Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/124

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L’humeur des soldats en Égypte s’exhalait heureusement en mauvaises plaisanteries : c’est ce qui sauve toujours les Français. Ils en voulaient beaucoup au général Caffarelli, qu’ils croyaient un des auteurs de l’expédition ; il avait une jambe de bois, ayant perdu la sienne sur les bords du Rhin. Quand, dans leurs murmures, ils le voyaient passer en boitant, ils disaient à ses oreilles : « Celui-là se moque bien de ce qui arrivera ; il est toujours bien sûr d’avoir un pied en France. »

Les savants étaient aussi l’objet de leurs brocards. Les ânes étaient fort communs dans le pays ; il était peu de soldats qui n’en eussent à leur disposition, et ils ne les nommèrent jamais que leurs demi-savants.

Le général en chef, en partant de France, avait fait une proclamation dans laquelle il leur disait qu’il allait les mener dans un pays où il les enrichirait tous ; qu’il voulait les y rendre possesseurs chacun de sept arpents de terre. Les soldats, quand ils se trouvèrent dans le désert, au milieu de cette mer de sable sans limites, ne manquèrent pas de mettre en question la générosité de leur général : ils le trouvaient bien retenu de n’avoir promis que sept arpents. « Le gaillard, disaient-ils, peut bien assurément en donner à discrétion, nous n’en abuserons pas. »