Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/563

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mille écus, cent mille écus de rente, ne nous tirait plus le chapeau le lendemain ; et loin d’avoir la moindre reconnaissance, ce n’était plus qu’un impertinent qui prétendait même avoir payé sous main la faveur qu’il avait obtenue. Tout le faubourg Saint-Germain allait prendre cette direction. Il se trouva que j’allais recréer sa fortune, et qu’il n’en fût pas moins demeuré ennemi et anti-national. Alors j’arrêtai, en opposition à l’acte d’amnistie, la restitution des bois non vendus, toutes les fois qu’ils dépasseraient une certaine valeur. C’était une injustice, d’après la lettre de la loi, sans doute ; mais la politique le voulait impérieusement : la faute en avait été à la rédaction et à l’imprévoyance. Cette réaction de ma part détruisit le bon effet du rappel des émigrés, et m’aliéna toutes les grandes familles. J’eusse pourvu à cet inconvénient, ou j’en eusse neutralisé les effets par mon syndicat. Pour une grande famille mécontente, j’eusse attaché cent nobles de la province, et satisfait au fond à la stricte justice, qui voulait que l’émigration entière, qui avait couru une même chance, embarqué sa fortune en commun sur le même vaisseau, éprouvé le même naufrage, encouru une même peine, obtînt un même résultat. C’est une faute de ma part, ajoutait l’Empereur, d’autant plus grande que j’en ai eu l’idée ; mais j’étais seul, entouré d’oppositions et d’épines ; tous étaient contre vous autres ; vous vous le peindriez difficilement ; et cependant les grandes affaires me talonnaient, le temps courait, j’étais obligé de voir ailleurs.

« Encore aussi tard que mon retour de l’île d’Elbe, a continué l’Empereur, j’ai été sur le point d’exécuter quelque chose de la sorte. Si l’on m’en eût donné le temps, j’allais m’occuper des pauvres émigrés de province que la cour avait délaissés. Et ce qu’il y a d’assez singulier, c’est que l’idée en avait été réveillée en moi précisément par un ancien ex-ministre de Louis XVI (Bertrand de Molleville), que les princes avaient laissé fort mal récompensé, et qui me présentait les moyens de réparer avec beaucoup d’avantages bien des choses de ce genre. »

Je répondais à l’Empereur : « Les gens raisonnables, parmi l’émigration, savaient bien que le peu d’idées généreuses et libérales à leur égard ne venaient que de vous ; ils ne se dissimulaient pas que tout votre entourage les eût détruits. Ils savaient que toute idée de la noblesse lui était odieuse ; ils vous tenaient grand compte de ne pas penser ainsi. Leur amour-propre, le croirez-vous ? trouvait même parfois quelques consolations à se dire que vous étiez de leur classe, etc. »

Alors l’Empereur m’a demandé ce que nous disions donc, dans l’é-