Page:Lavedan - Il est l’heure, AC, vol. 47.djvu/5

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c’était le monsieur qui déjà m’avait adressé la parole. Affirmativement il baissa la tête, en déclarant : « Les bois. »

Au milieu de la chaussée, lentement, s’avançait une longue voiture ayant un aspect de fourgon, close de toutes parts, tramée par un vieux cheval blanc qui avait l’air d’être de la police. De chaque côté de la bête marchait un sergent de ville, sa pèlerine pliée et jetée sur l’épaule gauche. On ne distinguait point de cocher à ce véhicule quoiqu’il dut y en avoir un ; et ce qui causait une impression d’étrange terreur c’était une ouverture — oh ! pas bien grande ! — pratiquée dans une des parois de la mystérieuse tapissière éclairée en dedans, oui, une ouverture vitrée qui, ainsi lumineuse, faisait songer à ces roulottes des bohémiens cahotant la nuit par les campagnes où l’on ne voit goutte. Derrière le carreau des ombres s’agitaient, rapides, et je devinai qu’il y avait là des personnes très occupées.

Une seconde voiture pareille, mais celle-là tout à fait sombre, suivait, également attelée d’un seul cheval, et enfin, en dernier lieu venait, au pas en grinçant, un simple fiacre, un fiacre noir aux stores baissés d’avance.

Des chuchotements me renseignèrent : « Le sapin de l’aumônier… »

Aussitôt les agents nous firent ranger sur les trottoirs et, après avoir tourné, les trois véhicules vinrent s’arrêter, toujours l’un derrière l’autre, à quelques mètres de la grande Roquette, faisant face à la prison. Le fiacre alla sur la gauche, stationner un peu plus à l’écart.

Puis, émergeant des ténèbres, une troupe d’hommes qu’on n’avait pas encore vus, parut brusquement, sortant comme d’une embuscade. Lourdement chaussés, la tête nue ou coiffés de casquettes, ils avaient tournure de bons charpentiers ; ils étaient vêtus de tricots, de blouses, quelques-uns sanglés, à la façon des spahis, de larges ceintures rouges. Ils étaient grognons et parlaient peu. S’étant réunis près d’une des voitures, qui avec une clef s’ouvrait toute grande par derrière à deux battants comme s’ouvrent les voitures de la Maison Pleyel — et plusieurs étant grimpés dedans, ils en retirent des traverses de toute dimension, poutrelles, des montants… qu’ensuite avec beaucoup de méthode et des précautions infinies ils alignèrent à plat sur le sol, dans un certain ordre.

Tandis qu’ils opéraient ainsi leur petit rangement, des aides, courbés en deux, les éclairaient, balançant de falottes lanternes à verres blancs et rouges, échangeant dans les ténèbres de brèves et rares paroles qu’on distinguait mal ; et l’on eût dit, à la suite d’un accident, des hommes d’équipe sur une voie réparant un rail en hâte, la nuit, pendant que le train stoppe en rase campagne, arrêté, avec un retard énorme.