Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/34

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être les matelots ; mais au moment de l’exécution ils déclarèrent qu’il était difficile de gagner l’Amérique sans toucher sur quelque point de la côte d’Espagne ou du Portugal.

Dans ces circonstances, l’Empereur composa une espèce de conseil des personnes de sa suite. On y représenta qu’il ne fallait plus compter sur les frégates ni sur les bâtiments armés ; que les chasse-marée n’offraient aucun résultat probable de succès, qu’ils ne pouvaient guère conduire qu’à être pris en pleine mer par les Anglais ou à tomber entre les mains des alliés. Il ne restait plus dès lors que deux partis : celui de rentrer dans l’intérieur pour y tenter le sort des armes, ou celui d’aller prendre un asile en Angleterre. Pour suivre le premier, on se trouvait à la tête de quinze cents marins pleins de zèle et de bonne volonté ; le commandant de l’île était un ancien officier de l’armée d’Égypte, tout dévoué à Napoléon ; il eût débarqué avec ces quinze cents hommes à Rochefort ; on s’y fût grossi de la garnison de cette ville, dont l’esprit était excellent ; on eût appelé la garnison de la Rochelle, composée de quatre bataillons de fédérés qui offraient leurs services, et l’on se trouvait en mesure de joindre le général Clausel, si ferme à la tête de l’armée de Bordeaux, ou le général Lamarque, qui avait fait des prodiges avec celle de la Vendée ; tous les deux attendaient, désiraient Napoléon ; on eût nourri facilement la guerre civile dans l’intérieur de la France. Mais Paris était pris, les Chambres étaient dissoutes ; cinq à six cent mille ennemis étaient dans l’intérieur de l’empire ; la guerre civile ne pouvait avoir d’autre résultat que de faire périr tout ce que la France avait d’hommes généreux et attachés à Napoléon. Cette perte eût été sensible, irréparable ; elle eût détruit les espérances des destinées futures de la France, sans produire d’autre avantage que de mettre l’Empereur dans le cas de traiter et d’obtenir des arrangements favorables à ses intérêts. Mais Napoléon avait renoncé à être souverain, il ne demandait qu’un asile tranquille ; il répugnait, pour un si mince résultat, à faire périr tous ses amis, à devenir le prétexte du ravage de nos provinces, et enfin, pour tout dire, à priver le parti national de ses plus vrais appuis, lesquels ; tôt ou tard pourraient rétablir l’honneur et l’indépendance de la France. Il ne voulait plus vivre qu’en homme privé ; l’Amérique était le lieu le plus convenable, le lieu de son choix ; mais enfin l’Angleterre même, avec ses lois positives, pouvait lui convenir encore ; et il paraissait, d’après ma première entrevue avec le capitaine Maitland, que celui-ci pourrait le conduire en Angleterre avec toute sa suite, pour y être traité convenablement. Dès ce moment, l’Empereur et sa suite