Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/780

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son successeur et obtenir son second ministère, qui d’ailleurs fut peu digne de lui : il n’est plein que des désastres qu’il avait du reste tous provoqués. Et c’est le boulet victorieux d’Austerlitz qui le tua dans Londres.

« Le temps sape chaque jour davantage la réputation de M. Pitt, non dans l’éminence de ses talents, mais dans leur funeste application. L’Angleterre gémit des maux dont il l’a accablée, et dont le plus fatal est l’école et les doctrines qu’il lui a léguées. C’est lui qui a introduit la police en Angleterre, qui a familiarisé ce pays avec la force armée, et commencé ce système de délation, d’embûches et de démoralisation de toute espèce, si complètement perfectionné par ses successeurs.

« Sa grande tactique fut d’exciter constamment nos excès sur le continent, et de les montrer ensuite comme un épouvantail à l’Angleterre, qui lui accordait dès lors tout ce qu’il voulait. – Mais vous autres, demandait l’Empereur, que disiez-vous de tout cela ? quelle était l’opinion de l’émigration ? – Sire, répondais-je, nous autres nous voyions tout et toujours dans la même lorgnette ; ce que nous avions dit le premier jour de notre émigration, nous le répétions encore le dernier jour de notre exil. Nous n’avions pas avancé d’un pas ; nous étions devenus, nous demeurions peuple. M. Pitt était notre oracle ; tout ce que disaient lui, Burke, Windham et les plus fougueux de ce côté nous semblait délicieux ; ce qu’objectaient leurs adversaires, abominable. Fox, Shéridan, Gray n’étaient pour nous que d’infâmes jacobins, jamais nous ne leur avons donné d’autres épithètes. – C’est bien, disait l’Empereur ; mais reprenez votre George III.

« – Ce prince vertueux aimait par-dessus tout la vie privée et les soins de la campagne ; il consacrait le temps que lui laissaient les affaires à la culture d’une ferme à peu de milles de Londres ; et il ne retournait guère à la capitale que pour ses levers réguliers ou les conseils extraordinaires que nécessitaient les circonstances, et il retournait aussitôt à ses champs, où il vivait sans faste et en bon fermier, disait-il lui-même. Quant aux intrigues, elles demeuraient à la ville autour des ministres et parmi eux.

« George III eut beaucoup de chagrins domestiques. Il eut pour sœur cette Mathilde, reine de Danemark, dont l’histoire est un si malheureux roman ; ses deux frères lui donnèrent beaucoup de contrariétés par leur mariage, et il n’avait pas lieu d’être content de son fils aîné.