Page:Lavignac - Le Voyage artistique à Bayreuth, éd7.djvu/236

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solennel à la lumière du soleil, dont ses regards ont été privés si longtemps. Qui l’a éveillée de son interminable sommeil ? Siegfried ému se nomme, bénissant la mère qui l’a enfanté, la terre qui l’a nourri, et lui ont permis de voir se lever ce jour bienheureux.

Brünnhilde mêle son chant d’allégresse et de reconnaissance à celui de Siegfried, ce Siegfried bien-aimé qui, avant même d’être engendré, a été l’objet de son amour et de sa sollicitude.

Ces paroles singulières donnent le change au jeune héros : n’est-ce pas sa mère qu’il croyait à tout jamais perdue pour lui et qu’il a retrouvée ? — Non, lui dit la vierge en souriant, sa mère ne lui est point rendue, mais il a près de lui celle qui l’a toujours aimé, qui pour lui a toujours lutté, car c’est inconsciemment, mais par le fait de son amour, qu’elle a autrefois transgressé les ordres de Wotan et mérité la longue expiation sur le rocher et l’exil du Walhalla. À cette pensée, une tristesse l’envahit ; elle veut résister aux ardentes caresses du héros et ressaisir sa virginité divine, son essence éternelle ; elle contemple avec regret l’acier éclatant de sa cuirasse, l’armure brillante qui protégeait autrefois son chaste corps contre les regards des profanes ; elle fait appel à sa sagesse, à sa clairvoyance passées, et comprend avec effroi qu’elle n’en est plus animée ; son savoir reste muet, les ténèbres descendent dans sa pensée : la fille des dieux est devenue une simple femme !

Mais en même temps l’amour terrestre monte en son âme et l’envahit toute ; en vain veut-elle lutter encore avec elle-même et repousser les ardeurs de Siegfried qui la supplie d’être à lui ; l’amour est le plus fort. Briinnhilde en est enivrée : elle abandonnera la cause des dieux. Qu’ils périssent tous, race vieillie et sans force ; que le