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La peur, qui en juillet 1789 courut par le royaume fut en effet « étrange et saisissante ». La France sembla en devenir folle. Tous les clochers sonnaient l’alarme. Les paysans fuyaient devant d’invisibles brigands. Des villes aussi s’épouvantèrent. Villages et villes prirent les armes. Les gardes nationales sortirent du sol secoué par ce tremblement. Les brigands, on ne les vit nulle part. Mais les villes armées reprirent par force leurs libertés que le roi avait confisquées ; les villages armés attaquèrent les donjons et brûlèrent les registres terriers, où s’allongeait le catalogue des droits et redevances à percevoir par les seigneurs sur leurs sujets ; après quelques semaines que dura cet étrange accès de tétanos, l’ancien régime était par terre. Tels furent les effets de « la grande peur ». Peut-être quelques vulgaires accidents, tels des pillages de marchés par des bandes d’affamés en furent-il la cause occasionnelle. Mais quels sentiments, produits de causes lointaines, troublaient, surexcitaient ces « peureux » devenus révolutionnaires ? Et qui peut se flatter de connaître tous les mobiles d’une action si confuse ? Qui ? M. Brentano. Si le peuple de France tout à coup prit les armes, des fusils, des fléaux, des faux et des torches, c’est parce qu’il apprit que la Bastille était prise, « l’autorité patronale » renversée, et que « le père de famille n’était plus là ».