Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/662

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Les troupes qui composaient cette armée d’Angleterre couvraient la Normandie, la Picardie, la Belgique. Son nouveau général en chef fut inspecter tous ces points, mais il voulut les parcourir incognito : ces courses mystérieuses inquiétaient d’autant plus l’ennemi, et masquaient davantage les préparatifs du Midi. Il avait la satisfaction de vérifier partout les sentiments qu’imprimaient sa personne et sa gloire. Il se trouvait partout l’objet de toutes les conversations, de tous les préparatifs. C’est dans ce voyage, en visitant Anvers, qu’il conçut, pour la première fois, les grandes idées maritimes qu’il y fit exécuter depuis. C’est alors encore qu’il jugea à Saint-Quentin de tous les avantages du canal qu’il a fait construire dans la suite. Enfin c’est alors qu’il fixa ses idées sur la supériorité que la marée donnait à Boulogne sur Calais, pour tenter avec de simples péniches une entreprise sur l’Angleterre.

III. Premier incident qui détermine le Directoire à abandonner les principes de politique posés à Campo-Formio. — Les principes de la politique qui réglaient la république avaient été déterminés à Campo-Formio. Le Directoire y était étranger. D’ailleurs il ne pouvait maîtriser ses passions, chaque incident le dominait. La Suisse en fournit le premier exemple. La France avait constamment à se plaindre du canton de Berne et de l’aristocratie suisse. Tous les agents étrangers qui avaient agité la France avaient toujours eu à Berne leur levier, leur point d’appui. Il s’agissait de profiter de la grande influence que nous venions d’acquérir en Europe pour détruire la prépondérance de nos ennemis en Suisse. Le général d’Italie approuvait fort le ressentiment du Directoire ; il pensait que le moment était venu d’assurer à la France l’influence politique de la Suisse, mais il ne croyait pas nécessaire pour cela de bouleverser ce pays. Il fallait, pour se conformer à la politique adoptée, arriver à son but avec le moins de changement possible. Il proposait que notre ambassadeur en Suisse présentât une note appuyée de deux corps d’armée en Savoie et en Franche-Comté, dans laquelle il ferait connaître que la France et l’Italie croyaient nécessaire à leur politique et à leur sûreté, ainsi qu’à la dignité réciproque des trois nations, que le pays de Vaud, l’Argovie et les bailliages italiens devinssent des cantons libres, indépendants, égaux aux autres cantons ; que la France et l’Italie avaient beaucoup à se plaindre de l’aristocratie de certaines familles de Berne, de Soleure, de Fribourg ; mais qu’elles oubliaient tout, si les paysans de ces cantons étaient réintégrés dans leurs droits politiques. Tous ces changements se seraient opérés sans efforts et sans l’emploi des armes ; mais Rewbell, entraîné par des démagogues de la Suisse, fit