Page:Lavignac - Le Voyage artistique à Bayreuth, éd7.djvu/160

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solliciter Iseult pour le roi Marke ? le jour encore qui, baignant le chevalier d’une fausse lueur, l’avait fait paraître digne de haine à celle qui déjà le chérissait du fond du cœur ?… Ah ! que n’ont-ils pu, les deux amants, s’ensevelir à tout jamais dans le doux crépuscule de la nuit et de la mort, qui eût indissolublement uni leurs âmes, leurs destinées !… Ils s’asseyent sur un banc de fleurs et se tiennent longuement enlacés, appelant le trépas si ardemment désiré par eux.

Tandis qu’absorbés dans leur extase ils laissent s’envoler les heures et perdent la notion du temps, Brangaine, qui veille en haut de la plate-forme, les avertit que le jour redouté se lève et ramène avec lui le danger. Par deux fois elle les arrache à leur mutuelle contemplation ; puis on l’entend pousser un cri d’alarme, et en même temps le brave et dévoué Kurwenal entre précipitamment le dos tourné et jouant de son épée.

Scène iii. — Derrière lui se pressent tumultueusement, suivis de quelques courtisans, Mélot et le roi Marke, qui s’arrêtent en face du couple et le considèrent attentivement avec des expressions diverses. Brangaine est accourue auprès de sa maîtresse, qui s’est détournée et devant laquelle Tristan, d’un mouvement instinctif, a étendu son manteau pour la dérober aux yeux des arrivants.

Mélot se vante au roi, qui est resté frappé d’une douloureuse stupeur, du service signalé qu’il vient de lui rendre et dont le prince n’a pas le triste courage de le remercier. Il est tout à la profonde douleur que lui cause l’affreuse découverte qu’il vient de faire. Ce Tristan, qu’il regardait comme l’honneur et la vertu mêmes, en qui il avait mis l’espoir de ses vieux ans, refusant jusqu’alors, pour lui laisser un jour intact son héritage, de prendre une nouvelle épouse après que la mort lui eut ravi la pre-