Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/39

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minuscule, le satané lorgnon glissait à tout moment sur le menton rubicond et luisant de son propriétaire. C’est pourquoi le geste familier de M. Rastel consistait à repousser de ses deux doigts écartés l’indocile pince-nez, entêté à ne pas vouloir rester une minute en place.

Le maire reçut l’instituteur dans sa cuisine. Il l’accueillit avec des protestations d’amitié et une exubérance de gestes qui rendirent plus fréquentes et désordonnées les descentes du glissant et capricieux binocle.

— Excusez-moi, — dit M. Rastel, — si je ne vous invite pas à dîner à la fortune du pot ; ma femme est absente pour quelques jours. Mais ce sera pour plus tard… Vous savez, je suis ancien fonctionnaire, moi, et des vôtres, par conséquent. Comptez donc entièrement sur moi.

Et comme l’instituteur remerciait :

— Ah ! — ajouta le maire, — nous avons regretté votre prédécesseur… Un bon maître et tout dévoué à nos institutions… Il mérite bien l’avancement que nous lui avons fait avoir… Car, parmi nos instituteurs, il y en a encore, savez-vous, qui, au fond, sont hésitants, sinon cléricaux… C’est absurde, c’est de la folie, certes, mais c’est ainsi… nous comptons sur vous, mon cher monsieur Coste. Le pays est très divisé : les réactionnaires veulent à tout prix nous débusquer de la mairie… Ils sont enragés, ces gaillards-là, et ils nous donnent du fil à retordre, je vous assure. Voici les élections dans quelques mois et nous avons besoin de tous les concours, du vôtre surtout.

Coste protesta de son entier dévouement, mais, à part soi, il se promit de ne pas se fourrer dans ce guêpier.

Il allait se retirer, lorsque M. Rastel lui donna familièrement une tape sur l’épaule.

— Chassez-vous, monsieur Coste ? — demanda-t-il.

— Non, monsieur le maire.

— Tant pis… c’est dommage, je vous aurais invité à mon