Page:Lavergne, Jean Coste - 1908.djvu/68

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Jean eut un geste vague de désespérance et souffla la lumière.

Dans la chambre voisine, l’aveugle couchée continuait à se lamenter ; mais sa voix était couverte par les mille voix géantes du vent s’engouffrant aux cavités des rocs qui grondaient et sifflaient, ébranlant les toits qui râlaient, affolant les girouettes qui grinçaient, s’aiguisant aux fentes des portes et fenêtres qui pantelaient et craquaient, concert d’épouvante, bruits lugubres, sonorités étranges, hurlements de bêtes invisibles et démuselées.

IX

Du temps passa. Toujours mêmes ennuis, toujours mêmes soucis.

Chaque premier jeudi du mois, Coste, pour économiser les trente sous que coûtait la diligence, se rendait maintenant à pied chez le percepteur du canton, faisant ainsi douze kilomètres à l’aller et autant au retour. Il partait de bon matin et, évitant la grand’route, prenait des sentiers détournés, à travers bois, ce qui allongeait son chemin. Il espérait ainsi cacher son départ qu’il croyait humiliant, et ne pas s’exposer à des rencontres ennuyeuses. Voyait-il quelqu’un apparaître au loin, il se dissimulait promptement dans un fossé, derrière un fourré de chênes, de peur d’être connu, interrogé, d’avoir à rougir en donnant un prétexte sur ses promenades matinales. Cette crainte ne le quittait pas même après son arrivée au chef-lieu de canton. Comme c’était le jour du marché, il redoutait toujours de se trouver face à face avec un paysan de Maleval, lequel aurait témoigné un certain