Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/161

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jours à faire tout ce qui pourrait adoucir ses destinées et lui faire oublier ses malheurs. »

L’ouverture de M. le comte d’Artois eut plus d’élégance et de recherche encore. Il dépêcha la duchesse de Guiche, femme charmante, très propre, par les grâces de sa figure, à mêler beaucoup d’attraits à l’importance de sa négociation. Elle pénétra facilement auprès de madame Bonaparte, avec laquelle toutes les personnes de l’ancienne cour avaient des contacts naturels : elle en reçut un déjeuner à la Malmaison ; et durant le repas, parlant de Londres, de l’émigration et de nos princes, madame de Guiche raconta qu’il y avait peu de jours, étant chez M. le comte d’Artois, quelqu’un, parlant des affaires, avait demandé au prince ce qu’on ferait pour le Premier Consul, s’il rétablissait les Bourbons ; ce prince avait répondu : « D’abord connétable et tout ce qui s’ensuit, si cela lui plaisait. Mais nous ne croirions pas que cela fût encore assez ; nous élèverions sur le Carrousel une haute et magnifique colonne sur laquelle serait la statue de Bonaparte couronnant les Bourbons. ».

Le Premier Consul arrivant quelque temps après le déjeuner, Joséphine n’eut rien de plus pressé que de lui rendre cette circonstance. « Et as-tu répondu, lui dit son mari, que cette colonne aurait pour piédestal le cadavre du Premier Consul ? »

La jolie duchesse était encore là ; les charmes de sa figure, ses yeux, ses paroles, étaient dirigés au succès de sa mission. Elle était heureuse, disait-elle, elle ne saurait jamais assez reconnaître la faveur que lui procurait en ce moment madame Bonaparte de voir et d’entendre un grand homme, un héros. Mais tout fut en vain ; la duchesse de Guiche reçut dans la nuit l’ordre de quitter Paris ; et les charmes de l’émissaire étaient trop propres à alarmer Joséphine pour qu’elle insistât ardemment en sa faveur : le lendemain la duchesse de Guiche était en route pour la frontière.

« Du reste, le bruit courut plus tard, disait Napoléon, que j’avais fait, mon tour, aux princes français des propositions touchant la cession de leurs droits ou leur renonciation à la couronne, ainsi qu’on s’est complu à le consacrer dans des déclarations pompeuses, répandues en Europe avec profusion : il n’en était rien. Et comment cela aurait-il pu être ? moi qui ne pouvais régner précisément que par le principe qui les faisait exclure, celui de la souveraineté du peuple ? Comment aurais-je cherché à tenir d’eux des droits que l’on proscrivait dans leurs personnes ? C’eût été me proscrire moi-même ; le contresens eût été trop lourd, l’absurdité trop criante, elle m’eût noyé pour toujours dans l’opinion. Aussi,