Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/59

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nous n’avions jamais apporté de vœux plus sincères et des cœurs plus pleins de lui.

Nos journées se ressemblaient toutes : le soir nous jouions constamment au vingt-et-un ; l’amiral et quelques Anglais étaient parfois de la partie. L’Empereur se retirait après avoir perdu d’habitude ses dix ou douze napoléons ; cela lui était arrivé tous les jours, parce qu’il s’obstinait à laisser son napoléon jusqu’à ce qu’il en eût produit un grand nombre. Aujourd’hui il en avait produit jusqu’à quatre-vingts ou cent ; l’amiral tenait la main, l’Empereur voulait laisser encore pour connaître jusqu’à quel point il pourrait atteindre ; mais il crut voir qu’il serait tout aussi agréable à l’amiral qu’il n’en fit rien : il eût gagné seize fois, et eût pu atteindre au-delà de soixante mille napoléons. Comme on s’extasiait sur cette faveur singulière de la fortune en faveur de l’Empereur, un des Anglais fit la remarque qu’aujourd’hui était, le 15 d’août, jour de sa naissance et de sa fête.


Navigation – Uniformité – Occupations – Sur la famille de l’Empereur – Son origine – Anecdotes.


Mercredi 16 au lundi 21.

Nous doublâmes le cap Finistère le 16, le cap Saint-Vincent le 18 ; nous étions par le travers du détroit de Gibraltar le 19, et nous continuâmes les jours suivants à faire voile le long de l’Afrique, vers Madère. Notre navigation n’offrait rien de remarquable, et toutes nos journées se ressemblaient dans nos habitudes et l’emploi de nos heures ; le sujet de la conversation seul pouvait offrir quelque différence.

L’Empereur restait toute la matinée dans sa chambre : la chaleur était grande ; il ne s’habillait pas, et il demeurait à peine vêtu. Il n’avait point de sommeil, et se levait plusieurs fois dans la nuit. La lecture était son grand passe-temps. Il me faisait venir presque tous les matins ; je lui traduisais ce que l’Encyclopédie britannique ou tous les livres que nous avions pu trouver à bord contenaient sur Sainte-Hélène ou sur les pays dans le voisinage desquels nous naviguions. Cela ramena naturellement sous les yeux mon Atlas historique ; il n’avait fait que l’entrevoir à bord du Bellérophon, et auparavant il n’en avait qu’une très fausse idée. Il s’en occupa trois ou quatre jours de suite : il s’en disait enchanté ; il ne