Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/741

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se présentait sur l’autre rive du Rhin disant : Je veux être Français, que sa voix fût plus forte que la loi, que les barrières s’abaissassent devant lui, et qu’il rentrât triomphant au sein de la mère commune. »

Une autre fois il disait, au sujet de je ne sais quoi : « L’Assemblée constituante fut bien gauche d’abolir jusqu’à la noblesse purement titulaire, ce qui humilia beaucoup de monde. Moi, je fais mieux, j’anoblis tous les Français ; chacun peut être fier. »

Une autre fois, et je l’ai peut-être déjà cité ailleurs, il disait : « Je veux élever la gloire du nom français si haut qu’il devienne l’envié des nations ; je veux un jour, Dieu aidant, qu’un Français voyageant en Europe croie se trouver toujours chez lui. »

Enfin une autre fois encore, et au sujet d’un projet de décret dont je ne me rappelle pas quel a été le résultat, mais qui avait pour objet de déterminer que les rois de la famille impériale occupant des trônes étrangers laisseraient leurs titres et leur étiquette de roi à la frontière, pour ne les reprendre qu’en sortant, l’Empereur, répondant à quelques objections et exposant les motifs, dit : « Du reste, je leur réserve en France un bien plus beau titre encore ; ils y seront plus que rois, ils seront princes français. »

Je pourrais multiplier à l’infini une foule de citations pareilles : elles doivent être demeurées dans le souvenir de tous les membres du Conseil comme dans le mien. À présent l’on s’étonnera peut-être qu’ayant vu si souvent l’Empereur, qu’en ayant entendu de telles paroles, j’aie dit que je ne le connaissais pas encore quand je me suis déterminé à le suivre. Ma réponse est que dans les temps dont je parle j’avais à son sujet encore plus d’admiration et d’enthousiasme que de véritable conviction. Nous étions assaillis, dans le palais même, de tant de bruits absurdes sur sa personne et son petit intérieur, nous avions si peu de communication directe avec lui, qu’à force d’avoir entendu répéter les mêmes choses, il me restait peut-être, à l’insu de moi-même, une espèce de défiance et de doute. On nous le disait si dissimulé, si astucieux, si rusé, qu’il était possible, après tout, qu’il prononçât en public d’aussi magnifiques paroles dans quelque vue particulière et sans le sentir aucunement : il en est tant qui pensent si mal et s’expriment si bien ! Aussi ce n’est qu’ici, à Longwood, et depuis que j’ai appris à le connaître à fond, que je sais combien il était là réellement et naturellement lui-même. Jamais peut-être, sur la terre nul n’aima la France et son lustre comme lui ; il n’est pas de sacrifice qui lui eût coûté pour elle. Il l’a prouvé à Châtillon, il l’a prouvé au retour de Waterloo, et il l’expri-