Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/16

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ou parmi les roseaux bruissants de la rivière. Que de joies pieusement cueillies et déposées, telles des fleurs entre les pages d’un livre, dans les replis secrets de l’âme où elles embaumaient encore, pleines d’un charme ancien, mais toujours troublant ! Tous les soirs, Marcel et lui, devenus amis inséparables, s’en venaient, à la tombée de la nuit, guetter, à la porte du magasin de mercerie, la sortie de Rosette et de Louise. Bras dessus, bras dessous, riches de vie et d’amour, ils prenaient, pour reconduire leurs amoureuses chez elles, le chemin des écoliers, malgré le froid qui piquait ou l’obscurité de certaines ruelles ; de gaieté de cœur, les jeunes filles risquaient les gronderies maternelles, afin de passer ensemble une demi-heure, une heure de plus. Et dans les recoins obscurs, dans les venelles solitaires, c’étaient des rires fous, des confidences puériles, des baisers pris à la dérobée ou follement rendus, lèvre contre lèvre, puis des étreintes longues et passionnées avant de se séparer.

Enfin, après quelques mois de ces gentils manèges, Coste se décidait — car il adorait maintenant Louise — à la demander en mariage. Les parents, qui connaissaient les amours de leur fille et s’en flattaient même, n’avaient pas attendu, flairant un bon coup, les premières démarches du jeune instituteur pour lui ouvrir leur maison deux ou trois fois par semaine, comme cela se pratique dans la classe ouvrière de Peyras. D’ailleurs, le père de Louise, simple menuisier, s’était lié avec Coste, dès qu’il avait vu sa fille courtisée par ce monsieur, fonctionnaire de l’Etat, d’une condition si supérieure à la sienne ; le dimanche, il le suivait au café où l’instituteur et ses amis fréquentaient. Même, après des libations prolongées, toujours payées par Coste, le menuisier, chatouillé dans son amour-propre de père, ne se gênait pas, encore qu’aucune parole n’eût été échangée, pour traiter publiquement l’instituteur de gendre, à bouche que veux-tu : ce dont Coste riait volontiers, car il aimait