Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/594

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veillances exercées par les nouveaux parvenus en faveur des anciens ruinés, et cité beaucoup de traits à l’avenant ; entre autres la galanterie, bien recherchée peut-être, de celui qui, de simple soldat, arrivé au grade de maréchal ou de haut général, je ne me souviens plus, se procura un jour la satisfaction, dans sa splendeur nouvelle, de réunir en dîner de famille son ancien colonel et quatre ou cinq officiers du régiment, qu’il reçut avec son ancien habit de soldat, n’employant constamment vis-à-vis d’eux que les mêmes qualifications dont il s’était servi autrefois.

« Et voilà pourtant, disait l’Empereur, la vraie manière d’éteindre la fureur des temps, car de pareils procédés doivent nécessairement créer de grands échanges de bienveillances réciproques entre les partis opposés, et il est à croire que dans les derniers temps les obligés auront obligé à leur tour, ne fût-ce que pour demeurer quittes. »

Ce mot de quittes me rappelle un trait caractéristique de l’Empereur, qui doit trouver ici sa place.

Un général dans son département, s’était rendu coupable d’excès, qui, portés devant les tribunaux, devaient lui coûter l’honneur, peut-être la vie. Or ce général avait rendu les plus grands services à Napoléon dans la journée de brumaire. Il mande le général, et, après lui avoir reproché ses infamies : « Toutefois, lui dit-il, vous m’avez obligé, je ne l’ai point oublié. Je vais peut-être outrepasser les lois, et manquer à mes devoirs : je vous fais grâce. Monsieur, allez-vous-en ; mais sachez qu’à compter d’aujourd’hui nous sommes quittes. Désormais tenez-vous bien, j’aurai les yeux sur vous. »


Le gouverneur de Java – Le docteur Warden – Conversation familière de l’Empereur sur sa famille.


Dimanche 19.


Sur les trois heures, l’Empereur a reçu le gouverneur de Java (Raffles) et ses officiers dans le jardin. Il a fait ensuite un tour en calèche.

En rentrant sur les six heures, je l’ai suivi dans son cabinet ; il a fait appeler le grand maréchal et sa femme, et s’est mis à causer familièrement jusqu’à dîner, parcourant mille objets de sa famille et de son plus petit intérieur au temps de sa puissance. Il s’est arrêté surtout sur l’impératrice Joséphine. Ils avaient fait ensemble, disait-il, un ménage tout à fait bourgeois, c’est-à-dire fort tendre et très uni, n’ayant eu longtemps qu’une même chambre et qu’un même lit. « Circonstance très morale, disait l’Empereur, qui influe singulièrement sur un mé-