Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/397

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sa magnificence : elle n’en sortait jamais les mains vides. « Le règne de Marie-Louise a été fort court, disait l’Empereur, mais elle a dû bien en jouir ; elle avait la terre à ses pieds. » L’un de nous s’est permis de demander si l’impératrice d’Autriche n’était pas l’ennemie jurée de Marie-Louise. « Pas autrement, disait l’Empereur, qu’une bonne petite haine de cour : de la détestation dans le cœur, mais gazée sous des lettres journalières de quatre pages, pleines de tendresse et de cajoleries. »

L’impératrice d’Autriche soignait extrêmement Napoléon, avait pour lui une coquetterie toute particulière tant qu’il était présent ; mais sitôt qu’il avait le dos tourné, elle ne s’occupait plus qu’à en détacher Marie-Louise par les insinuations les plus méchantes et les plus malicieuses ; elle était choquée de ne pas réussir à prendre quelque empire sur lui. « D’ailleurs elle a de l’adresse et de l’esprit, disait l’Empereur, et assez pour embarrasser son mari, qui avait acquis la certitude qu’elle en faisait peu de cas. Sa figure était agréable, piquante, avait quelque chose de tout particulier ; c’était une jolie petite religieuse.

« Quant à l’empereur François, on connaît sa débonnaireté, qui le rend toujours dupe des intrigants. Son fils lui ressemblera.

« Le roi de Prusse, comme caractère privé, est un loyal, bon et honnête homme ; mais dans sa capacité politique, c’est un homme naturellement plié à la nécessité ; avec lui on est le maître tant qu’on a la force et que la main est levée.

« Pour l’empereur de Russie, c’est un homme infiniment supérieur à tout cela ; il a de l’esprit, de la grâce, de l’instruction, est facilement séduisant, mais on doit s’en défier : il est sans franchise ; c’est un vrai Grec du Bas-Empire. Toutefois n’est-il pas sans idéologie réelle ou jouée ; ce ne serait du reste, après tout, que des teintes de son éducation et de son précepteur. Croira-t-on jamais, disait l’Empereur, ce que j’ai eu à débattre avec lui ? Il me soutenait que l’hérédité était un abus dans la souveraineté, et j’ai dû passer plus d’une heure et user toute mon éloquence et ma logique à lui prouver que cette hérédité était le repos et le bonheur des peuples. Peut-être aussi me mystifiait-il, car il est fin, faux, adroit, hypocrite ; je le répète, c’est un Grec du Bas-Empire ; il peut aller loin. Si je meurs ici, ce sera mon véritable héritier en Europe. Moi seul pouvais l’arrêter se présentant avec son déluge de Tartares. La crise est grande et permanente pour le continent européen, surtout pour Constantinople : il l’a fort désirée de moi ; j’ai été fort cajolé à ce sujet, mais j’ai constamment fait la sourde