Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/473

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L’Empereur était ce matin d’une gaieté remarquable ; il a causé quelque temps avec ces dames, puis il s’est retiré avec M. Wilks dans une embrasure de fenêtre, me faisant suivre pour servir d’interprète.

Le colonel Wilks a été longtemps agent diplomatique de la compagnie dans la péninsule indienne ; il a écrit une histoire de ces régions, a beaucoup de connaissances, surtout en chimie ; c’était donc un militaire, un littérateur, un diplomate, un chimiste. L’Empereur l’a questionné sur tous ces objets, et les a traités lui-même avec beaucoup d’abondance et d’éclat ; la conversation a été longue, vive et variée, elle a duré plus de deux heures. Voici les principaux traits que j’en ai retenus. Je me répéterai peut-être, car l’Empereur et le colonel Wilks avaient déjà eu, il y a quelques mois, une longue conversation précisément sur les mêmes objets ; mais n’importe, ces objets sont d’un tel intérêt, que j’aime mieux encore répéter quelque chose que de rien laisser perdre.

L’Empereur lui a d’abord parlé de l’armée anglaise, de son organisation, et surtout de son mode d’avancement ; il l’a opposée à la nôtre, et a répété ce que j’ai dit ailleurs sur son excellente composition, les avantages de notre conscription, l’esprit valeureux des Français, etc.

Passant à la politique, il a dit : « Vous avez perdu l’Amérique par l’affranchissement ; vous perdrez l’Inde par l’invasion. La première perte était toute naturelle : quand les enfants deviennent grands, ils font bande à part ; mais pour les Indous, ils ne grandissent pas, ils demeurent toujours enfants ; aussi la catastrophe ne viendra que du dehors. Vous ne savez pas tous les dangers dont vous avez été menacés par mes armes ou par mes négociations, etc., etc.

Mon système continental !… Vous en avez ri peut-être ? — Sire, a dit le colonel, nous en avons fait le semblant ; mais tous les gens sensés