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LE GRAND SÉPULCRE BLANC

trement tempétueux de rafales et de coups de vents ; performance digne des dieux. L’univers haletait, halénait. La terre se pâmait, étouffait sous l’étreinte du firmament dont le zénith se détachait et se rapprochait du nadir dans un chassé-croisé apocalyptique. À l’intérieur de l’iglou un léger bruit se fit entendre. Un changement de position suivi d’un grognement mi-humain, mi-animal lui succéda. Se retournant, Koudnou s’était en partie découvert. Une chute de neige sur son corps l’éveillait. S’étirant, geignant, il appela Nukaglium ! Pioumictou !

Ceux-ci, tirés de leur sommeil, se frottaient les yeux. Leur vue s’habituant à la demi-obscurité, ils virent avec stupeur qu’ils étaient en partie recouverts d’une couche de neige, de deux pieds d’épaisseur. Ainsi s’expliquait cette pesanteur que l’on éprouvait tout en dormant. En peu d’instants tout ce monde était éveillé prêtant une oreille attentive aux bruits du dehors.

Koudnou, dont la prévoyance était toujours en éveil, s’écria : les chiens. D’un bond il fut hors de son lit, s’habillant à la hâte. Heureusement que la veille, les vêtements n’avaient pas été laissés au-dehors comme c’était l’habitude. N’ayant point de feu dans la cabane, l’humidité dont ils étaient imprégnés s’évaporait aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, la température y étant la même.

Le lecteur se demandera pourquoi cette anxiété pour les chiens ? Ces derniers lorsqu’ils sont surpris par la tempête, se couchent à la mode-chien et ne bougent plus. La neige les recouvre tranquillement d’un monticule qui va s’épaississant. Ils dorment dans un bien-être relatif. La chaleur engourdit leurs membres. L’oxygène se fait rare et ils meurent suffoqués. Il ne font aucun effort pour se dégager. Songez, ami lecteur, au triste sort de nos héros, s’ils eussent ainsi perdu leurs vingt chiens.

Koudnou habillé, faisait des efforts inouïs pour sortir de la hutte. La neige s’était tellement accumulée que la porte et les murs étaient recouverts d’une couche de cinq pieds. Il lui fallut alors enlever la clef de voûte du dôme. Pioumictou et Théodore le hissèrent sur leurs épaules et il sortit par cette ouverture. Le vent était tellement violent qu’il l’eût emporté comme un fétu. On lui passa une longue corde sous les bras dont on retint l’extrémité à l’intérieur. Les différents petits monticules l’aidèrent à retrouver la couche individuelle de chaque chien. Des pieds et des mains il les retira l’un après l’autre de leur position dangereuse. Ils se secouèrent, respirèrent bruyamment, et reprirent leur sommeil interrompu, mais cette fois en plein air.

À toutes les six heures, que dura cette tempête de quarante-huit heures, il fallut prendre cette précaution et répéter ce travail avec tout son déconfort.

Que firent nos prisonniers pendant ces deux jours et ces deux nuits qui leur parurent un siècle ?

Ils restèrent tout simplement couchés. N’ayant plus une seule bouchée de viande, ils jeûnèrent et ils bougèrent pas. L’on se contenta de grignoter quelques biscuits matelots, aussi durs que des cailloux, n’ayant pas même d’eau pour les amollir ou s’abreuver. Sans feu, il valait bien mieux rester au lit que de grelotter. La chaleur moite des corps enfouis sous les fourrures les tenaient gais. La nature même se faisait complaisante, s’adaptant aux conditions climatologiques de la région. Les hommes n’eurent à se lever que deux fois en ces deux jours pour les petits besoins quotidiens. Cependant, quant aux femmes elles restèrent tout ce temps enfouies sous les couvertures. Avec la venue du froid, en ces pays septentrionaux, les intestins deviennent paresseux, ne fonctionnant plus que deux fois la semaine, sans inconvénients aucun. Au printemps ils reprennent peu à peu leur travail quotidien.

Bien des auteurs ont prétendu que les Esquimaux étaient immoraux. Dans un certain sens, oui, mais ils sont aussi prudes, et ont certaines notions des convenances à observer. Ainsi, dans cette promiscuité, jamais un geste déplacé ; des civilisés eussent probablement agi avec plus de sans-gêne. Un esquimau prend femme pour fonder un foyer.

Théodore s’amusait surtout dans cette réclusion forcée à raconter à ses amis les habitudes des hommes blancs, leurs inventions, leurs mœurs. Il leur parlait aussi de Dieu, l’être suprême qui conduit et dirige le monde, des beautés de la religion chrétienne et du déploiement liturgique des cérémonies religieuses. Tout était nouveau pour ces gens primitifs, mais intelligents. Les questions, les objections mêmes pleuvaient.

Enfin au matin de la troisième nuit le vent tombait : les dieux ayant dépensé leurs forces en une orgie de tempêtes, retournèrent au sein de Ménalippe, leur grand’mère.

Les derniers poussiers de neige flottant dans l’éther accélérèrent leur chute. Le dé-