ne se laisse aller, dans l’intérêt d’une cause, à dénaturer les faits. Nous n’avons trouvé nulle part de peinture plus vive des désordres du clergé au moyen âge.
L’auteur n’a pas suivi la méthode ethnographique, parce que trop de faits importants, qui apparaissent dans l’ensemble de l’histoire de l’humanité, échappent à l’étude isolée de chaque peuple. Mais, pour faciliter la lecture, il a divisé son ouvrage en périodes fort étendues, surtout pour les temps anciens. Ces périodes sont au nombre de dix-huit : 1re époque, les Origines ; 2e époque, De la dispersion aux olympiades ; 3e époque, Des olympiades à Alexandre ; 4e époque, Guerres puniques ; 5e époque, Guerres civiles ; 6e époque, De Jésus-Christ à Constantin ; 7e époque, De Constantin à Augustule ; 8e époque, les Barbares ; 9e époque, Mahomet ; 10e époque, Carlovingiens ; 11e époque, les Croisades ; 12e époque, les Communes ; 13e époque, Chute de l’empire d’Orient ; 14e époque, les Découvertes ; 15e époque, la Réforme ; 16e époque, Louis XIV et Pierre le Grand ; 17e époque, le XVIIe siècle ; 18e époque, la Révolution. Dans la dernière édition, l’Empire, la Restauration et 1830 forment la matière de nouvelles études poussées jusqu’en 1846.
Par la fixation de ces périodes, Cantù a tâché de réunir les avantages des deux systèmes, ethnographique et chronologique, en comprenant la vie entière de quelques nations dans une seule époque. Cependant, fidèle à sa méthode, sans en être l’esclave, il n’a pas voulu suspendre l’histoire de tous les peuples à l’année que signala la révolution d’un seul ; il a différé de parler de quelques-uns jusqu’à l’instant où ils sont venus coopérer à la civilisation commune, ou anticipé sur les temps pour exposer leur agonie et leur mort. Il s’est aussi étudié à faire entrer dans le récit le plus de particularités possible concernant la vie intellectuelle et morale de chaque peuple. Quant à celles qui réclamaient des considérations spéciales ou un coup d’œil d’ensemble, il leur a réservé une place à part. Son but principal a été l’enchaînement des faits et des idées. Cantù n’a rien négligé pour s’élever et se maintenir à la hauteur des conquêtes journalières de la science. Ne se laissant aveugler ni par la haine ni par l’affection, sans admiration naïve, sans stérile désenchantement, il n’a plus les illusions de la jeunesse, mais il en a conservé les ardeurs généreuses. Aussi aime-t-il son pays sans déprécier les autres. Admirateur du passé sans le regretter, content du présent sans en dissimuler les maux, il regarde l’avenir avec espoir et confiance.
Éminemment impartial, il ne fait pas parade de politique vulgaire et de vérités banales ; mais, étudiant les hommes comme hommes, sans acception de renommée, de rang, de patrie, il prononce hardiment ses arrêts selon le droit et la vérité. Répudiant le faste d’une dignité d’apparat, qui fait confondre l’éclat avec le bonheur, le succès avec la bonté de la cause, il a cru de son devoir d’écrire pour l’avantage du plus grand nombre, « pour renforcer, dit-il, les liens d’affection, d’activité, de savoir entre les rangs de la famille humaine, afin qu’elle marche à son amélioration avec calme, ordre et continuité. » Revisant nombre de jugements, il a arraché leur couronne à des héros vantés. Pour lui, la grandeur ne voile pas la turpitude ; en louant Adrien et Louis XIV, il exprime son horreur pour Antinoüs et les dragonnades. Loin de souffrir les louanges de Villéius à Tibère, il ne tolère même pas les aveugles applaudissements de Xénophon pour Cyrus, d’Eusèbe pour Constantin, d’Eginhard pour Charlemagne. Se dégageant des préjugés de temps et de noms, Cantù ne croit jamais qu’un crime puisse être utile, et il poursuit de ses imprécations celui qui légitime tout en vue du salut public.
