Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/474

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont senti le coup. – Eh bien ! a continué l’Empereur, moi, je me suis trouvé seul de mon avis sur le continent ; il m’a fallu pour l’instant employer partout la violence. Enfin l’on commence à me comprendre, déjà l’arbre porte son fruit : j’ai commencé, le temps fera le reste.

Si je n’eusse succombé, j’aurais changé la face du commerce aussi bien que la route de l’industrie : j’avais naturalisé au milieu de nous le sucre, l’indigo ; j’aurais naturalisé le coton et bien d’autres choses encore : on m’eût vu déplacer les colonies, si l’on se fût obstiné à ne pas nous en donner une portion.

L’impulsion chez nous était immense ; la prospérité, les progrès croissaient sans mesure ; et pourtant vos ministres répandaient par toute l’Europe que nous étions misérables et que nous retombions dans la barbarie. Aussi le vulgaire des alliés a-t-il été étrangement surpris à la vue de notre intérieur, aussi bien que vous autres, qui en êtes demeurés déconcertés, etc.

Le progrès des lumières en France était gigantesque, les idées partout se rectifiaient et s’étendaient, parce que nous nous efforcions de rendre la science populaire. Par exemple, on m’a dit que vous étiez très forts sur la chimie ; eh bien ! je suis loin de prononcer de quel côté de l’eau se trouve le plus habile ou les plus habiles chimistes… – En France, a dit aussitôt le colonel. – Peu importe, continue l’Empereur ; mais je maintiens que dans la masse française il y a dix et peut-être cent fois plus de connaissances chimiques qu’en Angleterre, parce que les diverses branches industrielles l’appliquent aujourd’hui à leur travail ; et c’était là un des caractères de mon école : si l’on m’en eût laissé le temps, bientôt il n’y aurait plus eu de métiers en France, tous eussent été des arts, etc. »

Enfin il a terminé par ces mots remarquables : « L’Angleterre et la France ont tenu dans leurs mains le sort de l’univers, celui surtout de la civilisation européenne. Que de mal nous nous sommes fait ! que de bien nous pouvions faire !

Sous l’école de Pitt, nous avons désolé le monde, et pour quel résultat ? Vous avez imposé quinze cent millions à la France, et les avez fait lever par des Cosaques. Moi, je vous ai imposé sept milliards, et les ai fait lever de vos propres mains, par votre parlement ; et aujourd’hui encore, même après la victoire, est-il bien certain que vous ne succombiez pas tôt ou tard sous une telle charge ?

Avec l’école de Fox, nous nous serions entendus… Nous eussions accompli, maintenu l’émancipation des peuples, le règne des prin-