Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/697

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tion, songèrent à se donner des manières, et coururent après le bon ton. Pour mieux y réussir, chacun des directeurs se composa une petite cour, où fut accueillie la haute classe, jusque-là disgraciée et leur ennemie naturelle, tandis qu’on en repoussait la masse des anciennes connaissances, celle des camarades, comme trop vulgaire désormais. Tous ceux qui, dans la révolution, avaient montré plus d’énergie que les membres du Directoire ou avaient marché avec eux, leur devinrent importuns et furent aussitôt éloignés. Le Directoire donna donc à rire à l’un des deux partis et s’aliéna l’autre. Les cinq petites cours exigeaient d’autant plus de servitude qu’elles étaient subalternes et ridicules ; mais un grand nombre d’hommes ne purent se résoudre à plier devant des formes que ni les circonstances récentes, ni la nature du gouvernement, ni le prestige des gouvernants, ne pouvaient faire admettre.

« Cependant tout ce que le Directoire fit pour gagner les salons de Paris ne lui réussit pas ; il n’acquit aucune influence sur eux, et le parti des Bourbons gagna du terrain. Lorsque le Directoire s’en aperçut, il revint brusquement en arrière ; mais alors il ne trouva plus les républicains qu’il avait aliénés. Ce furent donc des oscillations perpétuelles qui ressemblaient à des caprices ; on naviguait sans direction, on n’avait aucun but ; on n’était pas un. On ne voulait ni terreur ni royalisme, mais on ne savait pas prendre la route qui devait faire arriver.

« Le Directoire crut alors remédier à ces incertitudes et éviter ces perpétuelles oscillations en frappant à la fois les deux partis extrêmes, qu’ils l’eussent mérité ou non. S’il faisait arrêter un royaliste qui avait conspiré ou troublé la tranquillité publique ; il faisait au même instant arrêter un républicain, n’eût-il rien fait. Ce système s’appela la bascule politique. L’injustice, la fausseté de ce système discrédita le gouvernement ; toutes les âmes se resserrèrent : ce fut un gouvernement de plomb. Tous les sentiments vrais et généreux furent contre le Directoire.

« Les gens d’affaires, les agioteurs, les intrigants s’emparèrent des ressorts et eurent tout crédit. Les places furent données à des hommes vils, à des protégés ou à des parents. La corruption s’introduisit dans toutes les branches de l’administration ; les dilapidateurs l’eurent bientôt senti et purent agir sans crainte. Les affaires étrangères, les armées, les finances, l’intérieur, tout se ressentit d’un système aussi vicieux.