Un des grands mérites de Cantù, c’est de faire abstraction des idées de son temps pour juger les siècles passés, de façon à conserver aux événements racontés l’intérêt qu’ils offrirent au moment de leur apparition. Son style simple éclaire, peint, émeut.
L’Histoire de Cantù est une œuvre de conscience ; mais cette déclaration nous met absolument à l’aise pour déclarer que nous en désapprouvons l’esprit général, qui rappelle malheureusement celui du Discours sur l’histoire universelle. Bossuet et Cantù ne voient dans la civilisation que la main de Dieu conduisant tout à l’aide d’hommes providentiels. Pour Bossuet, les empires gravitent tous autour du petit peuple juif, pour Cantù, les grands événements historiques ne sont que les faits secondaires de l’histoire de la religion. Nous ne saurions admettre ces centres forcés de l’activité humaine. Par une suite logique de ce sentiment religieux exagéré, Cantù n’est pas toujours équitable envers certaines époques de l’histoire des peuples, et notamment envers la Révolution française, dont il méconnaît la portée et la nécessité. C’est le propre des idées étroites d’égarer la conscience des hommes les plus sincères et les plus intelligents ; Cantù n’y a pas échappé, et les injustices envers les philosophes du siècle passé et les hommes politiques de 1789 et de 1793 pourraient passer pour de la mauvaise foi, s’il n’était facile de les expliquer par l’aveuglement du préjugé religieux.
L’Histoire de Cantù a été traduite en français, en allemand et en anglais.
Histoire ancienne, de Rollin (1730-1738, 13 vol. in-12). Cette histoire comprend les annales
des Égyptiens, des Carthaginois, des
Assyriens, des Babyloniens, des Mèdes et des
Perses, des Macédoniens et des Grecs. C’est
une traduction presque perpétuelle des auteurs
anciens, et la meilleure compilation
qu’on ait faite en aucune langue. « Rollin, dit
Chateaubriand, est le Fénelon de l’histoire, et,
comme lui, il a embelli l’Égypte et la Grèce.
La narration du vertueux recteur est pleine,
simple et tranquille ; et le christianisme, attendrissant
sa plume, lui a donné quelque chose qui remue les entrailles. Ses écrits expriment tous les sentiments de cet homme de
bien dont le cœur est une fête continuelle,
selon l’admirable expression de l’Écriture.
Nous ne connaissons point d’ouvrage qui
repose plus doucement l’âme. Rollin a répandu
sur les crimes des hommes le calme
d’une conscience sans reproche et l’onctueuse
charité d’un apôtre de Jésus-Christ. » Montesquieu
avait dit auparavant : « Un honnête
homme (M. Rollin) a, par ses ouvrages d’histoire,
enchanté le public. C’est le cœur qui
parle au cœur ; on sent une secrète satisfaction
d’entendre parler la vertu ; c’est l’abeille
de la France. »
Rollin a essayé d’éviter en même temps et la stérile sécheresse des abrégés, qui ne donnent aucune idée distincte, et l’ennuyeuse exactitude des longues histoires, qui accablent le lecteur ; aussi a-t-il retranché une grande partie de ce qui se trouvait dans les anciens. Il traduit toujours tout au long, mais il se garde de tout traduire. Pour embellir et enrichir son Histoire, il ne se fait point scrupule de piller partout, souvent même sans citer les auteurs qu’il copie ou qu’il imite. Il a profité des réflexions que l’on trouve dans la seconde et la troisième partie de l’Histoire universelle de Bossuet, et dans l’Histoire des Juifs de l’Anglais Prideaux. D’ailleurs, il l’avoue lui-même avec une bonhomie charmante : « Je sens qu’il y a moins de gloire à profiter du travail d’autrui, et que c’est, en quelque sorte, renoncer à la qualité d’auteur ; mais je n’en suis pas fort jaloux, et je serais très-