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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/192

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RACINE.

Corneille représente la génération qui précède celle de Racine. Or, de 1636 à 1667, la langue est devenue moins archaïque et plus aisée. Celle de Racine est plus pure et moins riche que celle de Corneille. Racine fait rendre au vers une musique harmonieuse que ne permettaient pas les éclats sonores de Corneille. Il procède en tout par gradations, il est beaucoup plus égal que son devancier. Si, comme le disait Marivaux, « le style a un sexe », celui de Corneille serait plus mâle, celui de Racine plus féminin. Sous la réserve que l’on a vue plus haut, les femmes de Corneille, si elles sont bien femmes, parlent souvent comme des hommes ; outre que les hommes de Racine montrent quelquefois une délicatesse, une finesse et une douceur féminines. Racine, qui donne la première place à la femme, excelle à la faire parler.

Depuis que le théâtre s’était séparé du peuple pour s’adresser à la société polie, la tragédie s’écartait de plus en plus du style familier. Elle tendait au style noble, langage naturel des personnages qu’elle mettait en scène. La grandeur est dans le génie de Racine comme dans celui de Corneille, mais plus fière chez Corneille, plus noble chez Racine. Celui-ci ne peut donc qu’abonder dans le sens où se dirige la tragédie. Il reçoit le style noble à peu près formé. Il le conserve dans son caractère essentiel, qui est l’élimination des termes trop familiers pour plaire à la société polie, trop simples pour la dignité tragique. Ce travail d’élimination est assez avancé au temps de Corneille pour que la langue tragique se borne chez celui-ci à un nombre