Une autre fois on s’occupait d’organiser les provinces illyriennes, acquises depuis peu. La partie de ces provinces limitrophes des Turcs avait des régiments croates dont l’organisation était toute particulière ; c’étaient de vraies colonies militaires : elles avaient été imaginées, il y avait plus d’un siècle, par le grand Eugène pour servir de barrière contre les incursions et les brigandages des Turcs, et avaient toujours depuis fort bien rempli leur destination. La commission chargée de ce travail proposait la dissolution de ces régiments croates, et les remplaçait par une garde nationale à l’instar de la nôtre. « Est-on fou ? s’écria l’Empereur à cette lecture ; des Croates sont-ils des Français, et a-t-on bien compris l’excellence de l’institution, son utilité, son importance ? – Sire, répondit celui qui se trouvait dans l’obligation de défendre le rapport, les Turcs n’oseraient pas aujourd’hui recommencer leurs excès. – Et pourquoi cela ? – Sire, parce que Votre Majesté est devenue leur voisin. – Eh bien ? – Sire, ils auraient trop de respect pour votre puissance. – Ah ! oui, Sire, Sire, reprit vertement l’Empereur, des compliments à présent ! Eh bien, Monsieur, allez les porter aux Turcs, qui vous répondront par des coups de fusil, et vous viendrez m’en donner des nouvelles. » Et il prononça dès cet instant que les régiments croates seraient conservés.
Un jour on nous proposa un projet de décret touchant les ambassadeurs. Ce projet était fort remarquable, je ne pense pas qu’on en ait eu connaissance dans le monde. La froideur du Conseil à ce sujet le fit disparaître, ainsi que beaucoup d’autres qui ont éprouvé le même sort ; ce qui, pour le dire en passant, donne une preuve de plus d’une certaine indépendance dans le Conseil, et montre dans l’Empereur plus de modération qu’on ne lui en croyait.
L’Empereur, qui semblait seul appuyer ce décret et y tenir beaucoup, dit, dans sa défense, des choses très curieuses. Il prétendait que les ambassadeurs n’eussent ni prérogatives ni privilèges qui pussent les mettre à l’abri des lois du pays ; tout au plus accordait-il qu’ils fussent soumis seulement à une juridiction plus relevée. « Je ne m’opposerais pas, par exemple, disait-il, à ce qu’ils ne devinssent justiciables qu’après une décision préalable d’une réunion des ministres et des hauts dignitaires de l’empire, à ce qu’ils ne fussent jugés que par un tribunal spécial, composé des premiers magistrats et des premiers fonctionnaires de l’État. M’objecteriez-vous que les souverains, se trouvant compromis dans la personne de leurs représentants, ne m’enverraient plus d’ambassadeurs ? Où serait le malheur ? Je retirerais les miens, et l’État