Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/822

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manda, une fois pour toutes, de ne pas faire autrement qu’eux. Nul, excepté les deux dames, ne s’asseyait devant lui qu’il ne l’eût ordonné. Jamais la parole ne lui était adressée sans son interpellation, à moins que la discussion ne fût engagée, et toujours, et dans tous les cas, il gouvernait la conversation. Telle était l’étiquette de Longwood, purement, comme on voit, celle de nos souvenirs et de nos sentiments.


Dépôts de mendicité en France – Projets de Napoléon sur l’Illyrie – Hôpitaux – Enfants trouvés – Prisonniers d’État – Idées de l’Empereur.


Samedi 20.

L’Empereur m’a fait appeler dans la matinée ; je l’ai trouvé lisant un ouvrage anglais qui traitait de la taxe des pauvres, de son immensité, de l’innombrable quantité d’individus à la charge de leurs paroisses ; on n’y comptait que par millions d’hommes et centaines de millions d’argent.

L’Empereur craignait d’avoir mal lu, d’avoir fait un contresens ; cela ne lui semblait pas possible, disait-il. Il ne comprenait pas par quels vices il pouvait se trouver autant de pauvres dans un pays aussi riche, aussi industrieux, aussi plein de ressources pour le travail que l’Angleterre. Il comprenait encore moins par quelle merveille les propriétaires, surchargés de leurs effroyables taxes ordinaires et extraordinaires, pouvaient subvenir en outre aux besoins de cette multitude. « Mais nous n’avons rien de comparable chez nous, au centième, au millième. Ne m’avez-vous pas dit que je vous avais envoyé en mission particulière dans les départements, au sujet de la mendicité ? Voyons, combien avions-nous de mendiants ? Que coûtaient-ils ? Combien avais-je créé de maisons de mendicité ? Que renfermaient-elles de reclus ? Où en était l’extirpation ? »

À cette foule de questions je me suis vu forcé de répondre qu’il s’était écoulé déjà bien du temps, que beaucoup d’autres objets avaient frappé depuis mon esprit, qu’il me serait impossible de répondre de mémoire, mais que j’avais précisément ce rapport dans mon peu de papiers, et qu’à la première fois qu’il daignerait m’appeler je serais en état de le satisfaire. « Mais allez me le chercher tout de suite, a-t-il dit, les choses ne fructifient que quand elles sont appliquées à propos, et puis je l’aurai bientôt parcouru, avec le pouce, comme dit ingénieusement l’abbé de Pradt, bien qu’à dire vrai je n’aime pas trop aujourd’hui à m’occuper de pareils objets : ils me rappellent la moutarde après dîner. »

En deux minutes ce rapport fut sous ses yeux. Eh bien ! me dit l’Empereur en fort peu de minutes aussi, car on eût dit réellement qu’il avait à peine feuilleté, eh bien ! cela ne ressemble, en effet, en rien à