Page:Lazare - Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, 1844.djvu/361

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Ce curieux débris nous démontre, outre l’ancienneté du palais, que l’importance de Lutèce était tout entière dans son commerce par eau. En effet, sa situation excellente pour le commerce fluvial n’offrait pas, surtout au premier âge de la ville, les mêmes avantages au transport des marchandises par terre ; la Cité, qui se trouvait dans un fond marécageux, était environnée de bois très épais et de montagnes très fatigantes à gravir. Arrêtés par ces obstacles, les Parisiens durent préférer le commerce par eau qui, n’offrant aucune difficulté, se faisait avec plus de promptitude. Il paraît certain que, sous la domination romaine, le palais fut habité par des officiers municipaux connus sous le nom de défenseurs de la Cité. Ces magistrats populaires, dont les fonctions étaient mixtes, tenaient lieu de juges ordinaires et de police, et d’officiers de finance sous l’autorité de l’unique magistrat de province, c’est-à-dire du Proconsul romain. Ils étaient toujours nommés de droit par le peuple, et cette élection n’était regardée comme valable que lorsqu’elle était consentie par tous les citoyens. Leurs attributions embrassaient la justice sommaire sur toute espèce de contestations entre les habitants, la justice commerciale, les fonctions municipales et le recouvrement des impôts. Les défenseurs de la Cité étaient élus ordinairement parmi les Nautes Parisiens, qui devaient compter dans leur corporation les citoyens les plus notables.

Le palais de la Cité fut réparé, agrandi ou rebâti par les maires qui s’emparèrent du pouvoir sous les rois de la première race. Après son avènement au trône, Hugues Capet abandonna le palais des Thermes pour habiter celui de la Cité.

À dater du règne de Robert-le-Pieux, l’histoire du Palais marche avec plus de sécurité. Ce prince fit construire la chambre de la Conciergerie, qui fut depuis la chambre nuptiale de saint Louis ; ensuite la chapelle de la Conciergerie et celle de la Chancellerie. Robert fonda également une autre chapelle dédiée à saint Nicolas. Sur son emplacement, autrefois béni, fut bâtie la salle des Pas-Perdus. La chicane et la controverse aiguisent aujourd’hui leurs armes les plus acérées à l’endroit où jadis on prêchait la paix évangélique et l’oubli des injures.

En 1137, Louis-le-Gros mourut dans le Palais. L’histoire a conservé de lui de nobles paroles prononcées au dernier moment. « Souvenez-vous, disait-il à son fils, et ayez toujours devant les yeux que la royauté n’est qu’une fonction publique dont vous rendrez compte à Dieu. »

Le roi Louis-le-Jeune n’oublia pas les conseils paternels : le choix qu’il fit de l’abbé Suger pour ministre prouve qu’il avait à cœur la félicité de ses peuples. Le fils de Louis-le-Gros mourut au palais en 1180.

Après lui régna Philippe-Auguste, le bienfaiteur de Paris. C’est au palais qu’il épousa en secondes noces Ingelburghe, sœur de Canut, roi de Danemarck.

Mais nous avons hâte d’arriver à Louis IX, à ce roi qui fut la fois un saint, un législateur, un héros. Pour recevoir dignement les précieuses reliques apportées d’Orient, la Sainte-Chapelle s’éleva, chef d’œuvre admirable, où se sont rencontrés fondus d’un seul jet, le génie d’un grand artiste et la piété d’un grand roi. Ce gracieux monument passe pour le type le plus pur de cette architecture dont Philippe-Auguste et saint Louis surprirent le secret chez les Sarrazins. Aux grosses colonnes à chapiteaux, à la colonnette écourtée et sans grâce, avaient succédé les minces et longues colonnes en faisceaux ramifiées à leurs sommets, s’épanouissant en fusées, projetant dans les airs leurs délicates nervures. Au plein-cintre des arches, aux voussures en anse de panier, on substitua les ogives, arceaux en forme d’arête, dont l’origine est peut-être persane, et le patron la feuille du mûrier indien. Le cercle, figure géométrique rigoureuse, ne laissait rien au caprice ; le cercle fut remplacé par l’ellipse, courbe flexible qui s’enfle ou se redresse sous la main de l’artiste, faculté qui laisse un jeu immense et permet au génie de rayonner partout. En imitant les constructions sarrasines, les architectes chrétiens les exhaussèrent et les dilatèrent. Ils plantèrent mosquées sur mosquées, colonnes sur colonnes, galeries sur galeries ; ils attachèrent des ailes aux deux côtés du chœur, et des chapelles aux ailes. Partout la ligne spirale remplaça la ligne droite ; au lieu du toit plat, se creusa une voûte fermée en cercueil ou en carène de vaisseau.

L’art architectonique avait, au moyen-âge, une grande puissance. Le génie se développait sans entrave, aussi pas un seul monument ne ressemblait à l’autre, et dans chaque monument aucun détail n’était exactement symétrique. À ces édifices, qui encadraient si bien notre religion et nos mœurs, nous avons substitué, par un déplorable amour de l’architecture bâtarde romaine, des monuments qui ne sont ni en harmonie avec notre ciel, ni appropriés à nos besoins ; froide et servile copie, laquelle a porté le mensonge dans nos arts, comme le calque de la littérature latine a fait disparaître l’originalité du génie Franck.

Les artistes du moyen-âge admiraient aussi les Grecs et les Romains ; ils étudiaient leurs ouvrages, mais au lieu de s’en laisser dominer, ils les maîtrisaient, les façonnaient à leur guise, les rendaient Français en augmentant leur beauté par une métamorphose pleine de création et d’indépendance.

Si l’on daigne regarder un instant une de nos églises modernes, on demande d’abord si le monument qu’on a devant les yeux est un théâtre, une bourse ou une salle de concert, et par curiosité si l’on pénètre dans le sanctuaire, il faut trouver la croix, car si elle ne brillait pas, l’on serait tenté de croire que nous avons renié le Dieu de nos pères. Qu’un homme, étranger à nos habitudes parisiennes, soit placé tout-à-coup devant la Sainte-Chapelle, puis en présence d’une de nos églises modernes si étrangement façonnées, il dira en