Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/122

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3° L’acquisition de l’Égypte fut calculée avec autant de jugement qu’exécutée avec habileté. Si Saint-Jean-d’Acre eût cédé à l’armée française, une grande révolution s’accomplissait dans l’Orient, le général en chef y fondait un empire, et les destinées de la France se trouvaient livrées à d’autres combinaisons.

4° Au retour de la campagne de Syrie, l’armée française n’avait presque pas fait de pertes ; elle était dans l’état le plus formidable et le plus prospère.

5° Le départ du général en chef pour la France fut le résultat du plan le plus magnanime, le plus grand. On doit rire de l’imbécillité de ceux qui considérèrent ce départ comme une évasion ou une désertion.

6° Kléber tomba victime du fanatisme musulman ; rien ne peut autoriser, en quoi que ce soit, l’absurde calomnie qui essaya d’attribuer cette catastrophe à la politique de son prédécesseur ou aux intrigues de celui qui lui succéda.

7° Enfin il demeure à peu près prouvé que l’Égypte fût restée à jamais une province française, s’il y eût eu, pour la défendre, tout autre que Menou : rien que les fautes grossières de ce dernier ont pu amener sa perte, etc., etc.

L’Empereur disait qu’aucune armée dans le monde n’était moins propre à l’expédition d’Égypte que celle qu’il y conduisit ; c’était celle d’Italie : il serait difficile de rendre le dégoût, le mécontentement, la mélancolie, le désespoir de cette armée, lors de ses premiers moments en Égypte. L’Empereur avait vu deux dragons sortir des rangs, et courir à toute course se précipiter dans le Nil. Bertrand avait vu les généraux les plus distingués, Lannes, Murat, jeter, dans des moments de rage, leurs chapeaux bordés sur le sable, et les fouler aux pieds en présence des soldats. L’Empereur expliquait ces sentiments à merveille. « Cette armée avait rempli sa carrière, disait-il ; tous les individus en étaient gorgés de richesses, de grades, de jouissances et de considération ; ils n’étaient plus propres aux déserts ni aux fatigues de l’Égypte ; aussi, continuait-il, si elle se fût trouvée dans d’autres mains que les miennes, il serait difficile de déterminer les excès dont elle se fût rendue coupable. »

On y complota plus d’une fois d’enlever les drapeaux, de les ramener à Alexandrie, et plusieurs autres choses semblables. L’influence, le caractère, la gloire de leur chef, purent seuls les retenir. Un jour Napoléon, gagné par l’humeur à son tour, se précipita dans un groupe de généraux mécontents, et s’adressant à l’un d’eux, de la plus haute stature : « Vous avez tenu des propos séditieux, lui dit-il avec véhémence ; prenez garde