Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/119

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longtemps à pied, comme tout le reste de l’armée ; ceux-là demeurent donc hors de la question.

« Le reste dépendant du médecin en chef, et au nombre de vingt environ, se trouvant dans un état absolument désespéré, tout à fait intransportable, et l’ennemi approchant, il est très vrai, que Napoléon demanda au médecin en chef si ce ne serait pas un acte d’humanité que de leur donner de l’opium ; il est très vrai encore qu’il lui fut répondu alors par ce médecin : que son état était de guérir, et non de tuer ; réponse qui, semblant plutôt s’adapter à un ordre qu’à un objet en discussion, a servi de base peut-être à la malveillance et à la mauvaise foi, pour créer et répandre la fable qui a couru depuis partout à ce sujet.

« Du reste, tous les détails obtenus par moi m’ont donné pour résultat incontestable :

« 1° Que l’ordre n’a pas été donné d’administrer de l’opium aux malades ;

« 2° Qu’il n’existait même pas en cet instant, dans la pharmacie de l’armée, un seul grain d’opium pour le service des malades ;

« 3° Que l’ordre eût-il été donné et eût-il existé de l’opium, les circonstances du moment et les situations locales, qu’il serait trop long de déduire ici, eussent rendu l’exécution impossible. »

À présent voici peut-être ce qui a pu aider à établir et peut en quelque sorte excuser l’erreur de ceux qui se sont obstinés à soutenir avec acharnement des faits contraires :

« Quelques-uns de nos blessés, qui avaient été embarqués, tombèrent entre les mains des Anglais ; or, on manquait de tous médicaments dans le camp, et on y avait pourvu par des compositions extraites d’arbres ou de végétaux indigènes ; les tisanes et autres médicaments y étaient d’un goût et d’une apparence horribles. Ces prisonniers, soit pour se faire plaindre davantage, soit qu’ils eussent eu vent de l’opium projeté, soit enfin qu’ils le crussent, à cause de la nature des médicaments qu’on leur avait administrés, dirent aux Anglais qu’ils venaient d’échapper, comme par miracle, à la mort, ayant été empoisonnés par leurs officiers de santé : voilà pour la colonne du chirurgien en chef.

« Voici pour les autres. L’armée avait eu le malheur d’avoir pour pharmacien en chef un misérable auquel on avait accordé cinq chameaux pour apporter du Caire la masse des médicaments nécessaires pour l’expédition. Il eut l’infamie d’y substituer, pour son propre compte, du sucre, du café, du vin et autres comestibles, qu’il vendit ensuite avec un