Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/7

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Cependant des évènements sans exemple se succédaient autour de nous avec une rapidité inouïe ; ils étaient d’une telle nature et portaient un tel caractère, qu’il devenait impossible à quiconque avait dans le cœur l’amour du grand, du noble et du beau ; d’y demeurer insensible.

Le lustre de la patrie s’élevait à une hauteur inconnue dans l’histoire d’aucun peuple : c’était une administration sans exemple par son énergie et par ses heureux résultats ; un élan simultané qui, imprimé tout à coup à tous les genres d’industrie, excitait toutes les émulations à la fois ; c’était une armée sans égale et sans modèle, frappant de terreur au-dehors, et créant un juste orgueil au-dedans.

À chaque instant notre pays se remplissait de trophées ; de nombreux monuments proclamaient nos exploits ; les victoires d’Austerlitz, d’Iéna, de Friedland ; les traités de Presbourg, de Tilsit, constituaient la France la première des nations et l’arbitre des destinées universelles : c’était vraiment un honneur insigne que de se trouver Français ! Et pourtant tous ces actes, tous ces travaux, tous ces prodiges, étaient l’ouvrage d’un seul homme !

Pour mon compte, quels qu’eussent été mes préjugés, mes préventions antérieures, j’étais plein d’admiration ; et il n’est, comme on sait, qu’un pas de l’admiration à l’amour.

Or, précisément dans ce temps, l’Empereur appela quelques-unes des premières familles autour de son trône, et fit circuler, parmi le reste, qu’il regarderait comme mauvais Français ceux qui s’obstineraient à demeurer à l’écart. Je n’hésitai pas un instant ; j’avais, me disais-je, épuisé mon serment naturel, celui de ma naissance et de mon éducation ; j’y avais été fidèle jusqu’à extinction ; il n’était plus question de nos princes, nous en étions même à douter de leur existence. Les solennités de la religion, l’alliance des rois, l’Europe entière, la splendeur de la France, m’apprenaient désormais que j’avais un nouveau souverain. Ceux qui nous avaient précédés avaient-ils résisté aussi longtemps à d’aussi puissants efforts, avant de se rallier au premier des Capets ? Je répondis donc, pour mon compte, qu’heureux par cet appel de sortir avec hon-